La bataille ne fait que commencer. Mercredi, le groupe papetier nippon Hokuetsu Paper Mills a rejeté la proposition de fusion déposée le 23 juillet par Oji Paper, son concurrent et numéro un du secteur. Anodin de prime abord pour un observateur étranger, ce choc de titans fera date au Japon. C'est en effet la première fois que deux sociétés de l'indice Nikkei s'affrontent sur le terrain boursier. C'est aussi «la première fois qu'une entreprise de «l'establishment» japonais lance une OPA hostile», relève Citigroup.

Les titres des deux sociétés ont progressé ces jours passés, preuve que l'initiative inamicale et inhabituelle est appréciée des opérateurs. La fusion des entités, opération à 1,75 milliard de francs, donnerait naissance au cinquième groupe papetier mondial. Mais son succès est loin d'être acquis. Peu rompues aux raids boursiers, les entreprises nippones semblent en effet maîtriser parfaitement le manuel anti-OPA. Ainsi, avant même qu'Oji n'officialise ses intentions, Hokuetsu s'est doté d'une «pilule empoisonnée» visant à diluer la participation d'investisseurs trop gourmands. Pour parfaire sa défense, le groupe a invité le conglomérat Mistubishi à acquérir 24% de ses droits de votes via une augmentation de capital réservée. Le tout sans consulter ses actionnaires: ces actions seraient émises avec une décote de 7%, contre la prime de 35% offerte Oji. Pour enfoncer le clou, le patron de Hokuetsu a déclaré en substance qu'il était outrageux d'imaginer qu'une société puisse être achetée de force en pinaillant sur des questions d'argent.

Ses propos font écho aux réactions suscitées par le raid, hostile et infructueux, de la société Internet Livedoor sur le groupe de télévision Fuji TV début 2005. Le très conservateur Keidanren, l'association des patrons japonais, avait fustigé ces méthodes de voyou, et quantité d'entreprises avaient fourbi leurs armes anti-OPA. On se souvient d'autant mieux de ce haut fait boursier que deux de ses protagonistes ont fréquenté depuis la prison. Takufumi Horie, le fondateur de Livedoor, vient d'y passer trois mois, et Yoshiaki Murakami, le patron d'un fonds d'investissement accusé d'avoir profité d'informations privilégiées lors de cette OPA, a été incarcéré en juin.

Mais l'Archipel évolue. Le dénouement des participations croisées entre banques et groupes industriels, engagé à la fin du siècle passé, et l'intérêt croissant des investisseurs étrangers ont réduit la stabilité de l'actionnariat des sociétés locales. Depuis qu'elles ont assaini leurs bilans, elles ont aussi les moyens de financer des opérations de croissance externe. Si Oji atteint son but, les OPA hostiles finiront bien par être considérées comme «normales» sur Kabuto-cho, prédit Citigroup.