Jean-Marc Jancovici: «La fête du pétrole ne va pas durer»
Climat
Alors que Glencore «gèle» sa production de charbon, le déclin des énergies fossiles est déjà en marche, selon le président du groupe de réflexion The Shift Project. Faute d’énergie alternative efficiente, il faudra se préparer à vivre plus modestement

Dites adieu à votre niveau de vie actuel. Dans l’ère de l’après-pétrole, l’humanité n’aura d’autre choix que le nucléaire ou la décroissance, estime Jean-Marc Jancovici. Le président du think tank The Shift Project, qui rappelait encore récemment que l’empreinte carbone du Suisse moyen n’est pas éloignée de celle de l’Américain, déplore la naïveté des marches pour le climat. Ingénieur, spécialiste des questions énergétiques, il est membre du nouvellement créé Haut Conseil pour le climat auprès du premier ministre, français Edouard Philippe, dont il a l’oreille, «comme des milliers d’autres», relativise-t-il.
Le Temps: Glencore a annoncé mercredi vouloir «geler» sa production de charbon. Faut-il y voir un simple effet d’annonce ou un pas de plus vers une économie décarbonée?
Jean-Marc Jancovici: Il est trop tôt pour le dire. Le monde des entreprises est piloté par deux déterminants: les contraintes et les opportunités. On ne sait pas si la décision du négociant suisse est motivée par une réflexion sur la rentabilité future du charbon, un risque récemment matérialisé, ou la morale (même si ce n’est pas le cas le plus fréquent). En Australie [où Glencore vient d’acheter deux mines], un juge vient de refuser l’ouverture d’une mine à charbon au motif que cela augmenterait les gaz à effet de serre.
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On a aussi évoqué la pression des investisseurs…
Toujours plus présente, c’est vrai. En France, la loi sur la transition énergétique, qui date de 2015, impose aux investisseurs institutionnels des obligations d’information sur leur gestion des risques liés au climat. Il devient plus compliqué de financer de nouveaux projets liés au charbon. Les centrales et les mines existantes continuent pourtant de changer de main. Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky vient d’en acheter deux à bas coûts en France. L’inventivité est forte, alors que le charbon représente toujours 20% des émissions de gaz à effet de serre, contre 2 ou 3% pour le transport aérien.
La production de pétrole continue à progresser, alors que l’on annonce régulièrement son déclin!
Pas régulièrement, non. Je retiens surtout deux dates: celle du pic de la production de pétrole conventionnel en 2008 et celle, annoncée, du pic pétrolier en 2020. Les producteurs de schiste perdent de l’argent en permanence. Leur survie, à coups d’émission de dette, conserve une part de mystère. Le système est instable et il y a un certain nombre de signaux indiquant que la fête ne va pas durer. D’ici à 2025, il faudrait l’équivalent de deux Arabie saoudite pour satisfaire la demande.
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L’argument du déclin du pétrole n’est-il pas un oreiller de paresse? Pourquoi prendre des mesures contre les énergies fossiles si elles vont de toute façon disparaître?
Reste encore à choisir les alternatives énergétiques. C’est simple, il y en a deux: le nucléaire et les renouvelables. Le nucléaire a mauvaise presse en Occident, même s’il est plus efficace que l’éolien et le solaire et fait moins de morts que les barrages hydroélectriques. Les renouvelables, qui constituent la deuxième option, sont beaucoup plus onéreux à mettre en place: de 10 à 40 fois, pour avoir un système de stockage et de gestion efficace. Les consommateurs sont-ils prêts à voir leur pouvoir d’achat diminuer d’autant? Je ne le pense pas.
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Vous êtes plutôt pessimiste. Vous ne croyez donc pas au momentum écologique avec ces grèves climatiques?
Je n’ai pas dit ça. Il existe une vraie envie de changer les choses, mais on ne tient compte ni de la complexité des faits ni de la hiérarchisation des risques. Les jeunes qui manifestent pour le climat ne se rendent pas compte qu’il va être impossible de garder notre niveau de vie actuel. Jusqu’au pétrole, l’homme était toujours parvenu à passer sur des énergies plus efficientes: le bois a précédé le charbon qui lui-même a été suivi par le pétrole. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, nous allons passer sur des énergies dégradées. L’éolien, ce sont nos moulins à vent d’il y a trois siècles. Notre société n’a donc pas d’alternative à la décroissance.
Les décisions ont du mal à passer, surtout quand on touche au portefeuille. On l’a vu avec la taxe carbone en France ou, en Suisse, avec la loi sur le CO2. Cela semble en contradiction avec la vague écologique actuelle.
Non… Il y avait simplement un choix à faire entre PIB et émissions à effet de serre. On a opté pour le PIB. Le débat climatique, c’est la physique qui se réinvite dans l’économie, et lui dit: «Tu ne pourras pas continuer à faire tout ce que tu veux.» Même si les consommateurs et les producteurs n’ont pas encore envie de l’entendre.