Au début de la pandémie, Greensill promettait à tous les employés des services de santé britannique (NHS) qu’ils pourraient toucher leur salaire au jour le jour au lieu de devoir attendre la fin du mois. Un geste pour contribuer à l’effort général pendant une crise? Pas vraiment. Plutôt le cœur des activités de cette société financière basée à Londres et désormais en faillite au Royaume-Uni, en Australie (où sa holding est installée), et dont la banque en Allemagne est sous redressement judiciaire depuis mardi.

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L’offre de Greensill, du nom de Lex Greensill, star désormais déchue de la City, est bien plus simple que son nom barbare – l’affacturage inversé – ne le laisse imaginer: lorsqu’une société reçoit une facture d’un fournisseur, elle est immédiatement payée par Greensill. Ainsi le fournisseur reçoit son argent, tandis que la société peut attendre jusqu’à l’échéance pour régler sa facture. Une pratique considérée comme sûre, sauf qu’elle permet de cacher un surendettement majeur d’entreprises, dont quelques-unes ont d’ailleurs fini étranglées.

Des millions d’euros perdus en Allemagne

Une stratégie qui a pris des proportions énormes puisque la société revendiquait 143 milliards de dollars de financements en 2020 à plus de 10 millions de clients et de fournisseurs dans 175 pays. Sa débâcle a maintenant des conséquences encore difficiles à appréhender dans toute leur ampleur, mais on sait déjà qu’elle risque d’affecter Credit Suisse, des déposants et des communes en Allemagne, des assureurs en Australie et au Japon, de même qu’une quantité d’entreprises devenues dépendantes de ces financements.

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L’affaire a évidemment comme un léger relent de subprimes. D’ailleurs, elle a commencé exactement de la même manière: une banque qui clôture d’obscurs fonds (Bear Stearns, au printemps 2007, Credit Suisse en hiver 2021). Le contenu se ressemble: des prêts douteux, mis ensemble et revendus à des investisseurs attirés par l’aspect sûr et bien noté du produit autant que par ses perspectives alléchantes de rendement, le tout garanti par des contrats d’assurance remis en cause par leurs émetteurs.

Croissance de la banque de l’ombre

A priori, la comparaison s’arrête là. Un élément majeur différencie même les deux affaires: le risque de déstabilisation du système financier mondial semble aujourd’hui très limité. Pourtant, même s’il est mineur par rapport à la crise de 2008, cet épisode a tout d’un avertissement. Il met en lumière toutes les failles du système de surveillance de la finance mondiale.

Greensill a enflé sans qu’aucun voyant ne semble s’allumer nulle part. Pourquoi? Pour deux raisons: l’absence de – ou la faible – surveillance de ce qu’on appelle le shadow banking, c’est-à-dire les activités bancaires d’institutions non bancaires. Alors qu’une banque est surveillée de très près, les sociétés comme Greensill passent sous le radar et ce, même si elles deviennent elles-mêmes des acteurs plus importants que certaines banques traditionnelles.

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Deuxième raison, l’aspect international de l’affaire semble avoir fait qu’aucun régulateur ne se soit senti particulièrement concerné par un possible ébranlement de son système financier. Prenons l’Allemagne: certes, la BaFin a commencé à enquêter il y a quelques mois. Trop tard pour éviter le pire, dans un pays où il y a de fortes chances pour que l’argent du contribuable soit sollicité pour combler des trous. Certaines communes, appâtées par des taux positifs, qui avaient placé des dizaines de millions chez Greensill Bank, ont déjà appelé le gouvernement fédéral à l’aide. Episode désagréable, mais pas de nature à plonger le pays dans la crise.

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Idem pour Credit Suisse, qui pourrait devoir éponger d’éventuelles pertes. La banque semble n’avoir rien appris de la crise qu’a vécue GAM à l’été 2018 en raison du même Greensill, pas plus que d’autres mésaventures dans sa gestion d’actifs (pensez subprimes, de nouveau). Le dégât d’image pour Credit Suisse est indéniable. La banque va au-devant d’un choix cornélien: en cas de faillite de sociétés présentes dans les fonds, elle devrait soit se battre avec des assureurs qui vont tenter de ne pas payer, soit payer elle-même au détriment de ses actionnaires, soit laisser ses investisseurs (des caisses de pension, des institutionnels, des milliardaires qui sont aussi ses clients préférés dans la gestion de fortune) encaisser une partie de la perte. Rien de réjouissant, mais rien non plus qui pourra mettre la banque au bord du gouffre.

Enfin, les faillites d’entreprises, aussi déplorables soient-elles, provoqueront peut-être quelques effets boule de neige, mais là non plus, sans secouer tout le système. Pas cette fois. Mais la prochaine? Greensill est un avertissement. C’est peut-être le prélude à la prochaine crise financière si ces lacunes de la surveillance ne sont pas prises en compte.