L'ampleur de l'évasion fiscale mondiale est révélée depuis Panama
«Panama Papers»
Un cabinet d’avocats panaméen s’est fait dérober des données révélant la présence de chefs d’Etats et de criminels parmi ses clients. Pour l’OCDE, le Panama est devenu l’un des derniers trous noirs financiers de la planète

Des proches du président russe Vladimir Poutine, les premiers ministres islandais et pakistanais mais aussi le footballeur argentin Lionel Messi et l’ex-président de l’UEFA, Michel Platini. Des noms qui ont tous été associés aux sociétés-écrans, trusts et autres fondations créés par le cabinet d’avocat panaméen Mossack Fonseca pour cacher les avoirs de ses clients. C’est ce qu’a révélé dimanche un consortium de 370 journalistes, sous la bannière d’ICIJ, associés, entre autres au Monde, à la BBC ou aux titres du groupe Tamedia.
A l’origine de la fuite: une source anonyme qui début 2015 a commencé à transmettre à la Süddeutsche Zeitung les quelque 11,5 millions de fichiers du cabinet panaméen. Il s’agit de la plus grosse fuite de données jamais exploitée par des médias et qui représente, à ce jour, la cartographie la plus aboutie de l’industrie des sociétés offshore. Mossack Fonseca en a créé ou administré plus de 214 000 dans 21 juridictions différentes depuis 1977, date de sa fondation. «Toutes ces entités off-shore ne sont pas illégales mais une majorité d’entre elles sont utilisées comme sociétés écrans pour dissimuler des avoirs grâce à des prête-noms», écrit Le Monde.
Une société sur six créée depuis la Suisse
En juin 2015, 37 000 sociétés créées par Mossack Fonseca étaient encore actives. Une sur six a été mise en place depuis la Suisse, selon la cellule enquête du Matin dimanche. Le cabinet, domicilié au Panama mais possédant des succursales dans toutes les juridictions clés comme les îles vierges britanniques, les Bahamas, Genève ou Zurich – s’est spécialisé dans la vente en masse de structures offshore. Il emploie plus de 500 personnes.
Le cofondateur du cabinet, Ramón Fonseca, est un proche du président panaméen Juan Carlos Varela qui l’a nommé «ministre conseiller» lors de son élection en juillet 2014. Il a démissionné le mois dernier.
Un vol de données sans précédent
Pour John Christensen – contacté par Le Temps –, directeur de l’ONG Tax Justice Network, ce vol de données est sans précédent: «C’est l’un des gros poissons du secteur. Au cours de ses presque 40 ans d’histoire, Mossack Fonseca a été associé à une multitude de criminels pour qui ils confectionnent des structures secrètes et sophistiquées leur permettant de poursuivre leurs activités.»
Vendredi, Mossack Fonseca – par l’intermédiaire de son directeur marketing Carlos Sousa – a envoyé une lettre à tous ses clients reconnaissant avoir été victime d’une «brèche non-autorisée du serveur mail» ayant pour conséquence la «diffusion de l’identité de certains individus et de leurs affaires». Mossack Fonseca a, en outre, rappelé ne jamais avoir été inculpé ou condamné par le passé., comme le relatent des journalistes du consortium d’enquête.
Trou noir fiscal
Le Panama est souvent décrit comme l’un des derniers trous noirs financiers de la planète. Il compte 350 000 sociétés off-shore défiscalisées enregistrées sur son sol. Soit, pour ce pays de moins de 3,9 millions d’habitants, la plus grande densité au monde, juste derrière Hongkong et les Iles vierges britanniques, selon Tax Justice Network. Alors que la Suisse, le Luxembourg ou Singapour se préparent à adopter l’échange automatique d’information, le pays a été placé sur la liste des juridictions non coopératives par l’OCDE après être revenu sur ses engagements.
Pour John Christensen, «le pays tire même une certaine fierté à ne pas coopérer avec les autorités». Il ne tient pas de registre de propriété pour les entreprises, ne fournit pas d’information accessible au public et se refuse à développer son réseau d’échange d’information. «Ces caractéristiques ont fait de lui un terreau fertile pour toutes les activités délictueuses des cols blancs: blanchiment d’argent, fraude, délit d’initié etc.», explique le directeur de l’ONG.
L’économiste panaméen Juan Jované, contacté par Le Temps, n’est guère surpris par les révélations du consortium. Pour lui, le système fiscal actuel «où les riches sont quasiment exonérés d’impôts grâce à la manne financière du canal» n’est pas soutenable. Candidat frustré à l’élection présidentielle de 2014, il déplore la trop grande dépendance de l’économie au secteur offshore: «Nous avons abandonné l’agriculture et l’industrie. Mais un pays ne peut pas reposer exclusivement sur la finance. Ni n’être qu’une autoroute entre deux continents.»
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