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L’anticipation des changements réglementaires

Diriger une banque requiert une capacité d’adaptation réglementaire. Idéalement, il convient d’y ajouter un don pour les bons choix et un sens aigu de l’anticipation. Voir venir, affronter et agir assez tôt peut aussi être une question de survie, mais à plus long terme

Au cours de la dernière décennie, la réglementation bancaire a pris une place de plus en plus importante dans la gestion d’une banque suisse. Chaque année, de nouveaux chantiers s’ouvrent et des pans entiers s’étoffent. Pour citer quelques exemples récents, on pensera à la réglementation des services bancaires transfrontières, la thématique des rétrocessions, la mise en œuvre de Bâle III ou les accords fiscaux internationaux (Rubik, Fatca…).

Le suivi de ces évolutions requiert la présence de compétences internes fortes: département compliance, service juridique, service fiscal, département risques. Même si cela n’est pas requis par la Finma, les personnes clés dans ces domaines sont de plus en plus souvent membres des comités de direction des établissements bancaires. Cela a du sens d’un point de vue d’une saine gestion et maîtrise d’une activité extrêmement réglementée. Avant privilège des banquiers et gestionnaires, les expériences et sensibilités réglementaires sont aujourd’hui utiles et en première ligne dans beaucoup de prises de décision.

Surtout que les établissements bancaires ont intérêt à s’attaquer au plus tôt aux adaptations réglementaires et à faire les bons choix.

En pratique, une logistique importante est souvent requise et il convient de mobiliser les ressources internes de manière appropriée. On parle rarement d’un simple formulaire ou courrier aux clients. Aujourd’hui, les développements informatiques, la formation interne et les systèmes de contrôle doivent suivre toute adaptation réglementaire. Il faut pouvoir paramétrer les nouvelles données réglementaires, et ce afin d’avoir des procédures automatisées et des systèmes de contrôle efficients.

Le temps d’adaptation peut être bref. On le voit par exemple avec la révision de la LPCC (loi sur les placements collectifs de capitaux) entrée en vigueur le 1er mars 2013. Sous les contraintes temporelles liées à l’entrée en vigueur de la directive AIFM dans l’Union européenne, les délais ont été serrés: publication du projet de révision par le Conseil fédéral le 2 mars 2012, votation par le parlement le 28 septembre 2012, adoption des mesures d’exécution par le Conseil fédéral le 13 février 2013, puis entrée en vigueur 3 semaines plus tard.

Cette révision implique pourtant plusieurs ajustements dans le domaine de la gestion de fortune: possibilité pour les clients gérés de limiter les placements collectifs qui leur sont proposés, nouvelle définition des HNWI (High Net Worth Individuals), nouvelles restrictions en matière de distribution de placements collectifs étrangers, lancement ou renforcement des activités de représentation de placements collectifs étrangers.

Les nouveautés réglementaires obligent de plus en plus à opérer des choix stratégiques. Quelques exemples récents: faut-il limiter les pays vers lesquels des activités transfrontières sont déployées? Faut-il ou non créer un ou plusieurs établissements à l’étranger en réaction au développement des restrictions transfrontières? Est-il mieux de s’adapter à Rubik afin de servir les clients allemands et britanniques ou de renoncer à ces clients? Est-ce qu’il vaut la peine de mettre en place des outils de reporting Fatca ou est-il plus approprié de refuser tout client américain? Convient-il de développer l’activité de représentation pour les placements collectifs étrangers?

Idéalement, il faut aussi pouvoir se permettre une capacité d’anticipation réglementaire, à l’écoute des signes avant-coureurs.

Sur le long terme, une stratégie réglementaire minimaliste ou louvoyante, cherchant la faille ou la subtilité, peut s’avérer contre-productive. Autant faire simple et direct. Certains choix, ou absences de choix, d’hier peuvent se payer très cher aujourd’hui ou demain.

Alors quels sont les sujets d’aujourd’hui sur lesquels il convient de faire les bons choix pour le futur?

On pourrait d’abord penser aux rétrocessions. Alors que le droit suisse permet toujours la perception de rétrocessions moyennant des règles accrues de transparence, pourquoi ne pas immédiatement restructurer son modèle de rémunération afin d’anticiper une probable interdiction des rétrocessions d’ici quelques années?

Indistinctement du débat politique sur la Weissgeld Strategie, ne vaut-il pas mieux s’imposer des délais courts en termes de gestion des avoirs non déclarés? Faut-il le faire uniquement pour les résidents de l’Union européenne, ou doit-on voir plus large? Est-il mieux d’accepter la perte de clients ou doit-on mettre en place des structures et schémas permettant de les suivre depuis d’autres centres financiers?

Faut-il contrôler strictement quels produits sont offerts à quels types de clients? Est-il approprié, d’ores et déjà, de s’imposer des classifications internes?

Sachant que les conditions-cadres ne sont déjà pas faciles en Suisse en ce moment, prendre des décisions avant d’y être forcé peut paraître excessif. Pourquoi faire plus que le minimum? A court terme, sous peine de disparaître, certains établissements ne peuvent simplement pas se permettre des décisions avant l’heure.

Cela étant, si la réponse à ces questions ne saurait être guidée par le seul motif d’anticipation des changements réglementaires, ceux-ci ne sauraient être ignorés. Il n’y a aucun signe «avant-coureur» d’une déréglementation dans le domaine bancaire, bien au contraire. Voir venir, affronter et agir assez tôt peut aussi être une question de survie, mais à plus long terme.

* Avocat, Schellenberg Wittmer, Genève, Zurich, www.swlegal.ch

Faut-il limiter les pays vers lesquels des activités transfrontièressont déployées?