«L’argent n’est pas allé là où on le pensait»

Après 22 ans passés à la Banque du Canada, William White a rejoint la Banque des règlements internationaux (BRI), en 1995. Président du Comité d’examen des situations économiques et des problèmes de développement (Comité EDR) à l’OCDE depuis 2009, il s’exprimait jeudi à Zurich, en marge d’une conférence du Council on Economic Policies.

Le Temps: La récente dépréciation des monnaies de plusieurs pays émergents vous a-t-elle surpris?

William White: Il est intéressant de se souvenir de ce qui s’est passé le printemps dernier, quand une possible réduction des programmes de soutien de la Fed a commencé à être évoquée. De nouveaux mouvements de capitaux ont alors été observés. Par exemple, il y a eu une forte hausse du prix de certains actifs au Japon. Avant cela, il faut se rappeler les gigantesques mouvements de capitaux qui avaient afflué vers les marchés émergents. Cela n’est pas si étonnant, car la dernière phase du programme d’assouplissement quantitatif de la Fed visait justement à inciter les investisseurs à placer leur argent dans des actifs plus risqués, avec l’espoir qu’ils soient peu à peu réinjectés dans l’économie. Mais, une large partie des abondantes liquidités disponibles est allée vers les actifs des pays émergents qui offraient des taux d’intérêt supérieurs, de meilleures perspectives, etc. Les liquidités mises à disposition par la Fed n’ont pas été utilisées comme prévu.

– Qu’est-ce qui a vraiment servi d’élément déclencheur à la crise des monnaies émergentes?

– Parfois, des événements, auxquels personne n’accordait d’importance quelques mois plus tôt, sont soudain placés sur le devant de la scène. C’est le cas de la crise du gouvernement en Turquie ou de la politique menée en Argentine, alors même que ce dernier pays était déjà en grande partie déconnecté du reste de l’économie mondiale. En anglais, on utilise l’expression «empoisonner la source». On énumère des éléments sans connexion entre eux qui finissent par amener les gens à faire des extrapolations.

– La situation des pays émergents n’était-elle pas le prétexte idéal pour une correction après plusieurs mois de forte hausse?

– Les marchés boursiers ont connu ces deux dernières années une hausse d’une ampleur quasiment sans précédent d’un point de vue historique. Cela, alors que la performance sous-jacente des économies était plutôt faible. A un certain moment, les marchés émergents faisaient figure d’exception, comme s’ils n’avaient pas été affectés par la crise financière. Ensuite, ils ont commencé à présenter certaines caractéristiques d’une bulle spéculative. Le problème est que quand une bulle spéculative éclate, il est toujours très difficile de savoir quelle sera l’ampleur de ses conséquences. N’importe quel petit événement peut déclencher une correction qui, ensuite, a un impact beaucoup plus perturbateur pour les marchés et l’économie mondiale. Par exemple, la récente chute des monnaies de plusieurs pays émergents risque d’entraîner un ralentissement de l’économie chinoise. Cela aurait alors d’importantes implications pour le secteur des matières premières, pour l’Amérique latine, les pays du Sud-Est asiatique, etc. Une telle évolution peut aussi remettre en question le modèle de croissance de l’Australie, un pays qui a énormément investi dans de nouveaux sites miniers.

– Et pour les pays développés?

– La crise des monnaies émergentes peut se rappeler au bon souvenir de l’Union européenne, si les taux de la dette de pays comme la Grèce s’envolaient à nouveau. En outre, les pays émergents représentent plus de la moitié de l’économie mondiale, c’est plus que lors des crises précédentes.

– Si la crise devait s’étendre, que peuvent faire les gouvernements et les banques centrales?

–C’est justement un aspect qui m’inquiète. Car, depuis la dernière crise financière, très peu de progrès ont été réalisés pour réduire le niveau de l’endettement dans les pays développés. Dans les pays du G20, l’endettement public et privé reste supérieur de 30% à son niveau affiché en 2007. L’endettement se situe toujours à des niveaux dangereusement élevés.