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«L’échange automatique va inciter des Russes fortunés à s’installer en Suisse»

Lancé début avril, Sergan Management vise une riche clientèle russophone. Son directeur Sergey Vakula explique pourquoi il s'attend à voir des Russes débarquer en Suisse dans les prochains mois

Genève. On compte plus de 2000 sociétés en Suisse qui sont détenues ou gérées par des Russes, dont 600 en Suisse romande. — © 123 rf
Genève. On compte plus de 2000 sociétés en Suisse qui sont détenues ou gérées par des Russes, dont 600 en Suisse romande. — © 123 rf

Après quatre années passées à Monaco à servir successivement les intérêts de trois milliardaires russes et de leur famille, d’abord en tant qu’employé puis en qualité d’indépendant, Sergey Vakula est de retour à Genève. Avec sa femme, Anne Tschanz Vakula, qui a fait carrière dans la gestion d’actifs (Pictet, UBS, Credit Suisse et Banque Pâris Bertrand Sturdza), ce russe polyglotte biochimiste de formation, a lancé début avril Sergan Management.

Le Temps: Que proposez-vous exactement à vos clients?

Sergey Vakula: Deux choses. Nous leur offrons des services de gestion patrimoniale mais aussi des conseils en stratégie dans leurs affaires, que ce soit en matière de fusions, d’acquisitions ou de restructurations. Nous voulons également les aider à investir en Suisse, que ce soit via des investissements directs, des fonds de private equity ou de venture capital.

– A quel type de clientèle vous adressez-vous?

– Sur le plan international, nous nous adressons à des sociétés russes et à de grandes fortunes résidant en Russie ou dans les pays de la Communauté des Etats indépendants [ndlr, 9 des 15 anciennes Républiques soviétiques] qui sont désireux d’investir en Suisse de manière totalement transparente. En Suisse, notre clientèle est principalement russophone. Il y a 16 000 résidents d’origine russe aujourd’hui en Suisse et 35 000 ressortissants d’anciens pays de l’Union Soviétique, dont près de la moitié en Suisse romande. Par ailleurs, de plus en plus d’hommes, qui jusqu’à présent avaient envoyé leurs femmes et enfants en Suisse, devraient bientôt les rejoindre.

– Pourquoi?

– Notamment en raison du passage à l’échange automatique d’informations en 2018. Car les Russes sont discrets de nature et très conservateurs concernant leurs investissements effectués à titre privé. Par exemple, jamais vous ne trouverez de statistiques sur le nombre de clients russes que comptent les banques en Suisse, ni sur la masse sous gestion qu’ils représentent. En venant s’installer en Suisse, là où se trouve déjà une partie de leur fortune, la question de l’échange automatique ne se posera plus. C’est pour certains d’entre eux le meilleur moyen de régulariser leur situation.

– Il n’existe vraiment aucune indication du montant des avoirs russes en Suisse?

– Non, la seule estimation est celle du magazine Bilan qui recense 13 milliardaires russes en Suisse pour une fortune consolidée d’environ 40 milliards de francs. Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’il y a plus de 2000 sociétés en Suisse qui sont détenues ou gérées par des Russes, dont 600 en Suisse romande. Malgré tout, pour le moment, un seul Russe a véritablement investi de manière diversifiée dans l’industrie et les services dans le pays: Viktor Vekselberg.

– Comment l’expliquez-vous?

– Jusqu’à présent, la Suisse a surtout été considérée par les Russes comme une place bancaire ou leur pays favori pour y incorporer et diriger des sociétés actives dans le négoce de matières premières. Sauf qu’aujourd’hui, les taux d’intérêt négatifs poussent ceux qui ont de l’argent ici à considérer de nouvelles possibilités d’investissements, que ce soit dans les «tech» (Med, Bio et Fin), dans l’industrie de précision, l’horlogerie, le vin, la restauration ou l’immobilier. Des Chinois ont récemment acheté Syngenta et de grands hôtels en Suisse, pourquoi pas les Russes?

– C’est là où vous intervenez!

– Exactement. Pour les produits financiers, il y a déjà beaucoup de conseillers spécialisés dans la clientèle russe, même si la plupart du temps ces banquiers sont souvent «poussés» par leur management à vendre des produits maison. En ce qui concerne le private equity, en revanche, ces clients ont besoin de personnes qui s’y connaissent et qui puissent leur expliquer le tissu économique local, les «business models», les projections financières et enfin les valorisations estimées des entreprises à vendre ou à la recherche de partenaires financiers.

– Des personnes qui parlent le russe…

– Oui, le facteur de la langue est l’un des plus importants pour les Russes.

– Et comment se comportent-ils dans leurs investissements?

– Ils sont très émotionnels, ils peuvent blâmer un employé qui aurait dépensé 1000 dollars de trop dans le mobilier de bureau et acheter une Bugatti à 2 millions sur un coup de tête. C’est d’ailleurs un défi permanent car nous devons être capables de «tout faire» à des coûts très compétitifs: répondre à des questions sur la fiscalité ou l’immigration, trouver un yacht ou un jet privé dans la minute, dénicher un petit restaurant ou un immeuble à vendre. Heureusement, nous pouvons nous appuyer sur un réseau de 300 spécialistes que nous avons pu tisser tout au long de nos carrières respectives.

– Dans quels secteurs aiment-ils investir?

– En règle générale cela se fait en fonction des opportunités. Certains préfèrent toutefois investir dans leur propre secteur d’activité, d’autres veulent se diversifier alors que d’autres encore entendent réaliser leur rêve d’enfant en investissant dans un restaurant ou un studio d’enregistrement de musique. Regardez Abramovitch ou Rybolovlev qui se sont acheté des clubs de foot, c’est pareil.

– Quid des sanctions internationales, est-il plus difficile de traiter avec des Russes aujourd’hui?

– Je ne crois pas. D’une part, la Suisse n’a pas repris les sanctions américaines ou européennes à l’encontre de la Russie. D’autre part, ceux qui font affaire avec des Russes doivent s’en tenir aux procédures de «Know Your Client».

– Pourquoi les Russes s’installeraient-ils en Suisse plutôt qu’à Chypre par exemple?

– L’avantage de Chypre c’est que l’on peut y acquérir un passeport européen très facilement et rapidement; en investissant quelques millions d’euros dans l’immobilier, on l’obtient en une année. Mais, si l’on parle d’investissements importants – placements financiers auprès des banques ou en Private Equity direct – la comparaison entre la Suisse et Chypre ne tient pas: la Suisse est clairement plus attractive, solide et la performance provient également de l’appréciation tendancielle du franc contre pratiquement toutes les autres devises. En outre, la Suisse dispose aussi de nombreux avantages, comme le fait d’être au milieu de l’Europe ou de proposer plusieurs vols quotidiens reliant Genève à Moscou.