Forum Horizon 2023

La pandémie et le retour de la guerre en Europe ont fait entrer l'économie mondiale dans un nouveau paradigme. Quelle place pour la Suisse dans ce nouvel environnement? Et comment préserver sa légendaire prospérité? Pour en parler, «Le Temps» vous invite à participer au Forum Horizon, le 2 février 2023. Soutenu par Cité Gestion, partenaire stratégique du rendez-vous, l'événement aura lieu à l'IMD, à Lausanne. Avec notamment la participation de Guy Parmelin, conseiller fédéral chargé de l'Economie, de Philipp Hildebrand, ancien président de la BNS et vice-président de BlackRock et d'Andréa Maechler, membre de la direction générale de la BNS. Informations et inscription à l'adresse events.letemps.ch/horizon

L’économie mondiale est partie pour se dégrader cette année: ce point fait l’unanimité parmi les experts que Le Temps a réunis pour débattre de leurs prévisions macroéconomiques, comme nous le faisons chaque début d’année. Nos invités divergent, en revanche, sur la probabilité d’une récession, sur les conséquences des prix élevés de l’énergie ou, côté investissements, sur le timing du retour sur les actions. Pour lancer la discussion, nous avons demandé quel mot résumera l’année 2023 à Stéphanie de Torquat (cheffe économiste de la société de gestion Silex), Frédéric Potelle (coresponsable des investissements à la banque Bordier & Cie), Gero Jung (chef économiste à la banque Mirabaud) et Lars Kalbreier (responsable des investissements chez Edmond de Rothschild).

2023 résumée en un mot

Le Temps: Quel mot caractérisera selon vous 2023? Et pourquoi?

Stéphanie de Torquat (Silex): Inflexion. En 2023, tout le monde attend un point d’inflexion, que ce soit au niveau de l’inflation, de la croissance et de la politique monétaire. Nous avons eu un régime constant et négatif en 2022, avec l’inflation en hausse, les taux qui montaient, les marchés qui baissaient et la croissance qui restait résiliente. On attend le moment où la dynamique économique et l’inflation commenceront à fléchir plus significativement et où l’on pourra alors commencer à anticiper des baisses de taux de la part des banquiers centraux, même si cela n’arrivait qu’en 2024.

Frédéric Potelle (Bordier & Cie): En plus de l’inflexion, j’ajouterais désynchronisation et déconnexion. Déconnexion, car en matière d’inflation, on aura une différence assez nette entre les Etats-Unis et l’Europe. Cette dernière risque de subir une nouvelle poussée inflationniste à cause des matières premières, en particulier l’énergie, en raison de la réouverture de l’économie chinoise, qui va nécessiter des ressources alors que les économies occidentales ralentissent. A cette désynchronisation macroéconomique s’ajoutera une désynchronisation des politiques monétaires entre la Chine et l’Occident, qui existe déjà et devrait se poursuivre.

Gero Jung (Mirabaud): Pivot. Est-ce que 2023 sera l’année du changement de politique des banques centrales, qui arrêteront de remonter les taux d’intérêt et commenceront à les abaisser? Quand interviendra ce pivot? L’économie se détériore-t-elle aussi rapidement comme certains l’anticipent? D’autres inconnues concernent les problèmes liés aux chaînes d’approvisionnement, alors que la guerre se poursuit en Ukraine et que l’hiver n’est pas terminé en Europe. La Chine concrétisera-t-elle la réouverture de son économie, comme elle a décidé de le faire? Si le nombre de décès se révèle important, assistera-t-on à une fermeture de l’économie chinoise?

Lars Kalbreier (Edmond de Rothschild): Changement de régime. Nous avons eu deux régimes d’inflation en 2022. Celui dans lequel nous sommes entrés en début d’année, puis la phase d’accélération très marquée des prix au premier trimestre. Entre décembre 2021 et février-mars 2022, les attentes inflationnistes ont été radicalement revues à la hausse, à cause de trois éléments clés quasiment concomitants, qui n’étaient pas corrélés et qui ont forcé les banques centrales à agir de manière aussi brutale, ce qui a provoqué une baisse du marché obligataire et une baisse du marché actions. Or, ces trois éléments ne seront plus du tout ou du moins plus aussi présents en 2023.

De quoi s’agit-il?

La guerre en Ukraine, tout d’abord, qui a provoqué une augmentation du prix des matières premières, énergétiques, alimentaires et des métaux, qui n’avait pas du tout été anticipée et qui a été source d’une forte inflation. Le variant Omicron, ensuite, qui a été plus offensif mais aussi plus bénin, ce qui a permis aux économies de s’ouvrir à nouveau rapidement. Ce qui a engendré un choc positif sur la demande et donc sur l’inflation. La Chine, enfin, qui a continué sa politique de zéro covid alors que les autres économies s’étaient ouvertes. En conséquence, les chaînes de production et d’approvisionnement ne se sont pas normalisées, ce qui est également inflationniste.

Mais en 2023, la Chine s’ouvre, quitte à avoir davantage de décès, donc les problèmes sur les chaînes d’approvisionnement vont se résorber, ce qui est désinflationniste. L’économie mondiale ralentit, donc la demande faiblit, tandis que l’approvisionnement de matières premières commence à se stabiliser, sauf en Europe – surtout pour le gaz naturel. On aura donc moins de pressions inflationnistes et davantage de marge de manœuvre pour les banques centrales, ce qui peut être bénéfique pour les marchés.

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Récession ou pas?

Prévoyez-vous une récession? En Europe? Aux Etats-Unis?

Frédéric Potelle: On aura un monde occidental qui décélérera très fort, l’Europe est déjà en récession et les Etats-Unis le seront bientôt, alors que la Chine va redémarrer.

Stéphanie de Torquat: Mais la réouverture de la Chine se fera dans un monde en ralentissement, voire en contraction, alors que l’Occident avait rouvert après dix ans de taux d’intérêt zéro et d’excès de stimulus phénoménaux. L’accélération chinoise ne sera donc pas aussi forte que celle qu’a connue l’Occident, et elle se fera en dents de scie, car la couverture vaccinale est moins importante et de moins bonne qualité en Chine. On peut aussi se demander si l’augmentation de la demande de matières premières de la part de la Chine compensera l’effet baissier du ralentissement global.

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Gero Jung: Tout n’est pas négatif, il faut remettre un peu de contexte. La croissance mondiale sera certainement un peu inférieure à 3% en 2023 – le FMI prévoit 2,7%. Ce n’est pas terrible, mais en 2009, on était à -0,1%, toujours selon le FMI. On parle généralement d’une récession lorsque le taux de croissance global est inférieur à 2%, nous n’y sommes pas. A 3%, la reprise ne sera pas spectaculaire, mais ce ne sera pas une récession non plus. Des nouvelles encourageantes viennent aussi de pays comme le Brésil ou l’Inde, qui tirent la croissance.

Frédéric Potelle: La reprise chinoise sera différente des précédentes, lorsqu’on a eu une politique de relance puis une reprise des exportations. Nous croyons nettement plus à une reprise intérieure qu’à l’enclenchement d’un cycle économique global, ce qui pousse à investir sur des sociétés locales.

Lars Kalbreier: Un des risques majeurs pour l’économie en 2023 est que si la Russie continue à ne pas livrer de gaz naturel en Europe, cette dernière n’arrivera pas à combler ce manque d’offre. Il faut construire les terminaux, et on pourra difficilement reconstituer, pendant l’été prochain, les réserves de gaz naturel pour l’hiver 2023-2024. Et encore plus avec le redémarrage de la Chine. De nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié arriveront en production en 2025-2026, mais pas avant. On ne peut pas acheter au Qatar, qui a des contrats de longue durée avec la Chine notamment, parce que l’Europe veut des contrats de courte durée.

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Frédéric Potelle: A moyen terme, on se dirige vers une nouvelle vague de désindustrialisation en Europe à cause des coûts énergétiques.

Alors qu’on parle de «déglobalisation» et de rapatriement des capacités de production.

Frédéric Potelle: Exactement, l’Europe est le grand perdant de la phase que nous traversons. Même si elle reçoit du gaz, il sera cinq à six fois plus cher qu’aux Etats-Unis, ce qui se traduira dans les coûts de production. Des pans entiers de l’industrie européenne très consommateurs d’énergie – production de verre, d’engrais, de batteries pour véhicules – en souffriront. On voit même des projets pour des usines prévues en Europe, qui sont délocalisées avant d’avoir été construites, comme la Gigafactory que Northvolt avait prévue en Allemagne et qu’il envisage déjà de créer aux Etats-Unis finalement. D’ailleurs, l’Inflation Reduction Act américain, qui est en réalité une loi protectionniste, veut attirer des investissements aux Etats-Unis.

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Lars Kalbreier: Les Etats-Unis sont en train de se constituer un avantage comparatif majeur par rapport à l’Europe, grâce au prix de l’énergie et à travers des subventions, notamment du programme Inflation Reduction Act.

Gero Jung: Mais c’est surtout l’incertitude qui dérange les entreprises. En Europe, on passera l’hiver, mais on a un point d’interrogation concernant le gaz et le pétrole pour 2023.

En outre, le dollar s’est fortement renforcé, ainsi une entreprise européenne qui veut regrouper des activités outre-Atlantique fera face à des coûts 15% plus élevés qu’il y a un an. On peut même dire qu’il y a une relocalisation industrielle en Europe: la pandémie a montré qu’il vaut mieux produire soi-même, ce qui est essentiel pour une économie.

Frédéric Potelle: Même avec un dollar 15% plus cher, si l’énergie coûte cinq ou six fois moins aux Etats-Unis…

Gero Jung: Oui, mais cela reste une incertitude, un risque.

Stéphanie de Torquat: Le grand défi de l’Europe sur les vingt-quatre prochains mois sera de reconstruire toute son infrastructure d’approvisionnement énergétique. Si celle-ci prouve qu’elle peut le faire, cela aidera au niveau du sentiment. Et si elle parvient à le faire, on aura un redémarrage européen plus significatif à moyen terme. Mais la croissance potentielle est déjà très faible en zone euro, et avec un choc externe provoqué par le coût de l’énergie, on flirtera avec la récession pendant longtemps, au-delà de celle qui va arriver. La Banque centrale européenne affirme que cette dernière sera courte et peu profonde, mais c’est surtout la reprise qui risque d’être courte et peu profonde. Même lorsque la récession sera finie et que les taux baisseront, on n’aura pas de reprise en V. On restera autour d’une croissance potentielle très faible en Europe.

Gero Jung: Les derniers indicateurs signalent que la récession en zone Euro sera modérée. Quant aux Etats-Unis, nous ne prévoyons pas de récession avant le deuxième semestre, car l’économie américaine résiste bien. Les indicateurs sont hétérogènes mais le marché du travail se porte très bien, les salaires augmentent de l’ordre de 6%, les demandes d’allocations chômage ont reculé en décembre et le taux de chômage de 3,7% en novembre est très faible. La confiance des consommateurs reste en place, l’indice de confiance des consommateurs est remonté en décembre.

Frédéric Potelle: Historiquement, les taux de chômage les plus bas comme ceux que l’on voit actuellement sont des indicateurs légèrement avancés d’une récession.

Gero Jung: Mais ce qui nous intéresse, c’est le «quand».

Stéphanie de Torquat: Le taux de chômage américain est l’indicateur le plus en retard qui existe. Ce taux de 3,7% appartient au passé. Le marché du travail peut rester résilient encore quelque temps mais les indicateurs avancés nous disent qu’à un moment, il va décrocher subitement.

Gero Jung: Les indicateurs avancés nous disent aussi que la confiance du consommateur reste stable ou s’améliore. Vous dites que les taux américains sont excessivement élevés, mais, en tant qu’économiste, si je revenais de Mars et que je voyais une économie qui croît autour de son potentiel et un taux de chômage inférieur au taux d’équilibre [qui ne peut plus baisser sans une accélération de l’inflation, ndlr], je me demanderais pourquoi les taux d’intérêt sont seulement à 4,3%, et pas à 9%.

Stéphanie de Torquat: Je ne dis pas que ce taux est excessif, mais qu’il est nécessaire pour lutter contre l’inflation, et qu’il sera difficile d’éviter la récession qui va avec.

La Suisse

Que prévoyez-vous pour l’économie suisse?

Frédéric Potelle: Un ralentissement clair par rapport à 2022 et une inflation toujours supérieure à l’objectif, notamment en raison des coûts de l’énergie en Europe auxquels la Suisse n’échappe pas complètement. En revanche, la conjoncture devrait être moins dégradée en Suisse que dans l’Union européenne.

Stéphanie de Torquat: L’économie suisse va pâtir du ralentissement en zone euro, qui est son principal partenaire commercial. Cela dit, son mix énergétique plus favorable lui confère une certaine résilience dans le contexte actuel. Par ailleurs, la Banque nationale suisse est dans une situation comparativement confortable, puisque l’inflation plus modérée en Suisse lui donne la possibilité d’être moins agressive, tout en ayant eu, en 2022, l’opportunité longtemps espérée de finalement sortir des taux négatifs.

Lars Kalbreier: Contrairement à la zone euro, la Suisse a de meilleures perspectives de croissance. En effet, grâce à une part domestique importante de production énergétique provenant de l’hydroélectricité, la Suisse est moins dépendante des livraisons de gaz naturel provenant de Russie. De plus, les entreprises suisses bénéficient de positions clés dans les secteurs d’exportation, notamment vers l’Asie, et devraient de ce fait bénéficier d’une meilleure conjoncture de la zone Asie.

Gero Jung: Dans notre scénario de base, nous tablons sur une croissance économique qui restera modérée, mais l’économie suisse devra éviter une récession.

Investir en 2023

Comment investir en 2023, après une année 2022 où actions et obligations ont baissé de concert?

Stéphanie de Torquat: L’année sera compliquée sur le plan macroéconomique, avec un ralentissement marqué dans la plupart des pays. Mais au niveau de l’investissement, on aura des opportunités qu’on n’avait pas en 2022. Clairement, sur la classe obligataire, tout le monde est d’accord là-dessus. On a un point d’entrée historiquement intéressant sur les obligations de qualité et la dette souveraine, et nous voyons aussi une grosse opportunité sur le crédit financier, car les banques vont dégager des marges d’intérêt net beaucoup plus élevées. En revanche, nous évitons, bien sûr, tout ce qui est exposé au risque de récession, comme le haut rendement. Sans oublier que le cash rapporte aussi à nouveau.

Frédéric Potelle: Pour nous, la dette souveraine en dollar offre du gros rendement et nous aimons aussi la dette d’entreprise de qualité, là aussi sans aller encore sur le haut rendement. On a choisi des échéances de cinq à sept ans, on obtient des rendements qu’on n’avait pas vus depuis 2009. Côté européen, nous nous sommes mis plutôt sur des échéances de trois à quatre ans car il y a toujours des risques de hausse de taux et d’inflation. Nous favorisons le crédit d’entreprise de qualité, car les rendements souverains sont plus bas en Europe.

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Lars Kalbreier: En dollar, on peut structurer des portefeuilles obligataires qui fournissent un rendement très similaire à celui des actions. On en rêvait depuis longtemps! On s’attend par exemple à un rendement de 5,5% sur les obligations de qualité.

Gero Jung: Nous aimons aussi la dette émergente en dollar.

Stéphanie de Torquat: La dette brésilienne, par exemple, est intéressante car la banque centrale est très en avance dans son cycle de resserrement monétaire, elle a commencé à remonter ses taux en mars 2021. Aujourd’hui, l’inflation est plus faible au Brésil qu’aux Etats-Unis, ce qui est assez inédit. L’Indonésie offre aussi de belles opportunités.

Frédéric Potelle: On peut donc avoir du 6% sans grand risque. On n’a donc pas besoin d’aller prendre un très grand risque avec les actions, sur lesquelles des interrogations demeurent.

Justement, une des grandes questions pour 2023 sera de savoir quand revenir sur les actions. Qu’en pensez-vous?

Stéphanie de Torquat: Ce n’est pas le moment, mais en cours d’année, lorsque nous atteindrons un point bas sur les données macroéconomiques, on aura un point d’entrée intéressant sur les actions.

Frédéric Potelle: L’indice ISM manufacturier américain qui tomberait à 45 constituerait un point d’entrée selon nous. La fenêtre de retour sur les actions se situe vraisemblablement au printemps.

Lars Kalbreier: Depuis 1870, on a observé 12 épisodes au cours desquels les actions et l’obligataire ont évolué dans le même sens. Ce qui est difficile à expliquer à un client privé, c’est que l’économie va se détériorer, les taux de chômage vont augmenter, les bénéfices des entreprises vont reculer mais que cela correspond exactement au moment où il faut investir. Les marchés actions tendent à anticiper les récessions, mais lorsque celles-ci se confirment, c’est là qu’on approche d’un plancher.

Et quand pensez-vous que ce phénomène va se produire?

Lars Kalbreier: Vraisemblablement au premier trimestre, lorsqu’on aura confirmation d’une récession aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. Nous prévoyons une récession modérée aux Etats-Unis et plus forte en Europe.

Gero Jung: Chez Mirabaud, on attend le pivot. Pour nous, outre la guerre en Ukraine, un des événements clés de 2022 a été la publication au début janvier du procès-verbal de la réunion du comité de politique monétaire de la Réserve fédérale qui s’était tenue mi-décembre 2021. Cette publication a montré que la Fed était prête à arrêter son assouplissement quantitatif et à relever ses taux – ce qu’elle a fait et qui a fait assez nettement baisser les marchés. C’est ce genre d’événement que nous attendons. On ne prend pas de pari sur la géopolitique, on ne sait pas ce qui se passe dans la tête de Vladimir Poutine ou d’autres dirigeants.

Frédéric Potelle: La situation actuelle n’est pas conforme à un cycle classique, donc cette fois, racheter des actions de façon indiscriminée car on prévoit une reprise n’est pas approprié. La bonne voie de retour sur les actifs risqués passe par le crédit d’entreprises de qualité, puis le haut rendement et ensuite peut-être les actions. Pour être cohérent, il faudrait recommencer par les actions de croissance, qui sont en fait des actifs à duration longue, dont le comportement financier s’assimile à celui des obligations, puis aller sur les sujets thématiques liés aux grands changements du monde. On passe d’un monde à l’autre, selon des tendances qui sont synchronisées et interdépendantes: la recomposition géopolitique, avec la Russie qui se rapproche de la Chine face aux Etats-Unis et leurs satellites; la transition énergétique; la souveraineté industrielle, avec le rapatriement d’activités en Occident, ou la souveraineté alimentaire; le nouveau régime d’inflation et les politiques monétaires des banques centrales.

Lars Kalbreier: Sur les 15 dernières récessions aux Etats-Unis, le recul médian de l’indice S & P 500 a été de -27%, mais de -33% pour les récessions plus dures (-2% ou plus) et de -21% pour les récessions plus légères (0 à -2%). Si l’on s’attend à une récession modérée, on a déjà fait plus du trois quarts du chemin.

Frédéric Potelle: Mais la hausse des prix crée un biais. On a déjà une récession en volume aux Etats-Unis, mais avec une inflation de 8%, les chiffres d’affaires progressent d’autant et les bénéfices par action sont soutenus à hauteur de 10 ou 12%. On rentre en récession avec un soutien de l’inflation sur les résultats des entreprises. Donc pour moi, cette fois, le recul du S & P 500 qui correspond au -27% historique est peut-être de l’ordre de -15 ou -18%.

Stéphanie de Torquat: Il y a déjà des opportunités sur les actions, en privilégiant les titres de qualité par exemple. Nous aimons aussi beaucoup les stratégies renouvelables, car c’est un thème séculier, les valorisations ont fortement baissé. Les valeurs concernées ont fortement besoin d’investissements et sont donc très sensibles aux taux d’intérêt. Comme nous arrivons au bout du cycle de resserrement monétaire, ces valeurs vont commencer à en bénéficier. Pour remettre un pied dans les actions, c’est une thématique très intéressante.

Lars Kalbreier: J’ajouterais que cette thématique, qui était par le passé tirée par la volonté de freiner le réchauffement climatique, s’est enrichie de l’enjeu stratégique de diversifier les sources d’énergie. En outre, alors qu’auparavant l’énergie n’était peut-être pas assez chère, les prix élevés des énergies fossiles rendent pour la première fois la plupart des énergies renouvelables moins chères que les énergies traditionnelles. Il y a donc une incitation naturelle à privilégier les nouvelles énergies pour les opérateurs. Les investisseurs peuvent s’exposer à cette thématique par des sociétés actives dans la transition énergétique et l’efficience énergétique, surtout dans des pays comme l’Allemagne ou les Etats-Unis, où existent des programmes importants de soutien à cette transition.

Et si la guerre se termine…

Que faudra-t-il faire si la guerre en Ukraine prend fin?

Frédéric Potelle: Nous achèterons des euros et des actions européennes, avec une vision à court terme.

Stéphanie de Torquat: Ce serait positif pour l’alimentaire, pour le sentiment des investisseurs mais l’Occident ne va pas recommencer à acheter du gaz russe.

Gero Jung: Le diable est dans les détails: y aura-t-il un changement de gouvernement en Russie? La Crimée redeviendra-t-elle ukrainienne?

Finalement, qu’est-ce qui pourrait mal tourner en 2023?

Frédéric Potelle: On va assister à une baisse des rendements alimentaires, ce sera problématique.

Stéphanie de Torquat: Pour moi, le risque principal serait que la Fed effectue un resserrement monétaire excessif. On pense qu’elle s’arrêtera à un niveau de 5% à la fin du premier trimestre, mais que fera-t-elle si le marché du travail reste résilient au cours des mois suivants? Si elle considère en mai-juin que le marché du travail est toujours très tendu et qu’en conséquence, elle remonte ses taux à 6 ou 7%, ce serait un accident. Les obligations tomberaient, les actions aussi, on aurait un atterrissage brutal dans le cycle économique.

Gero Jung: Je partage cette opinion, d’ailleurs on voit que la dernière grande banque centrale qui était très dovish [favorable à des taux bas, ndlr], la Banque du Japon, a annoncé le 20 décembre qu’elle commençait à changer de cap. La semaine précédente, la Fed avait relevé ses prévisions de taux de 50 points de base alors que l’inflation avait baissé, et qu’elle avait abaissé ses prévisions de croissance.

Stéphanie de Torquat: Ce risque d’erreur de politique monétaire est encore plus grand en zone euro. Les autorités combattent une inflation alimentée par l’offre, et de mon point de vue, elles vont trop loin. La situation est certes très compliquée, mais pré-annoncer plusieurs hausses de 50 points de base à partir de janvier n’était pas nécessaire. Il fallait sortir des taux négatifs et monter à 2%, ce qui a été fait, mais il fallait se laisser la possibilité de s’arrêter aux alentours de 2,5%.

Gero Jung: En ce qui nous concerne, la grande surprise, côté européen, a été l’annonce de la réduction du bilan de la BCE, qui va commencer au premier semestre. Ce n’était pas prévu, on s’attendait à une décision plus tard. Or cette réduction interviendra dans un contexte de déficit budgétaire – et donc avec un besoin de refinancement important de la part du souverain – en Europe. Cela pourrait créer un stress systématique, avec des tensions sur les taux souverains.

Frédéric Potelle: En plus, la facture énergétique vient de passer la barre du millier de milliards d’euros. En conséquence, la balance commerciale de l’ensemble de la zone euro est négative, pour la première fois depuis des décennies.

Stéphanie de Torquat: Cette disparition de l’excédent des comptes courants européens fait que la juste valeur de l’euro-dollar se situe probablement maintenant plutôt entre 1,05 et 1,10, contre 1,20 à 1,25 précédemment.

Lars Kalbreier: A mon avis, deux choses pourraient mal tourner en 2023. Du côté des banques centrales, un resserrement monétaire excessif engendrant un scénario de récession plus brutale qu’attendu. Un autre risque semble être aujourd’hui oublié: l’épidémie de covid n’a pas été totalement éradiquée. Le variant Omicron peut encore muter. Si une mutation venait à être plus dangereuse et résistante aux vaccins existants, elle nous replongerait dans la situation de février 2020, avec les conséquences que l’on connaît sur les marchés, jusqu’à ce qu’une solution viable soit trouvée.

Gero Jung: Il ne faut pas oublier les risques positifs pour 2023: la guerre en Ukraine pourrait se terminer, la réouverture de la Chine pourrait mieux se dérouler que ce que certains anticipent.

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