Leçons financières d’Islande
Analyse
La crise de 2008 est un cas d’école de bulle spectaculaire et sans précédent. Même si le pays a ses spécificités, la gestion de la catastrophe amène aussi des enseignements pour les autres pays

Il est difficile de prendre la mesure de ce que l’Islande a vécu en automne 2008 et dans les mois et années qui ont suivi, tant les conséquences de la crise ont été violentes. Cela ne nous empêche pas d’essayer, parce que c’est essentiel pour comprendre pourquoi la gestion de l’après-crise a été si radicalement différente du reste du monde. Car ni la bulle ni son explosion elle-même n’ont d’équivalents dans l’histoire économique de la planète et cela en fait un cas d’étude à plusieurs égards.
En premier lieu, parce que, contrairement à la plupart des pays touchés par la crise financière, le pays n’a pas les ressources pour venir en aide aux banques lorsque les trois plus grandes font faillite. Ces dernières ne comptaient pas seulement pour 90% du secteur. Leurs actifs représentaient aussi, après avoir enflé de manière quasi maladive depuis le tournant du millénaire et la privatisation, 14 fois le produit intérieur brut de l’Islande et 20 fois le budget de l’Etat. A titre de comparaison, UBS et Credit Suisse représentent deux fois et demie la taille de l’économie suisse aujourd’hui.
Faillite et austérité
Les réserves de la banque centrale islandaise sont aspirées en un éclair et, les banques ayant surtout besoin de monnaies étrangères, l’institution ne peut pas faire tourner la planche à billets pour les renflouer. Le gouvernement n’a pas davantage les moyens d’intervenir. Pire, il se retrouve lui-même aussi en faillite, secouru par le Fonds monétaire international qui le met au régime austérité. Parallèlement, la bourse perd plus de 80% de sa valeur, la couronne islandaise dégringole et la crise s’étend à l’économie réelle.
L’Islande n’est pas le seul pays à devoir laisser des banques faire faillite, mais il est certainement le seul pour qui les dégâts sont aussi catastrophiques. Ce qui explique en partie un deuxième développement unique: le pays s’est lancé dans un travail d’envergure qui a conduit à la condamnation de dirigeants bancaires à de la prison, du jamais-vu dans la crise de 2008, où, ailleurs, les condamnations se sont limitées à des employés n’ayant pas ou peu de responsabilités.
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Enfin, une troisième différence majeure apparaît. L’Islande représente aussi l’un des rares pays où le secteur financier a été redimensionné. Du moins, ses banques, lestées de leurs actifs étrangers, n’ont pas continué de grossir comme dans nombre d’autres pays. Dans le débat sur les banques dites «too big to fail», cette évolution a son importance.
Des banques toujours plus grandes
Pendant ce temps, le reste du monde a vu ses grandes banques devenir encore plus importantes. Prenons les Etats-Unis. Cinq ans après la crise, Fortune faisait le point dans un article, relevant que les six plus grands établissements – JP Morgan Chase, Citi, Goldman Sachs, Morgan Stanley, Wells Fargo, Bank of America – comptaient 67% des actifs du système financier américain, selon des recherches de la société SNL Financial. Soit 9600 milliards de dollars, en hausse de 37% sur cinq ans. JP Morgan seule était alors assise sur 2400 milliards d’actifs, soit la taille de l’économie britannique entière. Les quatre leaders du secteur employaient un million de personnes, contre 900 000 avant la crise, et la concurrence se réduit. En cinq ans, 1400 banques ont disparu, dont plus d’un tiers pour cause de faillite.
Toute comparaison a ses limites. Excepté cette parenthèse financière débridée, l’Islande n’a jamais été un point notable sur la carte du secteur bancaire mondial. Elle a trouvé, depuis, d’autres façons de rebondir, tourisme en tête, dans un autre genre de boom qui semble tout aussi démesuré mais moins dangereux. En outre, les banques européennes et américaines ont peut-être continué à grossir, mais elles sont aussi soumises à une réglementation plus stricte et qui les a obligées à solidifier leur assise financière.
Tant mieux. Parce que, dans une interview dans ces colonnes, l’ancien président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, ne cachait pas son inquiétude: «Nous sommes plus vulnérables à une crise financière mondiale aujourd’hui qu’en 2008», prévenait-il en novembre dernier.