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L’Europe étrille les «déficiences» continues des agences de notation

Publié lundi, un rapport de l’autorité financière de l’Union européenne pointe une série de dysfonctionnements. Face aux règles plus strictes à venir, les sociétés de rating réajustent leur note des pays au cours des dernières semaines avant 2014

Communication à des tiers, avant son annonce, de l’évaluation – confidentielle – d’un pays. Conflit d’intérêts. Délégation de responsabilité à des employés «junior». Le rapportpublié lundi par l’Autorité européenne des marchés financiers – l’ESMA – identifie les «déficiences» des agences se chargeant d’évaluer la capacité des Etats à rembourser leurs emprunts en temps et en heure.

Menée entre février et octobre, cette enquête alerte en particulier sur l’implication de la direction de ces sociétés privées dans le processus de notation; les spécialistes censés en être en charge étant souvent «impliqués de manière limitée ou en fin de processus». L’enquête cite même des cas dans lesquels «les analystes ont reçu des directives explicites au sujet [de la situation] des pays et des recommandations à faire au comité de notation». Dans d’autres cas ce sont des membres du conseil d’administration qui votent au sein de ces comités. Même s’ils ne peuvent y voter, «des membres de l’équipe de communication [y] participent directement», leurs interventions pouvant «donner naissance à des conflits d’intérêts». Par exemple en influençant la date à laquelle sera annoncée une décision défavorable sur la situation d’un pays.

Ce rapport sans concession avertit en outre de l’adaptation incomplète au maillage de règles strictes imposées depuis le 20 juindernier à toutes les agences enregistrées en Europe – les trois grandes contrôlant les neuf dixièmes de l’activité, mais aussi les francs-tireurs comme la chinoise Dagong. Hier, un porte-parole de la première d’entre elles, Standard & Poor’s, refusait de commenter cette enquête, se bornant à faire suivre un communiqué assurant que la société «améliorait constamment ses analyses et ses pratiques pour répondre aux plus hauts standards».

L’entrée en vigueur des dernières règles coercitives, il y a six mois, serait pourtant à l’origine des réévaluations en rafales de la solvabilité des pays européens des dernières semaines. A en croire un spécialiste de la banque HSBC interrogé hier par l’agence Bloomberg, l’encadrement strict des dates d’annonce des changements de notation des pays européens à partir de 2014 expliquerait ainsi les réajustements profitant au Portugal, à Chypre, à l’Espagne ou à la Grèce depuis un mois. Mais également l’exclusion des Pays-Bas du club des pays dits «triple A» – ceux à qui prêter ne présente aucun risque – par Standard & Poor’s. Interrogée, cette agence refusait hier de commenter le rôle du contexte réglementaire dans sa décision.

«De tels ajustements paraissent logiques, car, par la suite, les agences ne pourront rendre leur verdict sur les pays européens que trois fois par an, à des dates fixées à l’avance – par exemple le 1er mars, le 1er juillet et le 1er novembre», explique Norbert Gaillard, spécialiste de la question. «Dans le cas des récents abaissements de notes, ces ajustements laissent supposer que les agences veulent devancer tout événement défavorable survenant début 2014», poursuit cet économiste, qui a conseillé le rapporteur du texte au Parlement européen.

Avec cette règle, «le législateur voulait avoir prise sur ces annonces, mais la solution n’est pas parfaite», admet l’auteur d’un livre sur ces agences de notation paru à La Découverte en 2010. Ce dernier n’exclut en effet pas une agitation spéculative avant les dates d’annonce des notes. Mais aussi des décalages entre la note en vigueur et la situation effective du pays, en cas de choc économique entre-temps.

La récente perte de la note «AAA» des Pays-Bas figurerait parmi les ajustements liés aux nouvelles règles