Révélations
Installé depuis 2007, l’offshore mauricien est accusé de faire perdre des milliards de recettes fiscales à des pays d’Afrique et d’Asie. Les autorités locales jurent qu’elles respectent les conventions internationales

Au milieu de l’océan Indien, la petite île Maurice est, pour reprendre un cliché, un paradis pour touristes. Mais elle l’est aussi pour des capitaux étrangers, parfois d’origines suspectes et liés à la fraude et l’évasion fiscales. Dans le passé, le pays a fait l’objet de nombreuses critiques à cet égard. Mais les Paradise Papers – les révélations faites cette semaine par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses médias partenaires – montrent qu’il serait aussi au cœur d’un système qui fait perdre aux Etats, notamment d’Afrique et d’Asie, des milliards de dollars de recettes.
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Mis en place dans les années 1990, l’offshore mauricien s’est construit graduellement, de nombreux acteurs financiers internationaux ayant désormais pignon sur rue. Selon l’Agence mauricienne de promotion des activités financières, il compte 967 fonds d’investissement, 450 structures de capital-risque et 23 banques internationales.
Dans la ligne de mire
Dans son édition de vendredi, le quotidien français Le Monde, partenaire de l’ICIJ, cite le FMI qui évaluait les actifs placés dans l’île à plus de 630 milliards de dollars en 2002, soit cinquante fois le produit intérieur brut du pays. Et les pertes en recettes fiscales d’autres pays entre 100 et 300 milliards. En 2013, la Commission économique pour l’Afrique accusait Maurice, membre de l’Union africaine, d’appauvrir le continent. L’an dernier, l’ONG Oxfam classait le pays parmi les quinze pires paradis fiscaux. La députée européenne Eva Joly, qui mène également une croisade contre les paradis financiers, a l’île Maurice dans sa ligne de mire depuis plusieurs années.
Basés sur des documents fuités du cabinet d’avocats fiscalistes Appleby, les Paradise Papers mettent en exergue plusieurs cas où des capitaux douteux ont obtenu l’asile à Maurice. Le plus visible est celui de Jean-Claude Bastos de Morais, double national suisse et angolais. «C’est en 2013 au bureau d’Appleby de l’île Maurice, dans un bel immeuble du centre de Port-Louis, que le client a reçu l’accueil le plus chaleureux», raconte Le Monde. «Nous sommes enchantés d’agir en votre nom», lui indique Malcolm Moller, directeur associé du cabinet d’avocats fiscalistes Appleby dans un courrier à son riche client dont la société Quantum Global a décroché le mandat de gérer le fonds souverain angolais. Créé en 2012, doté de cinq milliards d’euros, ce fonds est installé à Zoug, en Suisse.
Jean Claude Bastos, client à risque
A Maurice, Appleby a même réussi à convaincre les autorités de lui donner un permis commercial alors même que ce dernier est considéré comme un client à risque. Jean-Claude Bastos a été condamné à deux amendes en Suisse pour délits financiers.
Maurice a été faussement décrite comme un paradis fiscal et un pays qui promeut un climat de secret
Les Paradise Papers évoquent aussi une pratique courante dans l’offshore mauricien, connu comme le «round tripping» et qui agace de nombreux Etats en Asie et en Afrique. A première vue, il s’agit d’investissements de sources mauriciennes arrivant en Inde, en Indonésie, en Thaïlande, mais aussi en Afrique du Sud. Mais en réalité, des sommes importantes arrivent à Maurice de ces pays et une fois «blanchies», reprennent le chemin inverse. A l’arrivée, elles sont considérées comme des investissements étrangers et bénéficient de multiples facilités: rabais fiscal, accès au crédit, exemption des droits de douane à l’importation des équipements. Le quotidien Le Mauricien du 7 novembre donne plusieurs exemples de «round tripping», qui ont été traités par le cabinet Appleby.
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Les révélations des Paradise Papers ont été largement reprises par la presse mauricienne. Tant les autorités que les professionnels de l’offshore se veulent rassurants. «Maurice a été faussement décrite comme un paradis fiscal et un pays qui promeut un climat de secret», a déclaré le premier ministre Pravind Jugnauth dans le quotidien Le Défi publié à Port-Louis. Pour sa part, l’avocat fiscaliste Dev Eriah cité par L’Express, autre quotidien, affirme que les Paradise Papers ne font qu'«établir la réalité des différents montages fiscaux, ce qui est une pratique légale. Quand c’est permis, ce n’est pas une évasion fiscale.»