Opinion
Le système de monnaie pleine permet l’émergence de vrais taux d’intérêt sur des marchés financiers libres, loin de tout fonctionnement bureaucratique, affirme Christian Gomez, économiste et ancien CEO de SG-Suisse

L’initiative «Monnaie pleine» (MP) vise à abolir le privilège des banques en matière de création monétaire pour redonner ce pouvoir exorbitant du droit commun, et ses bénéfices, au peuple suisse. Et, comme on pouvait s’y attendre, cette initiative, qui bouscule les pouvoirs établis et des préjugés bien ancrés, suscite des réactions fortes, dont l’accusation de mettre à mal les règles de fonctionnement d’une économie de marché et d’organiser la rareté du crédit.
Une argumentation pour le moins surprenante quand on sait que les promoteurs d’une telle réforme dans l’histoire furent précisément… les libéraux les plus irrécusables, dont Milton Friedman. Le rappel de quelques idées de base du libéralisme suffit à montrer en quoi les critiques «libéraux» de la réforme MP se trompent.
1re idée: Les libéraux s’opposent aux rentes de situation et aux «revenus non gagnés» (les «faux droits» de Rueff). C’est précisément le but essentiel de la réforme.
Par le mécanisme du crédit bancaire, les banques peuvent créer des moyens de paiement (les dépôts à vue) qui sont réputés substituables à tout moment à la «vraie» monnaie (BNS). Ce faisant, elles créent un pouvoir d’achat supplémentaire sur l’économie (au contraire d’un transfert d’épargne) qui a deux conséquences: (1) les banques tirent des revenus (les intérêts) sur des sommes qu’elles créent (à l’instar d’un faux-monnayeur…) et ce, de période en période jusqu’à l’infini; (2) Ces sommes nouvelles entre les mains des emprunteurs, qui ne sont pas la contrepartie d’une épargne, font bouger les marchés au seul profit de ces derniers. Deux traits rédhibitoires pour tout libéral conséquent et auxquels la réforme MP remédie.
2e idée: Les agents économiques sont d’autant plus efficients dans leurs calculs économiques que leur environnement est stable et leur horizon dégagé et prévisible. C’est précisément une conséquence de la réforme.
Basées sur le mécanisme du crédit bancaire, les injections monétaires dans l’économie dépendent aujourd’hui des «humeurs», optimistes ou pessimistes, des emprunteurs et des banques, d’où une évolution souvent chaotique de l’économie qui doit alors compter, pour sa régulation, sur les interventions des banques centrales. Or celles-ci disposent d’instruments massifs mais très imprécis et inefficaces, comme l’ont montré encore les expériences de politique monétaire récentes en Suisse et ailleurs (Quantitative Easing, taux négatifs et répression financière). Au contraire, la réforme MP donne à la BNS tous les moyens de contrôler la progression de la masse monétaire, dans le cadre d’une mission constitutionnellement définie, afin de régulariser la croissance économique et d’atteindre le taux d’inflation jugé optimal, d’où une plus grande stabilité et un allongement de l’horizon prévisionnel des agents économiques.
3e idée: Un fonctionnement efficace d’une économie de marché exige des systèmes de prix non faussés, y compris sur les marchés financiers. Encore une conséquence de la réforme.
Dans le système actuel, tel ne peut être le cas car les interférences entre le crédit et la création monétaire faussent la fixation des «taux naturels» (Wicksell) représentatifs des équilibres épargne-investissement, qui sont seuls capables d’assurer une croissance économique, à la fois, équilibrée et optimale (en termes d’efficacité). Au contraire, dans le cadre de la réforme MP, la plus grosse part de la monnaie serait introduite indépendamment du crédit (via le budget de la Confédération et des cantons) et générerait le revenu qui alimenterait l’épargne courante qui, elle-même, financerait l’investissement, d’où l’émergence de vrais taux d’intérêt sur des marchés financiers libres, loin de tout fonctionnement bureaucratique.
4e idée: La libération des initiatives individuelles et collectives exige la fiscalité la plus incitative possible. C’est aussi ça la réforme MP.
Dans le contexte de la réforme, la collectivité s’approprierait les gains de la création monétaire, ce qui veut dire que les injections monétaires pourraient devenir une ressource des budgets de la Confédération et des cantons, à l’instar des impôts et autres taxes, comme le suggérait déjà Maurice Allais (Prix Nobel 1988). Aux citoyens suisses de décider ensuite de l’utilisation de ces sommes: augmentation des dépenses publiques ou baisses des impôts pour dynamiser l’économie suisse et la rendre plus attractive.
* Maurice Allais avait coutume de distinguer les «libéraux alimentaires», qui n’avaient que des intérêts particuliers à défendre, et les «vrais libéraux» qui recherchaient à la fois l’efficacité de l’économie et l’équité sociale avec le souci d’améliorer le «bien commun». Pour ces derniers, tout devait être libre sauf une chose, essentielle, la création monétaire. La réforme MP s’inscrit pleinement dans ce cadre. A vrai dire, il ne peut y avoir de «vrai» libéralisme sans réforme MP.
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