Comment mesurer l’effet réel des investissements dits d’impact, c’est-à-dire qui concernent des projets cherchant à concilier rendement financier et influence positive sur la société? Faute de méthodologie partagée par tous les acteurs ou d’indices auxquels ils pourraient se référer, les investisseurs élaborent leurs propres méthodes, selon la nature de leur approche. Deux exemples concrets.

Quantifier certains effets de ces investissements peut être aisé. Un exemple simple se trouve dans les activités qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre ou la production de déchets. On mesure les quantités de CO2 économisées par une entreprise, sachant qu’une tonne vaut une vingtaine d’euros, on obtient facilement le gain pour l’entreprise.

De même, on peut savoir exactement le nombre de foyers qui bénéficient des produits d’une entreprise, affirme Tim Radjy, fondateur d’Alphamundi à Genève, un spécialiste de l’impact investing qui prend des participations dans des PME en Afrique et en Amérique latine: «Nous avons investi en 2012 dans Fenix, une entreprise créée par d’anciens employés d’Apple notamment, qui produit des panneaux solaires pouvant être installés sur le toit d’une hutte. Lorsque nous avons vendu notre part en 2018 – quand Fenix a été racheté par le géant français Engie – l’entreprise comptait plus d’un million de clients en Ouganda. Ces familles pouvaient alimenter leur téléphone portable ou produire leur propre électricité de manière renouvelable.»

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Mais ce chiffre ne reflète pas à lui seul l’impact des produits de Fenix. La pollution a aussi été réduite, puisque auparavant ce million de clients brûlait du diesel, du bois ou du charbon dans des génératrices électriques. Le passage aux panneaux solaires s’est aussi révélé positif pour la santé des familles concernées, en réduisant la pollution à l’intérieur des habitations, une source importante de mortalité infantile en Ouganda.

Inclusion financière

Plus surprenant, l’adoption des panneaux solaires de Fenix a aussi amélioré l’inclusion financière dans le pays, poursuit Tim Radjy, qui s’apprête à lancer un deuxième fonds ce printemps, en collaboration avec la banque hollandaise Triodos: «Au départ, un panneau était trop coûteux pour un agriculteur local, à 300 dollars. Grâce à notre investissement, Fenix a pu proposer des plans de financement sur 12 ou 24 mois. L’adoption du produit a été facilitée, mais surtout Fenix a obtenu beaucoup d’informations sur le comportement et les capacités financières de ses clients.»

Pour la première fois, ces familles ont disposé d’un historique de crédit, montrant qu’elles avaient remboursé leur dû dans les temps. «Cela leur a permis d’avoir accès à la finance sous d’autres formes, avec des hypothèques ou des prêts à court terme adaptés à leur profil», conclut l’ancien banquier d’UBS, qui organisera une conférence à Genève à l’automne pour marquer les dix ans d’Alphamundi.

Vraiment accessible, la médecine?

Evaluer les conséquences des investissements d’impact peut également être complexe dans le secteur de la santé. «On peut aussi facilement calculer le nombre de patients soignés par une chaîne d’hôpitaux, mais l’évaluation de la qualité des soins est plus délicate, décrit Willem Schramade, gérant de fonds spécialisé dans l’impact chez NN Investment Partners aux Pays-Bas. Cela passe par l’évaluation de la qualité du traitement lui-même, mais aussi de la qualité de vie du patient ou encore de l’accessibilité du traitement.»

Ces derniers aspects reposent sur un jugement et sont souvent multidimensionnels, poursuit notre interlocuteur, qui vient de publier un livre remarqué sur les investissements durables, Principles of Sustainable Finance: «L’accessibilité d’un traitement ne se limite pas à son coût. La chaîne d’hôpitaux indiens dans laquelle nous avons investi fournit un traitement contre le cancer à 2300 dollars, c’est-à-dire 90% moins cher qu’aux Etats-Unis. Mais le patient doit pouvoir se rendre à un hôpital sans parcourir des centaines de kilomètres, c’est une autre dimension de l’accessibilité de la santé.»

Il faut aussi se méfier des «me-too companies», conclut Willem Schramade, qui enseigne aussi la finance durable à Rotterdam. Ces entreprises n’ont rien à voir avec le mouvement de libération de la parole des femmes, elles ne font que copier des solutions bonnes pour l’environnement, sans véritablement apporter de plus-value. Un nième fabricant de panneaux solaires chinois en est un bon exemple: son produit permet d’économiser de l’énergie mais, faute de différenciation, son impact sera limité, ses marges basses et son impact sur la société et son avenir, nul.


Troisième génération du durable

Les investissements dits d’impact représentent la troisième incarnation des placements qui cherchent à être bons pour la planète. Très en vogue ces dernières années, ils succèdent à la pratique basée sur des exclusions d’entreprises polluantes ou actives dans des secteurs litigieux (tabac, armes), et à la sélection dite «best in class», qui identifie les entreprises ayant les meilleures pratiques en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). En résumé, l’approche ESG consiste à repérer les entreprises qui font bien les choses, tandis que l’impact vise à financer des projets qui bénéficient à la société. Par exemple en contribuant de manière significative à l’un des 17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies (et sans pénaliser les autres objectifs).