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L’ubérisation de l’industrie des fonds a commencé

La forte baisse des coûts à travers les ETF et la concurrence des plateformes internet modifient totalement l’industrie des fonds de placement

Les fonds indiciels cotés en bourse (ici Francfort) sont très populaires en raison de leur liquidité — © Reuters
Les fonds indiciels cotés en bourse (ici Francfort) sont très populaires en raison de leur liquidité — © Reuters

Méfions-nous des images trop faciles. Tout changement ne signale pas une rupture. Une ubérisation nécessite une chute des coûts, un changement de modèle complet et un partage. L’industrie des fonds de placements remplit-elle ces critères? A priori, c’est un océan de stabilité. Méfions-nous! Trop de dinosaures de l’industrie de la photo, des médias, de la téléphonie ont disparu pour ne pas avoir reconnu assez tôt l’émergence d’une nouvelle technologie. Nombreux sont les grands groupes de l’industrie des fonds de placement à parler d’ubérisation. Schroders par exemple, qui proposera en novembre une conférence sur ce thème. La porte-parole du groupe parle effectivement d’une «révolution dans la gestion d’actifs semblable à celle d’Uber dans les taxis». Le phénomène touche d’une part la vente de fonds de placement moins coûteuse par internet, d’autre part une prise de pouvoir par le consommateur. Les nouvelles plateformes de fonds lui permettent de trouver plus vite et à un meilleur prix le produit qui correspond le mieux à son profil et à sa capacité à prendre des risques. Au lieu de passer par son conseiller bancaire personnel, l’investisseur procède lui-même à des simulations de portefeuille et prend seul ses décisions, explique la porte-parole. Schroders a d’ailleurs pris une participation dans la société californienne Nutmag pour accompagner l’innovation. Comme dans d’autres branches, en finance le coeur de l’innovation se déplace vers la Californie.

Lire:  Glossaire des mots importants dans l’univers des fonds de placement et des produits structurés

La Suisse aussi paraît bien calme avec son marché de 858 milliards de francs à la fin septembre. L’encours n’a reculé que de 1,2% sur un mois. UBS domine toujours le classement avec 26% du marché, devant Credit Suisse (16,2%), Swisscanto (9,2%), Pictet (5,6%) et Blackrock (4,5%).

On aurait presque tendance à évoquer un grand fleuve tranquille. Pourtant le directeur de la Swiss Funds & Asset Management Association (SFAMA), Markus Fuchs, ne mâche pas ses mots. «La tendance à l’ubérisation est claire, même si elle est difficile à quantifier. Elle se renforcera d’ailleurs avec le changement de modèle de frais des banques (hausse des frais de dépôts et introduction de frais de conseil)», explique-t-il. La part des fonds semi-actifs est, à son avis, certainement «très élevée car beaucoup d’instituts vendent des fonds maison dont l’évolution est proche de celle de l’indice»

«Nous assistons effectivement à une ubérisation de la gestion d’actifs», confirme Philippe Ferreira, directeur auprès de Lyxor Asset Management, à Paris. L’émergence des ETF, ces produits indiciels cotés et à bas coût, pousse les fonds de placement semi-actifs vers la sortie. Ces derniers suivent de prêt le comportement de l’indice, mais demandent des frais de gestion très supérieurs aux ETF.

Une industrie rétive au changement

Une autre catégorie de produits profite de ces développements, les fonds de placement très actifs, comme les alternatifs (hedge funds, capital-investissement). «Pour l’instant, environ 80% du marché restent aux mains des fonds semi-actifs, mais dans cinq ans elle tombera peut-être à 60 ou 70%», ajoute Philippe Ferreira.

Même dans les fonds alternatifs, les coûts se réduisent. Eurekahedge observe que les commissions de performance dans les hedge funds sont passées de 17,1 à 14,7% en un an.

Non seulement le facteur des coûts incite les investisseurs à sortir lentement du semi-actif. Les réglementations contribuent aussi à ce déplacement. En effet, les ETF ne sont guère utilisés par les investisseurs privés, en Europe. Le vieux continent est essentiellement un marché d’institutionnels. «Lorsque les privés prendront le train des ETF, et cela va arriver avec l’interdiction progressive des rétrocessions versées aux distributeurs et l’émergence des investissements directs, l’ubérisation pourrait s’accélérer», selon Philippe Ferreira.

Un autre acteur local de la gestion d’actifs, sous couvert d’anonymat, n’hésite pas à évoquer les réticences de l’industrie à changer: «Aujourd’hui, les conseillers à la clientèle préfèrent toutefois recommander les fonds de placement traditionnels à leurs clients parce que la marge de la banque est supérieure, confirme l’expert», explique-t-il.

La réglementation joue pleinement son rôle. En France, l’assurance vie est fiscalement favorisée. Or l’attrait fiscal se limite à des fonds classiques et ne s’étend pas aux ETF. Ce qui limite l’attrait de ces derniers auprès des privés.

Tout le monde n’est pas convaincu. «A mon avis, nous assistons moins à une ubérisation de la gestion d’actifs qu’à une low-costisation», explique Mathieu Gilbert, responsable de la gestion quantitative & Overlays au sein d’Edmond de Rothschild Asset Management. L’ubérisation renvoie à une faille réglementaire dont l’utilisation permet de baisser fortement les coûts. «Dans la finance, après les dérives de la banque d’investissement, nous assistons plutôt à une augmentation de la densité réglementaire depuis 2008», poursuit le gérant genevois. Le gérant d’actifs, comme easyJet et RyanAir dans le transport aérien il y a 15 ans, dispose d’une licence de vol et satisfait toutes les contraintes, explique-t-il. Il affronte par ailleurs l’attrait croissant des ETF, sous leur forme classique ou plus sophistiquée (smart beta).

«Le client n’est pas disposé à payer le coût d’un fonds de placement semi-actif pour une performance qui n’est pas meilleure que celle d’un indice. «Il préfère l’ETF pour les blocs simples, indiciels, passifs, du portefeuille», selon Mathieu Gilbert. Tout le segment semi-actif de l’asset management est, à son goût, «voué à offrir des prix proches de ceux des ETF». Le coût est souvent proche de 100 points de base pour le premier et de 20 points base pour le second.

Pour les produits très actifs, où le gérant n’hésite pas à s’éloigner fortement ou même à ignorer les indices, «le client est prêt à payer davantage, à condition que la valeur du service soit à la hauteur et que la solution proposée réponde bien à ses besoins», avance Mathieu Gilbert.

Le bouleversement est plus profond qu’on ne le dit. Même l’ETF ne correspond plus à sa définition. La bourse suisse SWX nous explique que 50 à 70% du négoce d’ETF s’effectue hors des marchés cotés, selon les pays. Pourtant par définition ne sont-ils pas vendus comme des produits non seulement liquides mais aussi cotés en bourse?