«Le Vietnam est le pays le plus attractif»

Bourses Marc Faber livre son point de vue sur les marchés après le coup de froid venu de Chine

L’investisseur mise sur l’Indochine, mais se méfie des actions américaines et pense que le secteur du luxe va souffrir

Les tensions sur les places boursières mondiales semblent s’être apaisées depuis quelques jours. Le rebond reste toutefois modéré. Pour Marc Faber, le gourou des marchés financiers, il reste des opportunités d’achat pour des investisseurs à long terme. A court terme, la prudence est de mise.

Le Temps: Après le tsunami d’il y a deux semaines sur la bourse chinoise, dans quels pays d’Asie voudriez-vous investir?

Marc Faber: Pour le moment, peut-être que la meilleure chose serait de n’investir nulle part. Le ralentissement en Chine se poursuivra. L’Asie est très dépendante de la Chine, tout comme d’autres pays d’ailleurs. Donc si la Chine ne croît pas actuellement – et c’est ce que je pense d’ailleurs – cela a un impact sur beaucoup de pays. On assiste à une contraction du commerce en dollars au niveau mondial et cela est négatif pour les marchés émergents qui dépendent beaucoup des exportations. Il n’y a donc aucune urgence à se ruer sur les actions des pays émergents en Asie. Cela étant dit, si je regarde les évaluations des marchés en Asie et la dévaluation de certaines monnaies, plusieurs d’entre eux ont enregistré une forte baisse. Dans une perspective de sept à dix ans, ils sont donc relativement attractifs par rapport aux actions des Etats-Unis et vous gagnerez davantage.

– Avez-vous malgré tout une préférence pour certains marchés?

– Economiquement, le pays qui me semble le plus attractif est le Vietnam. Je ne dis pas cela car j’ai des investissements dans ce pays. Les investissements directs au Vietnam, les exportations et le produit intérieur brut du pays me font penser que c’est un marché beaucoup plus sain que d’autres. Un autre pays qui me semble attractif, mais qui n’a pratiquement pas de bourse, c’est le Cambodge. En fait, toute l’Indochine, soit le Laos, le Cambodge, le Vietnam, la Birmanie, l’Indonésie, la Malaisie, l’Inde et le Bangladesh, a de belles perspectives de croissance, mais investir dans des actions comporte des risques pour ceux qui ne s’y connaissent pas vraiment. Il est plus judicieux d’investir dans cette région via des entreprises de Singapour, de Malaisie et de Thaïlande.

– Dans ces trois pays, quels secteurs privilégiez-vous?

– En Thaïlande, je préfère les entreprises alimentaires. Elles sont grandes, profitables et disposent donc d’un certain avantage concurrentiel. Je ne fais aucune recommandation d’achat de titres, mais il me semble toutefois que Tipco Foods, Charoen Pokphand Foods et Thai Vegetable Oil sont bien positionnées dans le secteur alimentaire en Asie. Tout comme Vietnam Dairy Products. Par ailleurs, des entreprises de divertissement qui mènent des affaires au Cambodge, au Laos ou en Birmanie me semblent aussi prometteuses. Signalons aussi que des entreprises ont passablement souffert de la politique anti-corruption en Chine et du ralentissement chinois. Les titres d’entreprises de jeu de Macao sont attractifs. Ils ne vont pas progresser dans l’immédiat, mais sont à acheter dans une perspective à long terme. De manière générale, les marchés asiatiques ne sont pas aussi bon marché qu’après la crise de 1998 ou qu’en 2003 et 2009, mais ils ne sont pas non plus surévalués. A Singapour, les trusts immobiliers (REIT) offrent des rendements de près de 6%. Il y a certes un risque sur la devise, mais la plupart d’entre elles ont baissé par rapport au dollar. Cela peut évoluer dans l’autre sens désormais. Il faut toutefois être conscient que le ralentissement chinois sera bien plus marqué que ce que les gens perçoivent. Il y a six mois déjà, j’estimais que la croissance annuelle de la Chine était de 4% par an. Si je regarde les statistiques des ventes de voitures en Chine, la production industrielle, il me semble qu’un nombre important de secteurs y sont déjà en récession. En mai, j’avais averti qu’une correction de 40% de la bourse chinoise pourrait se produire et elle est arrivée. Ce n’est toutefois pas encore le bon moment pour acheter des titres chinois.

– L’once d’or s’achète à environ 1140 dollars. Est-ce le bon moment pour en acquérir?

– Oui, cela me semble opportun. Mais je dis depuis longtemps que les gens devraient acheter de l’or pour diversifier leurs placements. Surtout qu’on ne sait jamais comment le monde sera dans cinq ou dix ans. Il faut donc un peu d’immobilier, d’actions, d’obligations et des métaux précieux. Ceux qui ont tout misé sur les entreprises actives dans l’or et l’argent ont beaucoup perdu. Mais ceux qui ont investi 20 à 25% de leur fortune dans les métaux précieux il y a quinze ans sont en meilleure santé que ceux qui ont misé sur les actions. Même si le prix de l’or a diminué par rapport à 2011, il reste bien plus élevé que le niveau enregistré au milieu des années 90. A l’époque, l’once s’échangeait à moins de 300 dollars. Depuis 2011, le S&P 500 a surperformé l’or et encore plus les titres des producteurs. Mais depuis le début de l’année, l’or a surperformé le S&P 500. En euro et dans les devises des pays émergents, l’évolution de l’or a été assez positive. Certains disent que l’or pourrait dégringoler à 700 dollars l’once. Oui, cela est possible en période de récession profonde. Mais il faudra regarder alors à quel niveau les actions se situeront. Si l’or atteint 700 dollars, alors cela veut dire que nous serons dans une phase de resserrement massif des liquidités au niveau international.

– Y a-t-il des secteurs que vous éviteriez?

– Les entreprises qui font des affaires en Chine souffriront, que ce soit des fabricants d’ascenseurs comme Schindler, des entreprises dans la construction ou les machines de chantier telles Caterpillar et Komatsu. Mais les temps seront encore plus durs que ce que les marchés perçoivent dans l’industrie du luxe, en particulier l’horlogerie pour ce qui concerne la Suisse. Dans ce secteur, les groupes vont subir un fort ralentissement des ventes. De plus, ils se sont établis durant les dernières années dans des emplacements très recherchés et donc très chers. Ils devront faire face à des coûts fixes élevés sans pouvoir modifier facilement les termes des contrats. Leurs problèmes ne résulteront pas uniquement du ralentissement de la Chine, mais d’une offre excédentaire de produits de luxe au niveau mondial.

– Le ralentissement chinois n’étant pas terminé, anticipez-vous une nouvelle correction des marchés?

– On pourrait revenir au niveau d’il y a un an, mais j’imagine que la Chine imprimera de l’argent pour faire remonter les actions. Mais si vous voulez vraiment acheter des actions chinoises, les titres des entreprises de Hongkong sont plus attractifs, leur évaluation n’est pas trop élevée et elles sont bien gérées. Elles offrent des dividendes relativement élevés. Autre option: acheter des matières premières industrielles que les hedge funds détestent actuellement.

– L’impact des problèmes de la Chine sur le Japon sera-t-il fort?

– Oui, comme cela est le cas avec les exportations de la Corée du Sud et de Taïwan vers la Chine. Les exportations japonaises vers l’Empire du Milieu diminueront. De plus, comme tous les exportateurs de matières premières, tels le Brésil, l’Argentine, l’Afrique, l’Asie centrale, le Moyen-Orient et la Russie, souffriront d’une baisse des prix due au ralentissement chinois, ils auront moins de moyens pour acheter des produits finis auprès des pays développés comme le Japon. Donc l’Archipel sera en quelque sorte doublement affecté.

– En Europe, les places boursières ont perdu environ 6 à 9% durant le dernier mois. Y voyez-vous des opportunités d’achat?

– Tout est une question de court et de long terme. Je ne regarde pas d’aussi près le marché européen que celui des Etats-Unis. La semaine dernière, les actions américaines ont été extrêmement survendues et d’habitude ce mouvement est suivi d’un fort rebond, ce qui s’est d’ailleurs produit. Donc, à moins que les banques centrales ne s’embarquent dans une politique d’assouplissement monétaire de grande envergure, je ne vois aucun facteur qui pourrait permettre aux bourses d’atteindre des sommets. La hausse enregistrée depuis 2009 appartient au passé.

– Les Etats-Unis ne sont donc pas attractifs pour vous…

– Non, je n’y toucherais pas, même sur le long terme. Evidemment, il existe toujours des secteurs qui ont chuté fortement. Les producteurs de charbon, comme Peabody, ont perdu plus de 90% de leur valeur boursière. Tout comme des groupes miniers comme Newmont Mining, Freeport-McMoRan. Donc, pour un investisseur qui a de la patience, ces titres sont assez bon marché. Mais je préfère les groupes miniers actifs dans l’or et l’argent par rapport à ceux qui produisent aussi du cuivre ou des matières premières industrielles, car ils ne dépendent pas autant de l’économie mondiale.