Thomas Piske est directeur général de la division private banking du groupe LGT. Le groupe de la Principauté est en pleine expansion. Le taux de croissance annualisé des actifs atteint 13% au premier semestre et son bénéfice est en augmentation de 58%. Il répond aux questions du Temps.
Le Temps: Etes-vous le dernier patron d’une division de private banking ayant débuté comme apprenti?
Thomas Piske : Je l’ignore, mais il en reste peu avec vingt-six ans d’expérience dans le même établissement. J’avais débuté au Liechtenstein dans la gestion de portefeuille du groupe, avant de participer au développement de l’asset management, puis du private banking. En 1986, nous étions 300 employés et sommes aujourd’hui 1800. J’ai profité de la croissance de la banque. L’approche à très long terme de l’actionnaire principal a été un atout. D’ailleurs, tous les membres de la direction sont en fonction depuis plus de dix ans. La stratégie n’est pas modifiée chaque mois.
– La stabilité a une grande valeur, mais la banque a aussi subi de profonds changements. LGT est entrée en bourse, en est sortie, a investi en Allemagne avant d’en sortir. Quel est le principal facteur de différenciation de LGT auprès de la clientèle?
– Il existe très peu de banques gérées par leur propriétaire et, au moment où d’autres instituts modifient souvent leur organigramme et leurs métiers, LGT n’a pas changé de stratégie depuis 1999: nous nous concentrons sur le private banking et l’asset management.
L’une des originalités de LGT réside sans doute dans le fait que d’une part la famille princière gère sa fortune à travers LGT et que d’autre part le client peut adopter la même stratégie de placement qu’elle. L’horizon de placement de ce portefeuille princier est de dix ans. Les clients se sentent en confiance lorsque leur argent est géré comme celui de l’actionnaire principal de la banque.
La prudence et le professionnalisme sont alors prioritaires. La banque est très bien capitalisée et le bilan n’a pas subi de défauts de crédits depuis des années.
Nous jouons aussi la carte de la transparence, même en n’étant pas cotés. Standard & Poor’s et Moody’s évaluent notre bilan. C’est une combinaison attractive qui plaît sur l’ensemble de nos plateformes, en Suisse, au Liechtenstein, en Autriche, en Asie à Singapour et Hongkong.
La plupart des autres banques n’ont pas la même sérénité et la même stabilité des structures et du capital. La consolidation va d’ailleurs se poursuivre. Une banque avec 5 milliards d’actifs peut-elle survivre? LGT, avec quelque 100 milliards d’actifs, n’a pas ce problème.
– Les résultats vous donnent-ils raison?
– Oui, actuellement l’argent frais afflue. Il est réaliste d’imaginer que cette année, l’afflux d’argent frais de LGT dépasse 10% des actifs. C’est notre objectif.
– D’où viennent ces nouveaux capitaux?
– Heureusement, l’argent ne vient pas que d’un endroit, mais de toutes les sources d’enregistrement des clients, même si l’Asie croît le plus rapidement et dépasse 10%.
La croissance vient aussi de Suisse, du Liechtenstein et de l’Autriche. Le portefeuille est très diversifié. C’est le fruit des décisions prises en 1999, lorsque l’argent était exclusivement basé au Liechtenstein. Aujourd’hui, plus de 50% de la fortune est hors du Liechtenstein.
– Comment expliquez-vous votre percée en Asie?
– Nous avons une représentation en Asie depuis vingt-cinq ans et nous y avons intensifié nos efforts depuis douze ans. Nous avons débuté à Hongkong et sommes aujourd’hui 240 employés dans cette région, répartis pour moitié à Hongkong et Singapour. Il s’agit en majorité de clients asiatiques.
La clé du succès en Asie dépend de la loyauté des employés. Il s’agit non seulement d’engager des nouveaux collaborateurs de qualité, mais aussi de conserver les plus expérimentés. Or, nous ne subissons aucun départ. Et nous restons, autant pour les clients que pour les collaborateurs, une bonne adresse. Mais il est vrai que les salaires sont élevés en Asie. Pour les banques qui s’implantent seulement maintenant en Asie, cela s’annonce difficile. Je ne commencerais pas aujourd’hui à m’établir en Asie.
– Cette absence de départs en Asie peut surprendre. Vos salaires sont-ils supérieurs à ceux de la concurrence?
– Les collaborateurs gagnent un bon salaire et le modèle de participation aux bénéfices est similaire à celui du reste de l’industrie. Mais la culture à long terme et la présence active de l’actionnaire sont deux atouts majeurs ainsi que notre approche flexible et ouverte. Ces vingt-cinq dernières années, les crises n’ont pas manqué. Pourtant, notre taux de rotation est demeuré inférieur à 5%.
– Deux critères importent pour une banque, la performance et l’environnement réglementaire. Quelle a été la performance des clients de LGT en 2012?
– Les clients sont très satisfaits cette année du rendement des produits, qu’il s’agisse du portefeuille princier, des actions ou des mandats. Le rendement oscille dans l’ensemble entre 5 et 10% selon le profil de risque.
– Quelle est la composition du portefeuille princier?
– L’histoire de ce portefeuille débute dans les années 1990 avec la vente d’une partie du groupe. L’argent ainsi récolté par la famille princière devait trouver un but. La famille a demandé à la banque de lui faire une proposition avec un objectif de placement à dix ans. Le portefeuille à construire devait avoir un risque similaire à celui des obligations et un rendement proche de celui des actions.
Il en est résulté une allocation d’actifs qui n’a presque pas varié depuis lors: 20% de private equity, 20% de hedge funds, où nous disposons d’une bonne expertise et d’une solide position en Europe, et le reste en actions et obligations. La deuxième question portait sur le choix du gérant. La solution a été de créer des compétences dans la sélection de gérants.
LGT n’est pas une banque présente partout dans le monde. Nous nous concentrons sur le choix des meilleurs gérants. Depuis quinze ans, nos compétences ont été renforcées dans ce travail de sélection. Ce fut d’ailleurs le point de départ du portefeuille princier. Il est diversifié tant en termes d’allocations des actifs que de gérants. L’évolution de la valeur de ce fonds a parfaitement répondu aux attentes (+118,8% entre la fin de 1998 et la fin de septembre 2012).
Le rendement annuel est de 5 à 6%, malgré l’éclatement de la bulle internet et l’actuelle crise financière.
– Credit Suisse a fusionné l’asset management avec le private banking. Est-ce une solution valable également pour LGT?
– Non. D’autres banques procèdent peut-être à une telle décision stratégique en réponse aux difficultés actuelles. Chez LGT, nous disposions de deux départements d’asset management, l’un pour la gestion d’actifs traditionnelle (actions et obligations) et l’autre pour la gestion alternative. Nous les avions rassemblés pour éviter les doublons et parce qu’il est parfois difficile de décider s’il s’agit de traditionnel ou non. Nous avons par exemple engagé une équipe de spécialistes en obligations catastrophes (insurance-linked securities) qu’il n’est pas aisé à classer. L’autre raison est à chercher dans l’offre de services au private banking, qui est l’une des tâches majeures de l’asset management. Du point de vue interne, il est plus facile de s’adresser à une entité qu’à deux. La décision était donc logique.
Nous disposons ainsi d’une structure efficiente et nous nous concentrons sur les futurs développements, notamment dans la gestion alternative.
– Subissez-vous aussi une baisse des marges dans le private banking?
– Les marges baissent sur l’ensemble du marché de la gestion. Nous ne pouvons pas échapper à cette tendance.
Les clients effectuent moins de transactions. Le niveau des taux d’intérêt est très bas. Par ailleurs, le métier de banquier est toujours plus complexe, en partie en raison de l’augmentation des réglementations. Tout le monde en souffre. Nous devons, comme d’autres, utiliser les possibilités de baisse des coûts.
– Devez-vous quitter certains marchés?
– Non, ce n’est pas le cas. Nous poursuivons notre croissance et cette évolution positive concerne aussi les effectifs. La baisse des marges ne se traduit pas par la disparition du bénéfice. Nous continuons de faire des bénéfices. Le private banking reste attractif sur beaucoup de marchés.
– Le marché transfrontalier souffre, notamment pour les facteurs réglementaires. Est-ce le cas également pour vous?
– Oui et non. Il n’est pas possible de fournir une réponse générale. Naturellement, certains marchés enregistrent des retraits de fonds. Mais en Suisse, nous observons un afflux d’argent frais très important en 2012. Je parle ici de la Suisse en tant que lieu d’enregistrement des dépôts. Nous servons à partir de Suisse des clients de nombreuses régions et leurs dépôts augmentent.
Pour nous, le marché allemand croît encore et toujours, avec des produits fiscalement conformes. Le terme d’off shore n’est pas dépendant du statut fiscal. Nous avons également obtenu la gestion de plusieurs family offices importants. Au total, nous sommes parvenus à croître sur toutes nos plateformes et tous les domaines du private banking en 2012. La progression est certes plus rapide en Asie qu’ailleurs.
– En Suisse, l’avenir de la gestion de fortune se limitera-t-elle à la clientèle on shore?
– Non, je ne suis pas pessimiste. L’incertitude qui règne en Europe oblige les clients à diversifier leurs avoirs. Aucun Allemand ne laissera tout son argent en Allemagne. Son raisonnement ne se limite pas à la fiscalité. Aucun client riche ne concentre sa fortune sur un seul pays. Les capitaux sont à la recherche d’un endroit sûr, politiquement stable, et qui n’a pas de problème d’endettement. Il n’existe plus que 16 pays au bénéfice d’un rating de AAA. Et au sein de cette liste, la Suisse et le Liechtenstein appartiennent aux pays qui offrent une expérience et un service de qualité dans la gestion de fortune. Même si des capitaux pouvaient quitter le pays en liaison avec l’impôt libératoire, je n’ai aucune raison d’être négatif à l’égard de la Suisse et du Liechtenstein.
C’est également le même raisonnement que j’emploierais pour notre banque. Pourquoi venir chez LGT? D’abord à cause de l’institut lui-même, ensuite à cause du pays.
– Un refus allemand à l’impôt libératoire modifierait-il quelque chose à vos plans?
– Non, absolument rien.
– Vous aviez une activité en Allemagne, avez subi un vol de CD, êtes sortis du pays. Quel est votre bilan de cet engagement en Allemagne?
– Le bilan comporte des points négatifs et d’autres positifs. Au sein des premiers, je place l’impossibilité d’une reprise de BHF en 2011. Cet échec a motivé notre départ d’Allemagne. Si vous ne pouvez mettre en œuvre votre stratégie, vous devez en tirer les conséquences.
Dans l’idéal, l’acquisition d’une banque en ligne en Allemagne serait intéressante. C’est un marché attractif, bien que complexe.
Mais, dans les points positifs, nous étions présents en Allemagne depuis 2003 et nous avons beaucoup appris dans le cadre de cet investissement on shore. Le savoir-faire s’est accru et nous en profitons aujourd’hui.
– Etes-vous encore présents en Allemagne?
– Oui, mais uniquement dans l’asset management.