Que s’est-il passé? Est-ce le résultat d’un krach obligataire, d’une volatilité extrême ou un simple retour à la normale? «Tout dépend de la classe obligataire dont on parle», répond Roland Duss. Le responsable de la recherche à la banque Gonet & Cie n’hésite pas à parler de bulle sur les emprunts souverains américains et japonais. «Il est certain qu’avec leurs achats de dettes souveraines, la Fed et la Banque du Japon (BoJ) ne laissent pas grand-chose aux autres investisseurs. Du coup, les prix sont gonflés de manière artificielle et les taux atteignent des niveaux anormalement bas.»
Depuis le mois d’avril, la BoJ injecte des liquidités de façon massive dans le système financier, surtout via l’achat d’obligations d’Etat. «Elle en achète chaque mois davantage que les quantités émises», précise Roland Duss. En d’autres termes, elle se sert aussi sur le marché secondaire. Quant à la Fed, elle débourse mensuellement 45 milliards de dollars pour acquérir des bons du Trésor américain.
Cette politique monétaire a permis de maintenir le taux d’emprunt des Etats-Unis à dix ans entre 1,5% et 2% depuis avril 2012.
Puis, le discours de Ben Bernanke, le 14 juin, a changé la donne. Ses propos ont fait craindre un resserrement monétaire plus ou moins imminent, à condition que l’état de l’économie américaine ne s’améliore. Du coup, le taux d’intérêt des bons du Trésor à dix ans – qui évolue de manière inversement proportionnelle à son prix – est brusquement remonté pour atteindre 2,75%, le 5 juillet. Avant de se détendre quelque peu suite aux propos rassurants du patron de la Fed (2,59% vendredi). «Le dégonflement de la bulle a été rapide, souligne Roland Duss. Paniqués, les investisseurs se sont d’abord débarrassés de leurs dettes des pays émergents et des obligations à haut rendement avant de vendre les obligations réputées les plus sûres, tels les emprunts souverains.» Pour aller vers le marché action, mais surtout vers le marché monétaire.
Dans ses perspectives publiées le 18 juillet, BlackRock, le géant américain de la gestion d’actifs, évoquait lui aussi la réduction des mesures de soutien de la Fed et la fin de «l’ère de l’argent facile»: «Nous approchons de la croisée des chemins en matière de politique monétaire et nous avons assisté à une répétition générale de ce que sera son impact sur les marchés.»
Ce retournement, le fondateur de Pimco, Bill Gross, l’avait pressenti. Dans un tweet prémonitoire daté du 14 mai dernier, il notait que «les investisseurs n’ont jamais payé si cher pour des rendements si faibles et ne se sont jamais résignés à des risques aussi élevés».
Puis, début juillet, Bill Gross en appelait aux investisseurs obligataires: «Ne quittez pas le navire maintenant.» Pourquoi? D’abord, parce que les conditions posées par la Fed pour réduire l’assouplissement quantitatif – un taux de chômage de 7% et une inflation de 2% – sont loin d’être remplies. Pour l’instant ils sont respectivement de 7,4% et 0,5%. Ensuite, parce que «la Fed a régulièrement informé les marchés que son taux directeur (0,25%) resterait inchangé pendant une longue période, même après la fin de l’assouplissement», tient à rappeler le gourou de l’obligataire.
BlackRock est également sceptique. La Fed qui réduirait ses achats, c’est «essayer de remettre du dentifrice dans son tube…» Et le gérant d’inviter à prendre du recul: «Il y a moins d’une année, la plupart des experts considéraient qu’en acheter 40 milliards par mois était déjà énorme.»
Quelque peu étouffées par le flux de nouvelles sur les obligations souveraines, les obligations d’entreprises ont, elles aussi, été largement influencées par les considérations de politique monétaire. «Plus les taux réels sont bas, plus les entreprises se financent à bas coûts, et plus c’est positif pour leurs finances. Donc pour le marché des’corporate bonds’», résume Michael Markovich.
Une remontée des taux pourrait donc également coûter à ce segment obligataire. Mais le stratège obligataire de Credit Suisse n’adhère pas au scénario d’une grande rotation, qui verrait les investisseurs vendre massivement ces titres pour racheter des actions. «Ces deux marchés sont influencés par les mêmes facteurs fondamentaux – les résultats d’entreprises, la croissance économique, etc. L’un dans une plus grande mesure que l’autre. Mais pour autant que leur valorisation soit considérée comme équivalente, ce qui affecte les obligations d’entreprises finira aussi par peser sur les actions», prévient-il.
Pour Roland Duss, le coup de froid du mois de juin aura au moins permis de retrouver des niveaux considérés comme «normaux». «Logiquement, étant donné l’état de l’économie américaine et le fait qu’il n’y a pour l’heure pas d’inflation, le rendement des emprunts américains à dix ans devrait être de 3%, explique-t-il. Soit plus ou moins les niveaux actuels. Si bien qu’après avoir encaissé des bénéfices en vendant leurs obligations, les investisseurs sont en partie retournés vers cette classe d’actifs.»
Au même titre que le marché obligataire dans son ensemble, le fonds vedette de Pimco avait, d’une certaine façon, profité ces dernières années de la crise et de l’aversion au risque des investisseurs. Sa taille avait ainsi plus que doublé depuis la fin 2008 pour atteindre 285 milliards à fin mai.
Selon les statistiques de l’Investment Company Institute, l’association américaine regroupant les sociétés d’investissements, 947 milliards de dollars ont été investis dans des fonds obligataires entre début 2008 et fin 2012, tandis que dans le même temps, 548 milliards ont été retirés du marché actions aux Etats-Unis.
«La Fed répète que son taux directeur restera inchangé pendant une longue période», tient à rappeler Pimco