Alors que le grand huit des bourses, ces dernières semaines, focalisait toute l’attention, le marché obligataire n’était pas plus calme. De l’aveu même d’experts, des mouvements aussi violents à la hausse et à la baisse, c’est «du jamais vu». «Nous avons été surpris de voir le manque de liquidité, y compris dans les obligations souveraines américaines, qui représentent pourtant le marché le plus liquide du monde», raconte Catherine Reichlin, responsable de la recherche financière chez Mirabaud à Genève.

Le plus liquide, mais aussi le havre de paix ultime, en cas de crise. Or les obligations se sont retrouvées face à d’importantes turbulences: d’abord, il y a eu la ruée. Face à la panique, les investisseurs se sont précipités vers ces actifs considérés comme les plus sûrs et les rendements, notamment américains, ont atteint des plus bas historiques. Puis, un peu avant la fin du mois de février, le même mouvement inverse a eu lieu, avec autant de violence.

Tout le monde vend tout

En temps normal, les obligations et les actions vont dans des directions différentes, mais, alors que le coronavirus se répandait toujours plus loin et que les craintes quant aux dégâts sur l’économie montaient, tous les actifs ont commencé à chuter en même temps. «Dans les grandes crises, tout le monde vend, de façon indiscriminée. C’était déjà le cas en 2008», rappelle Catherine Reichlin.

Les raisons? Nombre d’investisseurs devaient trouver des fonds pour faire face à des appels de marge, et pour cela, autant se tourner vers un marché où il est facile de vendre et où les pertes sont limitées. «Ils se sont donc débarrassés en masse des emprunts d’Etat», reprend l’experte. En parallèle, alors que les gouvernements promettaient des milliers de milliards de dollars, d’euros ou de francs pour soutenir des économies paralysées par la pandémie, les investisseurs ont commencé à s’inquiéter de la solidité des finances publiques et ont donc préféré détenir du cash, plutôt que des obligations. Les mêmes mouvements se sont produits en Europe, notamment avec les emprunts souverains allemands, eux aussi refuges habituels en cas de panique.

La Fed, acheteur ultime

Dans ce contexte, les «faiseurs de marché», les banques qui mettent en relation le vendeur et l’acheteur, n’ont plus joué leur rôle. «Comme en 2008, ils se sont retrouvés sans capital pour tenir le marché», ajoute Catherine Reichlin. Du coup, les écarts entre prix de vente et prix d’achat se sont creusés à des niveaux record.

Avant que la Réserve fédérale américaine (Fed) n’intervienne et ne se présente comme un acheteur dans un marché qui n’en avait plus. «Elle a été particulièrement agressive pour remettre en place les facilités qui avaient été utilisées après la crise de 2008», soulignent des experts de Goldman Sachs Asset Management dans une note. De ce fait, les pressions ont commencé à diminuer sur le marché des obligations souveraines américaines, même si la liquidité reste un enjeu important dans d’autres parties du marché, poursuivent-ils, citant la dette d’entreprises et des emprunts municipaux. Pour ces derniers, les réponses budgétaires seront les plus importantes, jugent-ils. La façon dont les gouvernements soutiendront les entreprises – via des prêts qui devront ou non être remboursés – sera essentielle.

Quant à savoir si les obligations de certains Etats, jugés sûrs, resteront des actifs refuge, on le saura bien plus tard. Catherine Reichlin estime que ce sera le cas, «même si l’on ne peut pas exclure des distorsions de marché comme nous l’avons vu récemment, ce marché reste le plus grand et le plus liquide du monde. La réaction rapide de la Fed pour y ramener de la liquidité a été un soulagement et un signal positif de soutien.»