Mario Draghi n’a pas sorti le «bazooka» de la taille qui était attendue par les marchés. Jeudi, le président de la Banque centrale européenne (BCE) a certes annoncé que l’institut d’émission allait continuer d’ouvrir les vannes de sa politique monétaire mais pas autant que ce que certains acteurs espéraient.

Pour l’essentiel, la banque centrale prolongera son programme de rachats massifs de dette à hauteur de 60 milliards d’euros par mois jusqu’à fin mars 2017, contre un calendrier initial allant jusqu’à septembre 2016. En revanche, il n’a pas rehaussé le montant des achats mensuels de titres à 70 milliards, voire 80 milliards, comme cela a été parfois cité ces derniers jours. Et si la BCE a abaissé son taux de dépôt de 10 points de base pour le porter à -0,3%, elle a en revanche laissé inchangés les taux d’intérêt pour les opérations principales de refinancement.

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La série d’annonces de la BCE a permis de relâcher la pression sur la devise helvétique. En milieu d’après-midi, la monnaie suisse s’est affaiblie à 1,09 franc par euro, contre près de 1,08 franc avant l’annonce de la décision. Mario Draghi laisse aussi un peu plus de marge de manœuvre à la Banque nationale suisse (BNS) qui se réunira jeudi prochain. Que faut-il en attendre? «Les mesures annoncées par la BCE ont été, dans l’ensemble, plus ou moins conformes aux attentes, même si elles ont un peu déçu les marchés», observe Dominik Studer, économiste chez UBS. Si la BNS cherche à affaiblir le franc, il s’attend plutôt à ce qu’elle intervienne sur les marchés des changes en achetant des euros. Selon lui, la BNS n’a du reste pas eu besoin d’intervenir beaucoup pour maintenir le cours de la monnaie helvétique proche de 1,10 franc par euro. «Le cours du franc par rapport à l’euro affiché ces derniers jours correspond à la valeur de marché. La BNS n’a pas dû créer beaucoup de francs suisses pour maintenir son cours artificiellement bas», analyse-t-il.

Dans ce contexte, il s’attend au statu quo concernant les taux négatifs la semaine prochaine: «Les taux négatifs ont de nombreux effets secondaires, parce qu’ils encouragent à détenir de l’argent liquide et pénalisent les institutions de prévoyance et certaines banques. De ce point de vue, les annonces de la BCE rendront la tâche plus facile pour la BNS, car elle aura moins de pression à agir». «La BNS va réfléchir à deux fois avant d’abaisser encore ses taux négatifs», estime aussi Ursina Kubli, spécialiste des devises chez J. Safra Sarasin.

Les décisions de la Réserve fédérale américaine (Fed), le 16 décembre, auront aussi un large impact sur la BNS, rappelle toutefois Dominik Studer. Sur un horizon de douze mois, UBS s’attend à ce que le cours de la monnaie suisse s’affaiblisse graduellement à 1,10 franc par euro et reste proche de la parité contre le dollar. Reste que les avis divergent au sujet des annonces attendues à Berne jeudi prochain. Andreas Ruhlmann, d’IG Bank, table ainsi sur une intervention de même ampleur que la BCE – à savoir un abaissement d'«au moins» 10 points de base du taux directeur de la BNS – pour le porter à -0,85% le 10 décembre.

Des annonces inférieures aux attentes des marchés

Chez Credit Suisse, Maxime Botteron, responsable de la recherche macroéconomique, anticipe un abaissement du taux d’intérêt appliqué aux avoirs en compte de virement déposés auprès de la BNS à -1%, contre -0,75% actuellement. «Une baisse d’un quart de point du taux directeur reste notre scénario principal, même si la conviction du marché à ce sujet a un petit peu diminué», note-t-il. En revanche, une intervention avant cette date lui apparaît désormais peu probable. «Du fait que les annonces de la BCE jeudi ont été quelque peu inférieures aux attentes des marchés, la BNS pourrait profiter de cette situation pour abaisser ses taux comme prévu, ce qui aurait un impact plus marqué sur le cours du franc», met-il en perspective.

Compte tenu des nombreuses critiques qui existent déjà à propos des taux négatifs, la BNS ne va-t-elle pas hésiter à prendre une telle mesure? L’économiste relativise cet aspect: «Si la BNS ne fait rien, elle va être critiquée par les exportateurs. Si elle abaisse encore les taux négatifs, les critiques viendront des épargnants et des caisses de pension», relève-t-il. «La BNS dispose actuellement d’une ouverture pour démontrer qu’elle est vraiment déterminée à affaiblir le franc. Elle pourrait avoir de bonnes raisons de l’exploiter». Selon l’économiste, le flux de nouvelles négatives sur le front de l’emploi durant l’automne tout comme la croissance du produit intérieur brut inférieure aux attentes pourrait l’encourager à agir dans ce sens. A douze mois, Credit Suisse prévoit que la monnaie helvétique évolue aux environs de 1,10 franc par euro.

Déçus par la série d’annonces à Francfort jeudi, les marchés ont viré au rouge hier après-midi. «Les investisseurs qui étaient habitués à ce que Mario Draghi surpasse les attentes des marchés ont été déçus», observait hier la banque IG dans une note. Toutefois, souligne-t-elle, les quelque 360 milliards d’euros supplémentaires qui seront rachetés par la BCE entre l’automne 2016 et le printemps 2017 ne sont pas négligeables, ce qui devrait soutenir les marchés sur le long terme. Dans l’immédiat, le SMI a chuté de 1,8% à Zurich. À Francfort, le DAX a même dévissé de 3,8%, tandis qu’à Paris le CAC 40 a plongé de 3,6%.