Les sentiments des investisseurs changent très vite. Après avoir pris peur devant la hausse des prix, c’est la crainte d’un coup de frein conjoncturel qui incite à la prudence.

La reprise conjoncturelle a été forte dans le sillage des campagnes de vaccination et de la réouverture des économies. Elle a été si élevée que les marchés financiers ont craint une surchauffe et un retour durable de l’inflation. Mais si le caractère temporaire de la hausse des prix a été démontré par les banques centrales, d’autres craintes surgissent. La baisse des rendements obligataires américains, miroir d’un ralentissement majeur des économies, fait redouter une baisse des bourses ces prochains mois. Quelles en sont les conséquences pour les investisseurs?

Une croissance sur la voie de la normalisation

Qu’on ne s’y trompe pas. La croissance économique reste forte. Après une progression de 7,3% au premier trimestre, le produit intérieur brut (PIB) américain s’est probablement accru de 9,4% ces trois derniers mois, note Karsten Junius, chef économique à la banque J. Safra Sarasin. A son avis, la croissance tombera à +8,2% au troisième trimestre, puis à +5,1% au quatrième et la décélération se poursuivra l’an prochain. L’expert parle de «perte de momentum» pour expliquer ce moindre dynamisme.

«Non seulement l’économie américaine, mais, comme le montrent les indices des directeurs d’achat (PMI), l’ensemble des pays industrialisés sont en train de franchir le pic de la croissance», affirme Daniel Kalt, chef économiste d’UBS Suisse. La progression du variant Delta dans certains pays émergents (Inde, Indonésie) et au Royaume-Uni n’arrange rien, à son avis.

A lire aussi: Les marchés déconfinés

Les taux d’intérêt traduisent ce changement de rythme. Le rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans est tombé de 1,78% à 1,33% en trois mois, malgré des facteurs conduisant fréquemment à une hausse des taux. L’inflation a en effet touché la barre des 5% sur base annuelle en juin aux Etats-Unis. Le chômage est en repli dans les pays industrialisés et les entreprises présenteront ces prochaines semaines, selon les analystes, une forte hausse des résultats trimestriels. «Il n’y a pas à craindre le retour au scénario de stagnation séculaire», indique dans une note Mark Dowding, directeur des investissements chez BlueBay Asset Management.

Coup de frein boursier

«L’incompréhension des investisseurs est légitime. Mais les marchés financiers réagissent aux perspectives bénéficiaires à 12 mois et non pas aux résultats du trimestre précédent», commente Karsten Junius. Le chef économiste de la banque J. Safra Sarasin estime que les bonnes surprises devraient se faire plus rares de la part des entreprises. Les révisions des bénéfices effectuées par les analystes ne devraient plus être majoritairement à la hausse. «Je m’attends à un deuxième semestre difficile en bourse», conclut-il. Les indices devraient légèrement progresser sous l’effet des hausses de bénéfices, mais l’euphorie boursière devrait se dissiper. D’autant plus qu’à son avis l’inflation devrait diminuer plus lentement qu’on ne le croit.

A lire aussi: Le coût salarial, premier indicateur des pressions inflationnistes

Le passage d’une forte reprise à une croissance modérée devrait profiter aux actions défensives, comme la pharma, selon la banque J. Safra Sarasin. Le marché suisse devrait donc tirer son épingle du jeu.

La baisse des rendements obligataires américains s’est produite après que la Réserve fédérale américaine, le 16 juin, eut avancé à 2023 ses prévisions d’une première hausse des taux directeurs, selon Daniel Kalt. Sur les marchés des actions, il en est résulté une rotation sectorielle au profit des cycliques (banque, énergie et autres valeurs sensibles aux variations de l’économie) et au détriment des titres de croissance. Les valeurs technologiques, qui ont profité l’an dernier de la baisse des rendements obligataires, n’ont pas réagi positivement à la récente baisse des taux à long terme.

A lire aussi: Jusqu’où le S&P 500 va-t-il pouvoir grimper?

UBS s’attend à une volatilité accrue des actions ces prochains mois. L’indice VIX des titres américains a d’ailleurs franchi la barre des 20 points jeudi. «Je ne m’attends pas à un marché baissier. La bourse applique l’adage «reculer pour mieux sauter», indique Daniel Kalt. La croissance économique attendue à 7% aux Etats-Unis en 2021, 9% en Chine et 5% en Europe, couplée à une hausse des bénéfices des entreprises de 40 à 50%, devraient rassurer les investisseurs. Mais les rendements des obligations du Trésor à 10 ans devraient remonter de 1,3% à 2% ces prochains mois. Il ne sera pas aisé, selon UBS, de prévoir les préférences sectorielles à court terme.