«Le monde sera durablement inflationniste, sans que la croissance soit plus forte»
Prévisions 2022
AbonnéAprès une croissance soutenue en 2021, 2022 devrait se révéler comme une année de transition. Transition vers un rythme d’expansion normalisé et une inflation sous contrôle, mais qui reste un sujet d’inquiétude, selon trois experts interrogés par «Le Temps»

2022, l’année du retour à la normale? C’est en tout cas l’avis des trois spécialistes que Le Temps a interrogés sur leurs prévisions pour l’année qui commence. Un scénario «ciel bleu» devrait marquer 2022, avec une croissance mondiale qui devrait se normaliser, après avoir fortement accéléré en 2021, et une inflation qui devrait se stabiliser.
La hausse des prix constitue néanmoins la grande inconnue. Au-delà des tensions sur les chaînes d’approvisionnement, des facteurs plus structurels pourraient l’alimenter à moyen, voire long terme: la transition vers une économie plus durable et le mouvement de démondialisation, qui va s’accentuer. Sans oublier que tous les défis posés par la pandémie, et encore plus depuis l’apparition du variant Omicron en novembre dernier, ne sont pas réglés. James Mazeau, économiste chez UBS, Vincent Manuel, responsable des investissements chez Indosuez Wealth Management, et Jasper de Raadt, responsable des investissements chez Arode Wealth Management, une société de gestion de fortune genevoise pilotée par trois anciens dirigeants de la banque Degroof Petercam, confrontent leurs analyses.
Le Temps: Quels seront les grands thèmes de 2022 pour les investisseurs?
Vincent Manuel (Indosuez): 2022 sera une année transitoire, après 2021 qui a correspondu à une phase de basculement, avec l’espoir d’une vaccination à grande échelle et avec la découverte de ce que serait l’Amérique post-Trump. L’économie mondiale est très rapidement passée d’une phase de reprise à une accélération de la croissance et nous sommes en train de passer de l’accélération à la normalisation. 2022 s’inscrira dans un processus de normalisation des politiques monétaires et on sent les prémisses d’un ajustement budgétaire. En France, on commence ainsi à expliquer que le «quoi qu’il en coûte» est terminé, même avant les élections. Par ailleurs, des défis causés par la pandémie ne sont pas réglés.
Jasper de Raadt (Arode): Les marchés ont d’ailleurs réagi positivement le 15 décembre après l’annonce de la Réserve fédérale d’une réduction plus importante de ses rachats d’actifs, un arrêt probable de l’assouplissement quantitatif à fin mars et une hausse plus rapide de ses taux. Cela donne une feuille de route claire et le commentaire de la Fed était assez positif sur l’état de l’économie, ce qui est très rassurant.
V. M.: Le point clé est qu’avec la révision des prévisions de croissance pour les Etats-Unis de 3,8 à 4% par la Fed et des anticipations d’inflation bien ancrées aux Etats-Unis autour de 2,5%, c’est un scénario assez parfait. La dette reste soutenable, avec un taux d’intérêt réel négatif, et dans le même temps la Fed dispose d’une marge de manœuvre pour éventuellement baisser à nouveau les taux quand elle en aura besoin. C’est un scénario «ciel bleu».
James Mazeau (UBS): On comprend bien les douze prochains mois, mais la question est: «Qu’est-ce qui va se passer ensuite?». Les résultats des entreprises sont solides, on aura beaucoup moins de surprises sur ce plan en 2022 qu’on en a eu en 2021, on aura aussi beaucoup moins de croissance des bénéfices. Mais à un moment, la croissance va se stabiliser et si une récession doit être anticipée, elle n’arrivera pas dans les douze mois. La Fed a fait un travail remarquable jusque-là, les marchés ont confiance, mais la question se posera de savoir jusqu’où ira ce cycle économique.
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L’inflation constitue-t-elle un risque pour 2022?
V. M.: Dans ce scénario «ciel bleu», tout n’est pas simple, néanmoins. L’une des plus grandes inconnues concerne certains facteurs à l’origine de cette poussée inflationniste, comme les contraintes qui pèsent sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Le covid n’est pas leur seule cause, le Brexit ou les guerres commerciales jouent également un rôle. Ces facteurs de tension vont-ils se résoudre? C’est probablement l’un des points les plus complexes du scénario.
J. M.: Se dirige-t-on vers un nouveau régime avec une inflation plus élevée que lors des dix années précédentes? Parmi tous les arguments disponibles, on sait que la globalisation a atteint son sommet en 2018, avec un pic des échanges. La démographie et le vieillissement de la population sont présentés à la fois comme inflationnistes et désinflationnistes. Il est difficile de se former une opinion.
J. de R.: La démondialisation est déjà en route et va s’accentuer. Pour prendre des exemples très concrets, les usines planifiées et extrêmement coûteuses à construire pour faire face à la pénurie de semi-conducteurs sont notamment prévues en Allemagne, aux Etats-Unis ou dans d’autres pays occidentaux. Le covid a provoqué un changement de paradigme pour certains secteurs spécifiques ou sensibles comme la pharma. On s’est rendu compte qu’on était tributaires d’un ou deux pays, dont la Chine, et que cela représentait un risque. On en était plus ou moins conscients auparavant, mais la pandémie nous a confrontés à cette réalité de manière un peu brutale. Il y a eu une prise de conscience de l‘importance d’avoir un contrôle sur la chaîne d’approvisionnement.
J. M.: Oui, mais ce n’est pas pour autant la fin de la mondialisation. Elle va évoluer. Le rêve un peu populiste que l’on entend parfois, que toute l’industrie sera rapatriée en Europe, ne va pas se concrétiser.
V. M.: Il y a une part d’illusion et une part de réalité. L’illusion, c’est de croire qu’on va se remettre à fabriquer tous nos t-shirts dans les pays développés. La part de réalité est économique et géopolitique. Sur le plan économique, le paradigme de l’énergie renouvelable est plus régional: on produit un peu plus local et on transporte un peu moins de pétrole et de charbon à travers le monde. La technologie, la robotisation sont des facteurs de re-régionalisation, mais celle-ci consiste surtout pour les grands groupes mondiaux à se rapprocher de leurs clients, à construire des usines plus près d’eux. La géopolitique, enfin, conduit certains acteurs, peut-être comme TSMC [premier producteur de semi-conducteurs au monde, basé à Taiwan, ndlr] à se protéger politiquement en rapprochant les usines des régions d’utilisation, notamment le bassin automobile allemand. La souveraineté technologique ou sanitaire, le besoin d’autonomie dont peuvent avoir besoin certains secteurs sont aussi des facteurs de re-régionalisation. Enfin, il ne faut pas oublier une illusion statistique.
C’est-à-dire?
V. M.: La baisse de la part des échanges dans le produit intérieur brut (PIB) mondial ne signifie pas que l’économie se «démondialise». Les pays émergents ont vu leur demande intérieure beaucoup progresser, y compris en Chine, donc l’émergence d’une classe moyenne conduit mécaniquement à réduire la dépendance de ces pays envers les échanges internationaux.
J. M.: C’est aussi une volonté politique des autorités chinoises de réduire la dépendance économique de la Chine envers le reste du monde.
J. de R.: Les consommateurs sont devenus plus sensibilisés et plus exigeants dans leur acte d’achat, ils veulent davantage de produits locaux dans leur consommation courante. Un t-shirt fabriqué en Espagne ou au Portugal, et non en Chine, est devenu un argument marketing pour les détaillants. Les producteurs vont devoir s’adapter à cette demande et rapatrier une partie de leur production. Une évolution va se faire mais on ne va pas du jour au lendemain arrêter la mondialisation.
V. M.: Si l’on raisonne à un horizon de vingt ans, la convergence des coûts salariaux et des niveaux de vie pour les économies assez ouvertes rend moins attractif d’aller faire fabriquer des produits à 10 000 ou 20 000 km, surtout si les coûts de transports se renchérissent avec la prise en compte de l’impact carbone du transport. Donc des biens qui étaient produits en Asie du Sud-Est pourront être fabriqués dans des pays limitrophes où les coûts salariaux sont plus attractifs et avec moins d’enjeux géopolitiques et moins de dépendance à des chaînes d’approvisionnement.
Vous mentionnez la prise en compte de l’impact carbone dans le prix des transports. Une économie mondiale plus durable sera-t-elle forcément plus inflationniste?
J. M.: Il y a consensus sur ce fait: un monde plus durable sera vraiment inflationniste. Il y aura moins de pouvoir d’achat. Nous allons donc peut-être atterrir dans un monde avec une inflation plus importante que durant les dernières années, sans que la croissance soit plus forte.
J. de R.: Sortir du tout fossile et passer à d’autres facteurs énergétiques nécessitera des investissements structurels très importants. Il faut s’attendre à vivre avec des prix de l’énergie plus élevés dans ce contexte de transition énergétique.
J. M.: Des investissements qui manquent encore souvent. Dans «transition énergétique», on oublie souvent le mot «transition». On voudrait arrêter le pétrole et n’avoir que des éoliennes et des panneaux solaires un peu partout, mais ce n’est pas aussi simple que ça. On l’a vu lors de la COP26 sur le thème du charbon, ça prendra beaucoup de temps. Dans les années qui viennent, on risque de payer le prix du manque d’investissements dans le secteur des énergies fossiles. Les entreprises de ce secteur ont été très disciplinées pour conserver de beaux cash-flows, mais elles n’ont pas fait assez d’investissement, et ce n’est pas quelque chose qu’on peut rattraper en douze mois. C’est ce qui explique que les prix de l’énergie pourront rester élevés et volatiles.
Les taxes carbone qui pourraient apparaître dans différentes parties du monde vont-elles renforcer cette tendance?
V. M.: La taxe carbone est aussi et surtout un sujet de tension sociale. La taxe carbone aux frontières risque d’être payée principalement par la classe moyenne, dont la propension à consommer est plus élevée. L’énorme défi consiste à obtenir une transition juste: savoir comment éviter que la partie de la population à bas salaire dans les pays développés, qui est la plus consommatrice de biens produits en Asie, ne voie pas son pouvoir d’achat handicapé par l’augmentation des prix du pétrole et des biens importés.
Dans le mouvement de «re-régionalisation» que vous décrivez, la Chine va-t-elle conserver son rôle de moteur de l’économie mondiale?
J. de R.: La Chine va demeurer un moteur très important pour les pays émergents, toute l’Asie et même pour l’économie mondiale. L'année 2021 a été très mauvaise pour les actions chinoises, contrairement aux années précédentes. Cela s’explique par la reprise en mains du pouvoir sur certains pans de l’économie, comme la technologie. Mais on devrait assister à une normalisation.
V. M.: La croissance chinoise reste centrale dans l’équation de croissance mondiale, mais avec une tendance à la décélération. Le pays est en passe de devenir la première économie mondiale, avec pas loin de 20% du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat. La banque centrale chinoise a eu une volonté plus nette de soutenir l’économie en 2021. La croissance des bénéfices a néanmoins beaucoup déçu en Chine l’an dernier, mais on s’attend à ce qu’elle atteigne un rythme à 2 chiffres en 2022 contre plutôt de 5 à 10% dans les économies occidentales. Si on fait une analogie avec les styles d’investissement, on peut se demander si le pays coche encore la case «growth» [valeurs de croissance, ndlr], mais en tout cas il coche nettement la case «value» [valeurs sous-évaluées, ndlr].
J. M.: Les sociétés technologiques sont effectivement peu chères, mais il faut rester conscient du poids de la politique en Chine. Après avoir mis en avant la prospérité commune et lancé une offensive contre la tech ou les monopoles, il est difficile de savoir si Pékin va revenir avec une nouvelle surprise l’année prochaine ou dans deux ans. La Chine est attractive sur une longue période de temps, mais à un horizon de trois mois, c’est un pari plus risqué.
Comment pensez-vous que la crise de l’immobilier, incarnée par les difficultés d’Evergrande, va se terminer?
V. M.: Notre conviction est que l’immobilier chinois est en train de connaître un véritable atterrissage, une restructuration mais sans caractère systémique.
Quelle allocation d’actifs recommandez-vous pour 2022?
J. M.: De manière générale, les bénéfices devraient être en hausse en 2022, avec probablement moins de surprises qu’en 2021. Quand on regarde le niveau de valorisation des actions mondiales, il y a peut-être plus de potentiel au sein de certaines régions, plutôt que d’être passif et d’acheter un indice mondial. Le Japon et la zone euro sortent un peu du lot, ce sont des économies cycliques qui se trouvent encore dans une période de rattrapage.
V. M.: On trouve des écarts de valorisation assez importants entre l’Europe et les Etats-Unis, par exemple dans l’automobile ou le secteur bancaire. Cela pouvait se justifier ces dernières années par une plus forte croissance des bénéfices et des rachats d’actions plus importants côté américain, mais cet avantage est peut-être en train de disparaître. Donc être surpondéré en Europe se justifie clairement.
Quels éléments recherchez-vous dans des entreprises?
J. de R.: Comme nous l’avons fait ces dernières années, nous accordons beaucoup d’importance à la notion de «pricing power», c’est-à-dire la capacité de certaines entreprises à répercuter la hausse des coûts de matières premières ou de transport. Nous privilégions également à nouveau les entreprises qui sont positivement corrélées à la hausse des taux, comme les valeurs financières. Au niveau des secteurs, nous mettons en avant la pharma pour 2022.
J. M.: La sous-performance de la pharma en 2021 peut sembler contre-intuitive, mais elle s’explique par le fait que nous avons consommé moins de médicaments, nous nous sommes moins soignés ces deux dernières années. Les valorisations sont intéressantes dans ce secteur que nous aimons aussi beaucoup. Son côté défensif est bien adapté à cette phase de normalisation de la croissance qui devrait arriver.
Les entreprises de qualité, avec du «pricing power», sont très recherchées et donc chères. N’est-ce pas un frein pour l’investisseur?
J. M.: Les valorisations peuvent être assez élevées pour ce type de sociétés. En outre, le sujet du pricing power est facile à expliquer mais moins à mettre en place. Il est facile d’identifier des sociétés avec des marges stables et des produits dont on a besoin, mais ça ne fonctionne pas toujours. Des entreprises qui avaient un pricing power peuvent le perdre; il existe aussi parfois avec un biais sectoriel en faveur de la technologie et de la consommation discrétionnaire par exemple.
V. M.: On peut distinguer deux types de pricing power. D’une part, un pricing power séculaire, lié à la force de la marque, à une position de monopole. Il est donc généralement assez constant mais il se paie cher et il peut se retourner car même de belles marques de la consommation ont parfois vu leur fortune se retourner au cours de l’année. D’autre part, un pricing power beaucoup plus cyclique, lié à des rapports de force momentanés, par exemple à des phénomènes de pénuries. Il faut le surveiller car il est moins résilient. C’était un thème à jouer en 2021 et peut-être une opportunité pour 2022, car statistiquement, il fonctionne plutôt mieux dans les phases d’inflation.
J. de R.: Les performances des marchés actions ne vont probablement pas pouvoir égaler celles de 2021, mais nous les voyons toujours en hausse. Les fondamentaux restent solides, et les bénéfices devraient rester très soutenus en 2022. Concernant les actions, nous restons très diversifiés en termes géographiques et sectoriels. Nous favorisons plutôt les défensives, et on tend à éviter encore les secteurs liés au tourisme, au transport, à l’événementiel, même si elles se traitent à des niveaux massacrés. Elles n’offrent aucune visibilité et on est complètement tributaires de l’évolution de la pandémie.
V. M.: Nous avons plutôt tendance à sous-pondérer les valeurs défensives, par exemple la consommation de base qui va être plus affectée par les problématiques de marges, mais aussi l’immobilier et les services collectifs. La santé est le seul secteur défensif que l’on aime bien dans cette phase. D’un côté, nous voulons investir dans des entreprises sous-valorisées, car on pense que ce sont les valeurs qui tiennent le mieux lors des phases de reflation [stimulation de l’économie, ndlr]. On aime bien aussi les valeurs de qualité avec de la croissance et des marges résilientes. Parmi les choses que l’on recherche, j’ajouterais les valeurs d’innovation et de disruption qui sont rentables, et les thèmes cycliques que l’on retrouve assez bien au Japon et en Europe.
J. M.: Nous sommes sous-pondérés sur les services collectifs (utilities), la consommation de base, et surpondérés sur l’énergie, les financières et la santé. Nous aimons aussi les moyennes capitalisations américaines. Mais ce ne sont que des recommandations tactiques, ce sont nos convictions du moment. Sur le long terme, la stratégie d’allocation d’actifs [la part accordée à chaque catégorie d’actifs, ndlr] est ce qui paie le plus. Les particuliers se demandent parfois s’ils doivent tout vendre et rebalancer complètement leur portefeuille, la réponse est non.
A ce propos: Les entreprises naviguent entre inflation et pénuries
Comment voyez-vous évoluer les devises?
V. M.: Début 2021, un consensus très fort s’était dégagé sur le fait que le dollar allait se déprécier. Soit à cause du double déficit, budgétaire et commercial, des Etats-Unis, soit à cause de la politique économique des démocrates. Notre lecture est que la parité euro-dollar est d’abord influencée par l’écart de politique monétaire. Nous anticipons une normalisation de la politique monétaire de la Fed et peu de changement du côté de la Banque centrale européenne, ce qui devrait se traduire par une force relativement résiliente du dollar.
J. M.: Je partage cette vision: la remontée des taux américains sera favorable au dollar, y compris par rapport au franc. La paire euro-franc suisse devrait en revanche rester beaucoup plus stable. La politique de la Banque nationale suisse est intéressante: on a vu qu’elle a moins protégé le franc en novembre-décembre. Conséquence: le franc est passé sous la barre des 1,05. Est-ce que ça va continuer? A mon avis, le franc suisse va perdre son côté valeur refuge et on devrait avoir un euro-franc un peu plus haut, qui devrait se stabiliser à 1,08.
J. de R.: Les perspectives pour le franc suisse restent positives à notre avis, il devrait rester à des niveaux élevés car l’inflation est plus basse en Suisse qu’en Europe ou aux Etats-Unis et son rendement en taux réel sera favorable. Nous ne voyons pas le franc revenir prochainement à 1,10 contre l’euro.
Peu attractif en 2021, l’or va-t-il retrouver des couleurs en 2022?
J. de R.: L’or n’a pas connu une bonne année, mais comme l'on s’attend à une année 2022 plus volatile, avec une série d’incertitudes, l’or sera toujours important pour jouer un rôle de stabilisateur dans les portefeuilles.
V. M.: L’or offre une très bonne protection, mais pas contre tous les scénarios. Il est très efficace contre les taux d’intérêt réels négatifs, ce qui explique qu’il ait touché un pic contre le dollar à l’été 2020, quand on a eu une poussée de la croissance alors que les banques centrales étaient encore extrêmement accommodantes. Par ailleurs, sur de très courtes périodes, l’or peut jouer son rôle de protection contre la volatilité. On l’a vu lors de l’apparition du variant Omicron en novembre, avec des craintes sur la croissance. Dans ces moments-là, l’or a très bien performé et joué un rôle d’amortisseur. Une configuration moins porteuse pour l’or serait une inflation qui va normalement décélérer à partir du printemps ou de l’été, et des taux courts qui sont censés remonter. Cela signifie qu’on aurait des taux réels moins négatifs.
J. M.: Pour nous, l’élément central est les taux réels américains, qui devraient remonter, ce qui est négatif pour l’or. J’observe que l’on parle beaucoup d’or lorsque les marchés sont à des sommets historiques. Les investisseurs ont alors tendance à accorder davantage d’importance à des problèmes comme des tensions politiques et à chercher des solutions pour se protéger, en voulant vendre des actifs risqués. Ils pensent alors souvent à l’or, un peu par défaut, car le cash et l’obligataire ne sont pas intéressants. Mais l’obligataire peut jouer un rôle.
Vraiment? Il y a donc de l’espoir sur l’obligataire?
J. de R.: Dans un environnement de remontée des taux, en tout cas aux Etats-Unis et de taux négatifs en Europe, et de pressions inflationnistes mondiales, nous privilégions clairement les actions et nous voyons peu d’attrait à avoir de l’obligataire. Les perspectives de rendement resteront faibles pour les années à venir.
J. M.: Des poches obligataires peuvent être intéressantes. Nous n’aimons pas trop l’investment grade [obligations présentant un faible risque de défaut, ndlr] et on est encore neutre sur le haut rendement (high yield). Il y a encore des opportunités à saisir, par exemple dans le high yield asiatique, qui offre un rendement de 12%. Bien sûr il faut avoir du cran pour y aller, mais beaucoup de mauvaises nouvelles sont déjà intégrées dans les prix. Certes, la situation peut encore empirer, mais cette occasion nous semble attractive. Autre opportunité, le crédit aux entreprises, les senior loans, qui ont une priorité par rapport aux autres dettes non garanties, offre des valorisations attractives en ce moment. Mais je comprends les interrogations des clients sur la place de l’obligataire dans un portefeuille, les différentes alternatives possibles et comment se protéger. Des instruments de protection peuvent être utilisés comme des stratégies sur options.
V. M.: Détenir des obligations d’Etat à long terme dans un portefeuille de gestion privée apporte peu aujourd’hui. Cela peut jouer un rôle d’amortisseur en cas de forte dégradation du scénario macroéconomique, mais cela ne va pas apporter du rendement. Or le risque est plutôt qu’on ait des taux qui remontent, pas qu’ils baissent à nouveau. Ceci dit, on pense qu’il est toujours intéressant de porter des obligations d’entreprises jusqu’à leur maturité, notamment dans le high yield américain court, où le taux de défaut est estimé à moins de 2% pour 2022. On est aussi constructifs sur les obligations high yield asiatiques, dont les rendements sont très élevés. On a aussi beaucoup renforcé les dettes subordonnées bancaires au printemps 2020, car les banques ont des bilans solides et sont plutôt en train de rendre du cash aux actionnaires. Enfin, les obligations indexées à l’inflation ont permis à certains moments de jouer les hausses des prévisions d’inflation.