C’est une cryptomonnaie avec laquelle il faut désormais compter: le bitcoin. Une cryptomonnaie? Devise virtuelle, le bitcoin s’échange ­entre ordinateurs ou téléphones, via un algorithme complexe. Aucun billet, aucune banque centrale. Le bitcoin a commencé à faire ouvertement parler de lui en avril, lorsqu’un krach a fait chuter sa valeur, en quelques heures, de 266 à 70 dollars. En août, le bitcoin a accru sa notoriété. Le 19, l’Allemagne lui reconnaissait le statut de monnaie privée – avec l’idée de taxer les échanges à hauteur de 25%. Et lundi passé, des membres de la Bitcoin Foundation rencontraient, aux Etats-Unis, des représentants des Départements de la sécurité intérieure, du Trésor et du FBI pour leur expliquer le fonctionnement de cette monnaie.

Le bitcoin a été inventé en 2009, par un informaticien anonyme. L’argent est généré très lentement par un logiciel à installer sur son ordinateur, dont la puissance de calcul est partagée en réseau. L’inventeur de la monnaie a programmé que 21 millions de bitcoins seraient générés d’ici à environ 2040 – environ 11,5 millions sont actuellement en circulation. Ils permettent d’acheter pizzas, sushis, ordinateurs ou bières dans quelques établissements. Problème, le bitcoin est aussi soupçonné d’être utilisé pour des échanges de produits illicites.

Que vaut réellement le bitcoin?

Aujourd’hui, le cours est de quelque 146 dollars pour un ­bitcoin sur les plateformes d’échange. Comment estimer sa valeur réelle? «On peut tirer un parallèle avec l’or, avance Sébastien Galy, analyste auprès de la ­Société Générale à New York. Nous savons qu’il y a une quantité limitée de bitcoins, qu’il faut des ressources – les ordinateurs, l’électricité et le temps – de plus en plus importantes pour les «extraire». Beaucoup d’acheteurs sont entrés sur le marché au printemps par effet de mode – ou à cause de la crise chypriote, avant cette chute catastrophique. Maintenant, le marché est mûr et tous ceux qui ont voulu y rentrer sont là.» Richard Bove, analyste chez Rafferty Capital Markets, en Floride, est réservé. «En fait, sa valeur est surtout dictée par des événements externes: un taux d’inflation très élevé au Brésil pourrait par exemple inciter ses habitants à acquérir des bitcoins. C’est encore une monnaie expérimentale et il faudra du temps avant que son cours ne se stabilise.»

Vaut-il la peine d’investir?

Sébastien Galy se veut prudent: «Je ne peux donner de conseils, mais il faut savoir que c’est un petit marché avec des règles très complexes et des acteurs expérimentés qui s’y connaissent très bien.» Un avis que partage Richard Bove: «Il y a une très forte volatilité. Sans parler des risques techniques et de piratage. Mais pourquoi ne pas investir une petite somme?»

Le fait que le nombre de bitcoins à créer est défini influera-t-il sur son prix dans quelques années? «Je ne pense pas, poursuit Sébastien Galy. Le marché a déjà anticipé ce chiffre et cette limite.»

Les jumeaux Winklevoss, qui s’étaient fait remarquer en revendiquant la paternité de Facebook, ont voulu profiter du succès des bitcoins pour lancer un type ­d’investissement inédit. Ils veulent faire enregistrer un ETF, un produit qui réplique la performance des bitcoins. Persuader la SEC du bien-fondé de la démarche risque cependant de prendre du temps, selon des spécialistes.

Le bitcoin ne sera-t-il qu’un effet de mode?

Richard Bove croit en cette monnaie: «Si le bitcoin et d’autres monnaies virtuelles existent, c’est parce qu’il y a une demande forte. Certains investisseurs ne veulent pas dépendre des actions d’une banque centrale ou des paroles de politiciens qui influent sur des monnaies.» Sébastien Galy est d’un avis similaire: «Il y a une demande non seulement pour le bitcoin mais plus globalement pour des monnaies privées. On voit sur les sites spécialisés que d’autres cryptomonnaies existent, dans l’ombre du bitcoin.»

Quelle réglementation va s’appliquer?

Rançon du succès, le bitcoin a vu un premier escroc se faire pincer pour une utilisation peu scrupuleuse. S’inspirant de Madoff et d’autres adeptes du schéma de Ponzi, un Texan a mis au point sa propre arnaque. Le fondateur de Bitcoin Savings and Trust promettait un rendement de 7% par semaine, payant les investisseurs avec les nouvelles entrées de fonds, qui servaient également à son propre usage, selon la plainte déposée par le gendarme de la bourse américaine, la SEC.

Le fonds, qui a engrangé au moins 700 000 bitcoins (environ 90 millions de dollars au cours actuel) depuis septembre 2011, pourrait passer entre les gouttes, le bitcoin n’étant pas considéré comme une monnaie réglementée, estimait son responsable. Il a eu tort. Début août, un juge fédéral américain l’a condamné, considérant non seulement le bitcoin comme une forme de monnaie mais aussi le fonds comme un investissement.

Les spécialistes estiment que c’est une bonne nouvelle, puisque les utilisateurs sont aussi protégés par les lois américaines.

D’autres problèmes se posent, notamment l’anonymat des transactions et le risque de blanchiment d’argent. Vu la nouvelle popularité des monnaies virtuelles, les régulateurs commencent à s’en inquiéter. Au point que la Thaïlande, par exemple, a préféré bannir l’utilisation du bitcoin. En début de semaine dernière, la Bitcoin Foundation a donc rencontré plusieurs représentants officiels américains. Cette réunion fait suite à l’incitation à comparaître envoyée en août à 22 sociétés spécialisées dans les devises numériques par le Département des services financiers de l’Etat de New York, qui s’interroge sur la nécessité d’introduire une nouvelle réglementation.

Quelle taxation se dessine?

Alors que la chasse aux évadés fiscaux continue, les monnaies virtuelles sont désormais entrées dans le viseur des autorités de plusieurs pays. Des revenus échappent au fisc lorsque les bitcoins sont échangés sans que la taxe sur les gains en capital soit prélevée. Pour l’instant, le manque à gagner des fiscs «n’est pas du tout important, mais il le deviendra au fur et à mesure que ces monnaies prendront de l’importance», explique Ingo Fiedler, chercheur à l’Université de Hambourg et membre du réseau Tax Justice Network. Pour l’instant, seule l’Allemagne a décidé d’appliquer cette taxe, en donnant le statut de «monnaie privée» au bitcoin.

Le cas occupe aussi les Etats-Unis. En juin dernier, le Government Accountability Office, qui contrôle les comptes publics américains, a publié un rapport dans lequel il suggère au fisc de s’intéresser aux devises virtuelles et à la manière de les imposer. Et en Suisse? Selon l’Administration fédérale des contributions, citée par Le Matin Dimanche, «les avoirs ou revenus en bitcoins sont soumis à l’impôt» fédéral direct.

Reste un obstacle de taille: les transactions étant anonymes, le fisc a par définition peu de moyens pour appliquer une taxe.