Myret Zaki: «La solidité des emprunteurs a baissé»
Interview
Une nouvelle bulle de crédit ne cesse de gonfler. La faute aux taux d’intérêt zéro et à une réglementation financière mal calibrée

La crise de 2008 a engendré le plus vaste durcissement de la réglementation financière que la planète ait connu depuis la crise des années 1930, et pourtant les risques n’ont jamais été aussi élevés qu’aujourd’hui. Pourquoi? En raison du gonflement rapide de la dette détenue par des entités peu ou pas soumises à la surveillance des autorités de régulation et soutenue par l’argent gratuit. Rédactrice en chef du magazine Bilan, Myret Zaki expose la thèse du livre «La finance de l’ombre a pris le contrôle» qu’elle a cosigné avec le financier Dominique Morisod, tragiquement disparu en 2014.
Le Temps: L’on sait depuis la crise de 2008 que la planète danse sur un volcan. La situation est-elle plus risquée aujourd’hui? Est-on à la veille d’un méga krach?
Myret Zaki: Le crédit alloué au travers du système bancaire s’est ralenti depuis la crise financière, ce qui a réduit les risques de ce côté-là. Mais en parallèle, il a fortement progressé dans le secteur de la finance de l’ombre, qui est beaucoup moins réglementé que le premier. C’est cette croissance de la dette qui explique le rally boursier que nous avons connu jusqu’à l’an dernier. Tant que la bulle de la dette se développe à taux d’intérêt zéro, la situation va rester stable. Si les taux remontent, ce système ne sera plus solvable car les débiteurs ne pourront plus assumer les charges supplémentaires. Toutefois, cette hausse des taux d’intérêt n’est pas envisageable pour un avenir immédiat.
La somme fantastique de 80 000 milliards de dollars (78 000 milliards de francs) de la finance de l’ombre représente-t-elle un risque homogène, ou certains de ses segments sont-ils plus fragiles que d’autres?
La somme de 80 000 milliards de dollars ne couvre pas l’entier du secteur financier non-bancaire, mais uniquement celui des hedge funds, du capital-investissement et des broker-dealers, les activités les moins surveillées. Cela dit, le risque dépend avant tout de la qualité de l’emprunteur. Si ce dernier est solvable même en cas de hausse des taux d’intérêt, ses créanciers n’ont pas de souci à se faire. Toutefois, la solidité des emprunteurs a baissé, accroissant les risques pour les prêteurs. Ce phénomène a été encouragé par l’explosion du nombre de rachats d’entreprises par leurs cadres, lesquels se sont endettés, parfois lourdement, ainsi que par l’augmentation massive du marché des dérivés de crédit négociés de gré à gré, même si ces derniers seront soumis à surveillance dès juin prochain en Europe et aux Etats-Unis.
Les banques centrales ont fortement accru leurs bilans. Quelle est leur part à l’augmentation du risque global?
Elles portent une lourde responsabilité. Ce sont elles qui ont engendré la finance de l’ombre en exacerbant la bulle de crédit du fait de leurs politiques de baisse des taux d’intérêt à zéro, voire en dessous. Leurs bilans, qui ont explosé depuis la crise, sont exposés eux aussi à la défaillance des émetteurs d’obligations qu’elles ont achetées en masse, et achètent toujours, pour tenter de soutenir l’économie. Toutefois, à la différence des débiteurs privés, elles ne peuvent pas faire faillite car elles peuvent créer toute la monnaie nécessaire à la couverture de leurs pertes. Néanmoins, elles mettent en danger leur crédibilité et exacerbent le risque d’inflation en cas de crise.
A vous lire, on peut avoir le sentiment que le monde se situe au bord de l’abîme. Difficile toutefois de croire que l’entier de la fortune risquée s’effondre du jour au lendemain…
Toutes les dettes n’ont pas le même degré de risque, c’est certain. Mais on assiste à un autre phénomène inquiétant, la disparition des actifs sans risque, ceux qui fondent les portefeuilles des institutions de prévoyance, par exemple. Face à cette tendance, il est difficile de dire jusqu’à quand le système financier mondial pourra se maintenir.
* Dominique Morisod, Myret Zaki, «La finance de l’ombre a pris le contrôle». Favre, avril 2016, 184 pages.