En dévoilant ses sept axes stratégiques pour les années à venir, la Finma a envoyé le message qu’elle changeait d’approche et de philosophie dans sa surveillance de la place financière. Moins de «swiss finish», davantage de dialogue et même un certain soutien des banques et assureurs face à la concurrence internationale. Remarqué pour ses positions passées souvent critiques envers la Finma, l’enseignant à l’université de Genève et administrateur de Lombard Odier ou Swiss Life Henry Peter analyse ce nouveau cadre qui fixe les relations entre la Finma, ses assujettis et les réviseurs qui effectuent une partie du travail de supervision.

Le Temps: Pour la première fois, la Finma a mentionné mi-novembre qu’elle comptait soutenir la compétitivité de la place financière. Elle s’y était toujours refusée dans le passé. Est-ce une révolution?

Henry Peter: J’ai le sentiment que l’Autorité de surveillance a changé d’état d’esprit. C’est un signal positif envoyé aux intermédiaires financiers. Son engagement à soutenir la compétitivité des banques et assurances accompagne les 7 objectifs stratégiques qu’elle a dévoilés en fin d’année. La Finma y affirme ce qu’est son rôle, ses relations avec les assujettis, et tout cela est un peu différent de ce que l’on percevait auparavant.

– Différent dans quel sens?

– Dans un sens dont il faut se réjouir. Par le passé, la Finma avait souvent affirmé ou laissé entendre qu’elle n’était pas là pour promouvoir la place financière. Elle a donc changé d’orientation, même si elle précise que sa contribution à la compétitivité de la place constitue un objectif secondaire, qui passe après sa volonté de protéger les différents acteurs des marchés financiers, ce que l’on peut comprendre. Une autre de ses priorités stratégiques consiste à éliminer les obstacles inutiles à la concurrence. L’Autorité recommande également de pratiquer une équivalence intelligente vis-à-vis des règles internationales. On peut y voir le résultat d’une réflexion sur les limites à apporter au «Swiss finish», ces exigences supplémentaires que la Finma impose parfois en plus des réglementations internationales, et qui lui valent des critiques récurrentes.

– Ce «Swiss finish» tant décrié va-t-il disparaître?

– Prenons l’exemple du calcul des fonds propres des assureurs vie. La Suisse pratique depuis plusieurs années une approche beaucoup plus exigeante que celle des autres grandes places internationales. En conséquence, les assureurs suisses – je siège au conseil d’administration de l’un d’eux, Swiss Life – sont moins concurrentiels que des acteurs comme Axa, Allianz ou Generali. La Suisse n’a évidemment aucun intérêt à s’aligner vers le bas. Mais, pour la première fois, la Finma prend en considération la question suivante: à partir d’où commence-t-on à aller trop loin?

– D’autres critiques récurrentes font état d’excès de pouvoir fréquents de la part du gendarme des marchés. Ses décisions sont en pratique difficiles à contester, même si elles manquent de base légale, entend-on souvent. La situation serait-elle en train d’évoluer?

– Il est dans l’intérêt de la place financière d’avoir un régulateur sérieux, mais qui intervient sans excès. Cet équilibre peut être difficile à atteindre.

– Les intermédiaires financiers ont besoin «de davantage de confiance et de moins de défiance» de la part de leur surveillant, mais aussi de «plus de dialogue et moins de diktat», avez-vous déclaré lors d’une conférence organisée début octobre à Genève. L’Autorité de surveillance a-t-elle un problème de communication?

– J’ai l’habitude de dire à mes étudiants que «sunlight is the best of desinfectants» (la lumière est le meilleur des désinfectants, ndlr), pour paraphraser le juge américain Louis Brandeis, ce qui signifie que la transparence est souvent le moyen le plus efficace de remédier aux comportements déviants. Il est intéressant de relever à ce propos que le message de la Finma sur ses 7 objectifs stratégiques contient un petit mea culpa en matière de communication. Elle semble en effet reconnaître s’être montrée excessive dans sa gestion du dossier BSI. Dans cette affaire, l’Autorité de surveillance a voulu pratiquer du «name & shame», c’est-à-dire pointer du doigt des acteurs précis. On perçoit qu’elle fera preuve de davantage de retenue à l’avenir, en particulier concernant les sanctions individuelles qu’elle prendrait.

– Un des effets de cette communication agressive a été que la BSI a risqué un problème de liquidités, au point que la Finma serait intervenue pour rassurer les contreparties de la banque tessinoise. Ça ressemble à un vrai faux pas, non?

– On ne peut l’exclure. Ce qui est toutefois certain est que sa communication a incité cet assujetti et les autres à davantage de prudence. Quoi qu’il en soit il est important que les intermédiaires financiers connaissent préventivement la pratique de leur surveillant afin de pouvoir se comporter en conséquence. Les 7 axes stratégiques désormais publiés par la Finma annoncent les principes et l’état d’esprit du surveillant des marchés pour les prochaines années. Ils vont dans le bon sens. Mon sentiment est renforcé par la façon dont la nouvelle directive sur la gouvernance des banques a été élaborée.

– Pourquoi?

– La Finma a significativement amélioré son texte précédant, qui avait été mis en œuvre dans l’urgence de la crise financière en 2008. Différents éléments issus de plusieurs directives ont été rassemblés dans un seul texte, qui codifie la pratique du surveillant de manière claire. Les intermédiaires financiers ont besoin de prévisibilité et de stabilité du cadre réglementaire.

– Qu’est-ce qui va changer pour les intermédiaires financiers?

– Cette nouvelle directive clarifie les relations entre la Finma, ses assujettis et les réviseurs externes, qui sont chargés d’effectuer les audits prudentiels des banques. Ces trois acteurs ont des droits et des obligations. Le système fonctionne si les rôles et la culture de chacun sont adéquats. Surtout, dans cette directive, certains aspects inopportuns du projet initial ont été améliorés.

– Lesquels?

– Les documents préparatoires contenaient des critiques envers les réviseurs. On pouvait en déduire que la Finma ne leur faisait pas confiance, si bien qu’elle souhaitait désormais les nommer et les rémunérer directement. Durant la consultation, ces affirmations ont déclenché une levée de boucliers des sociétés d’audit. Un autre aspect concerne notamment les banques privées: la solution envisagée par la Finma ne tenait pas suffisamment compte de leurs particularités et du fait que, dans le domaine de la gouvernance des banques «one size does not fit all»; c’est-à-dire que compte tenu de la grande diversité des banques, on ne saurait imposer des exigences uniformes. La version finale de la directive a abandonné ces éléments problématiques: les professionnels ont été entendus.

– La façon dont les audits sont pratiqués dans les banques ne va donc pas évoluer?

– Si. L’un des objectifs stratégiques de la Finma recommande que le rapport coût/bénéfice de l’audit soit amélioré, que les ressources soient mobilisées de manière plus sensée. Une autre nouveauté consiste à cibler davantage les actions des réviseurs. C’est un point intéressant car les rapports volumineux et très coûteux issus des audits prudentiels ne font pas toujours ressortir les éléments pertinents pour les différents établissements. On peut se réjouir de ces ajustements.

– La Finma renforce donc sa mainmise sur les réviseurs, en quelque sorte?

– Les réviseurs continueront à répondre à la Finma, mais ils seront toujours nommés et payés par les sociétés qu’ils auditent, conformément au système suisse de surveillance dualiste. Le principe de base demeure la délégation de service, ce qui est différent d’un lien hiérarchique. La Finma voulait transformer cette délégation en une sorte de sous-traitance de son autorité à des réviseurs, mais l’idée a été abandonnée. Singapour avait adopté un système similaire, avant d’y mettre fin récemment.

– Pourquoi la Finma affiche-t-elle un changement de ton maintenant? Est-ce le fait de son nouveau président, Thomas Bauer, en poste depuis janvier 2016? Peut-on imaginer que le rapport de force a changé entre le conseil d’administration et la direction?

– On ne peut pas exclure que la gouvernance de la Finma évolue elle aussi. La direction est peut-être davantage subordonnée au conseil d’administration, qui fixe les nouvelles orientations. Au niveau politique, l’arrivée d’Ueli Maurer à la tête du Département fédéral des finances a probablement joué également un rôle. D’une manière générale, les préoccupations du secteur bancaire et financier ont été entendues et prises en compte dans la mesure où elles apparaissaient justifiées. L’essentiel est qu’un nouvel équilibre semble avoir été trouvé.

– On entend souvent que le directeur de la Finma, Mark Branson, a déçu les banques, car elles s’attendaient à davantage de bienveillance de la part d’un ancien dirigeant d’UBS. Qu’en pensez-vous?

– Je ne peux me rallier à cette façon de voir les choses, car le système financier, dans son intérêt bien compris, n’a pas besoin de connivence, mais de compétences et de crédibilité. Peut-être a-t-on parfois besoin d’un peu plus de dialogue, mais la Finma donne des signaux encourageants de ce point de vue.

– Certains se montrent sceptiques face à ces nouvelles orientations de la Finma. Ce ne sont peut-être que des bonnes intentions, qui ne seront pas concrétisées dans la pratique.

– C’est une hypothèse. En ce qui me concerne j’estime que l’Autorité de surveillance a désormais publié des bases de travail et fait part d’un état d’esprit constructif pour le secteur. Cela ne restera à mes yeux pas sans conséquence: on peut et on doit lui faire confiance.


Profil

1957: Naissance à Boston

1981: Brevet d’avocat à Genève

1984: S’installe au Tessin comme avocat, gère notamment les dossiers de sponsoring et de pilotes liés à la Formule 1, pour Enzo Ferrari

1988: Devient enseignant à l’université de Genève, en droit des sociétés

2006: Administrateur de l’assureur Swiss Life

2014: Administrateur de Lombard Odier