Justice
L’audition d’un premier prévenu, ex-cadre d’UBS France, a permis lundi d’entrer dans le vif du sujet sur le présumé «démarchage illicite» reproché à la banque suisse et à sa filiale française

On attendait ce moment depuis une semaine. Jusque-là, seuls les avocats de la défense s’étaient avancés à la barre, surtout pour demander l’interruption des débats (leurs demandes de questions prioritaires de constitutionnalité ont été rejetées) ou soulever des points de procédure.
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Objectif : pas de preuves
Un spectacle réglé au millimètre, bardé de références juridiques et de citations de jurisprudences diverses, dans l’unique but de démontrer qu’UBS AG, UBS France et les six autres prévenus – tous anciens cadres des deux banques – ont subi le zèle excessif des magistrats instructeurs français puis du Parquet national financier (PNF). La bataille des deux premières audiences, lundi 8 et jeudi 11 octobre, avait donc consisté à démolir, sur le plan du droit, les accusations contenues dans l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel n° 110559592033 du 17 mars 2017. Objectif: démontrer que rien, dans le dossier, ne justifie les mises en examen d’UBS AG «pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage bancaire ou financier illicite» et d’UBS France pour «complicité» de ces deux délits.
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Et voilà que, lundi, cet épais voile d’arguments juridiques (une partie d’entre eux, retenus, ont été joints «au fond» et seront donc examinés lors du délibéré) s’est enfin déchiré. En quelques mots, la présidente du tribunal, Christine Mée, a d’abord reconnu que le problème soulevé par la défense à propos de la reconnaissance de culpabilité de Patrick de Fayet – patron d’UBS France de 2004 à 2008 – était bel et bien valide, même s’il n’est pas possible de l’enlever du dossier. Bon point pour la banque suisse.
Sauf que, dans la foulée, le résumé de l’affaire énoncé par la magistrate, sur la base de ce dossier truffé de noms de code, rafraîchit vite la mémoire du public sur le monde révolu du secret bancaire. Les chargés d’affaires? «Ils étaient surnommés les chasseurs», explique la présidente. Les gestionnaires de comptes? «Les fermiers.» On arrive vite aux fameux «carnets du lait», ces fichiers de mouvements bancaires remplis manuellement, dont un seul exemplaire (août 2007) a pu être retrouvé par les enquêteurs. Le plus beau surnom, à l’époque, va aux fichiers clients: «On les nommait les vaches», raconte la présidente…
Une histoire de «synergies»
On regarde, à cet instant, les six prévenus physiques – tous anciens d’UBS – assis face au tribunal, dont Raoul Weil (acquitté aux Etats-Unis en 2014) et Patrick de Fayet, qui s’est déclaré coupable le 15 juin 2016. Les quatre autres sont jusque-là restés dans l’ombre. A côté? Au moins cinq représentants d’UBS – du communicant au directeur juridique, Markus Diethelm, en passant par le patron d’UBS France, Jean-Frédéric de Leusse – sont présents en permanence depuis le 8 octobre sur les bancs du public. Ils notent, scrutent, se consultent.
La caution de 1,1 milliard d’euros versée en 2014, puis les deux tentatives (avortées) de transaction financière pour clôturer les poursuites sont passées par là. Tout a été calculé, organisé, anticipé par le géant bancaire suisse. Ce procès parisien n’est pas pour rien suivi de près par la finance mondiale, en plein Brexit britannique et doutes au sein de la City sur un exil à Francfort ou en bords de Seine.
La présidente sait tout cela. Et l’on comprend, lorsqu’elle interroge le premier des prévenus, ex-cadre d’UBS France à Lille, qu’elle entend tout décortiquer. L’homme hésite, redit combien ses quarante heures de garde à vue – dont une nuit en cellule collective – furent éprouvantes. Il se réfugie dans les termes techniques, le plus souvent anglais. Oui, reconnaît-il, les «carnets du lait» étaient bien des fichiers Excel à remplir manuellement, seulement pour les transactions impliquant la Suisse, alors que le logiciel maison incluait tous les autres mouvements financiers. «Bizarre, non?» l’interpelle la magistrate. L’ex-chargé d’affaires prend garde à chaque mot. Mais son interrogatrice persiste. Première passe d’armes révélatrice.
La défense des prévenus est bétonnée. Leur mémoire s’évapore. Reste l’arrière-plan: celui des flux financiers et des fameuses «synergies» entre UBS AG et UBS France. La présidente, d’ailleurs, répète ce mot «synergies» plusieurs fois. A l’évidence, le flou du terme l’irrite. Les prochaines auditions lui permettront de revenir à la charge: Patrick de Fayet devrait être entendu ce mercredi. UBS AG et UBS France le seront les 22 et 24 octobre. Et Raoul Weil parlera le 25.