L’actualité bancaire n’a pas manqué ces dernières semaines. Les amendes en provenance des Etats-Unis sont tombées à un rythme accéléré. EFG International a annoncé la suppression de 200 postes avec de possibles retombées pour Genève où le groupe zurichois emploie 400 personnes (sur 2200). Enfin l’ouverture d’une procédure de faillite à l’encontre de la Banque Hottinger & Cie, fin octobre, a choqué la place financière.

Toutefois, ce qui a peut-être encore davantage marqué les esprits c’est le rapport publié cet été par l’Université de Saint-Gall et le cabinet KPMG. Celui-ci prédit en effet la disparition de près de 30% des banques privées suisses à l’horizon 2018.

Dans un environnement teinté d’incertitudes (durcissement réglementaire, fin du secret bancaire, volatilité accrue sur les marchés financiers, franc fort), Le Temps a souhaité interroger les responsables des petites et des moyennes banques privées genevoises pour connaître leur état d’esprit, leurs inquiétudes et leurs visions de l’avenir. Mais aussi les associations qui les représentent et des experts de la consolidation qui agite le secteur depuis plusieurs années (Genève comptait 140 établissements en 2008 contre 119 seulement en août dernier).

Toutes les banques contactées n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Si certaines ont expliqué ne pas se reconnaître dans la typologie des établissements pouvant faire face à des difficultés, d’autres n’ont pas voulu s’exprimer sur leur stratégie ou ont tout simplement invoqué un emploi du temps trop chargé.

Malgré tout, les interlocuteurs qui ont répondu se sont tous montrés résolument optimistes pour les années à venir, et cela d’autant plus que les amendes infligées jusqu’ici dans le cadre du programme américain se sont avérées moins importantes que redouté. «La place financière a passé le cap des décisions les plus difficiles, explique Jan Langlo, fraîchement nommé directeur de l’Association des banques privées suisses. Quant à nos membres de plus petites tailles ils se portent très bien, a-t-il poursuivi, même s’il leur a fallu s’adapter, comme tout le monde, à l’évolution de la réglementation et son corollaire qu’est l’érosion des marges.»

Selon lui, les banques ont donc fait leur part du travail. «L’échange automatique d’informations a notamment fini par entrer dans les mentalités, fait-il remarquer. Il convient maintenant de regarder de l’avant si l’on entend que la Suisse reste le leader mondial de la gestion de fortune, poursuit-il. Car si le secteur se porte bien, avec de nouvelles fortunes qui se créent chaque jour dans le monde, d’autres places avancent aussi de leur côté, et parfois même plus rapidement que nous.»

La tonalité est la même du côté de la Fondation Genève Place Financière. «Si les petites banques parviennent à contenir leurs coûts, alors les perspectives seront positives», souligne Edouard Cuendet. Selon le directeur de la fondation, la maîtrise des coûts est avec l’accès aux marchés internationaux le principal défi auquel sont confrontées les banques aujourd’hui. «C’est ce qui ressort très clairement de notre dernière enquête conjoncturelle», précise-t-il.

Or ce contrôle des coûts, pour beaucoup lié au durcissement réglementaire, touche peut-être davantage les petits établissements pour qui les économies d’échelles sont moins faciles à réaliser, reconnaît Edouard Cuendet. «En revanche, poursuit-il, ceux-ci disposent d’une plus grande agilité pour externaliser une partie de leurs activités, notamment opérationnelles, et se concentrer ainsi davantage sur le corps du métier, à savoir la gestion de fortune.»

Si Edouard Cuendet s’attend donc à ce que l’outsourcing se poursuive sur la place genevoise, il sait aussi que les plus petits établissements devront, si ce n’est déjà fait, se concentrer sur certains marchés. Un avis que partage Jan Langlo. «Les banques, et les petites en particulier, ne peuvent plus continuer à couvrir un pays pour quelques clients seulement, explique-t-il. Cela leur coûterait trop cher, notamment pour tout ce qui relève de la mise en conformité («compliance»). Voilà pourquoi elles ont du engager toute une réflexion, que ce soit pour se concentrer sur certains pays ou sur des segments du marché tels que la prévoyance par exemple.»

Taille dans les coûts, outsourcing, recentrage des activités. Reste la question de la consolidation. Pour Philippe Tischhauser, partenaire de la société de fusions et acquisitions The Corporate Finance Group à Genève, les banques n’ont aujourd’hui souvent qu’une seule idée en tête: augmenter les avoirs de la clientèle. Or, à ce jeu-là, certaines se sont montrés particulièrement actives, à l’image de d’Hyposwiss ou de la Banque Heritage. «Ce sont typiquement des établissements qui cherchent à racheter de la clientèle pour atteindre une certaine taille synonyme de stabilité», précise-t-il.

Pour Philippe Tischhauser, il ne fait donc guère de doute que la consolidation se poursuivra ces prochaines années. «Une dizaine de petites banques genevoises, avec moins de 2 milliards sous gestion, devraient encore disparaître, prédit-il. Soit par une vente du capital-actions, en fusionnant ou encore en cédant leur clientèle.» Selon lui, c’est la qualité des équipes qui fera la différence parmi les petits établissements, mais également leur capacité à offrir un conseil plus personnalisé et des produits moins standardisés que les grandes banques.

Un avis que partagera certainement Raoul Ducrest, directeur général adjoint de Millennium Banque Privée. Avec trois milliards de francs sous gestion et 70 employés, ce petit établissement genevois, qui appartient au groupe portugais Millennium BCP, connaît une croissance «continuelle» de la masse sous gestion et des profits «réguliers» depuis fin 2011, assure ce dernier. «Tout le monde parle de masse critique et c’est certainement vrai, explique-t-il. Pourtant, quand on regarde notre modèle on se rend compte que l’on arrive à dégager des profits (11 millions de francs en 2014) et de bonnes marges (un ratio «cost/income» de 65 environ)».

Alors quel est le secret de Millennium? «Notre taille et notre infrastructure technologique nous permettent de nous adapter rapidement, répond Raoul Ducrest. Nous nous concentrons sur un nombre limité de marchés et nous délivrons des services de conseil et de gestion personnalisés mais très bien structurés. Quand vous êtes petit, poursuit-il, vous avez l’avantage d’être agile mais vous ne pouvez pas vous permettre de disperser vos resources», conclut-il. Résultats? Les avoirs sous gestion ont progressé de 40% depuis la fin 2011.