Au total, ce sont 22 milliards de dollars qui ont été siphonnés entre 2011 et 2014 à travers 70000 opérations bancaires réalisées dans 96 pays, grâce à la complicité d’officiels russes corrompus, mais aussi sur la base de décisions de justice véreuses en Moldavie, ont révélé lundi soir le journal russe Novaïa Gazeta et le quotidien britannique The Guardian.

Le schéma de la fraude repose sur un prêt fictif entre deux sociétés. La somme est souscrite par la société russe, qui fait ensuite défaut sur sa dette. Un juge véreux certifie la dette comme authentique, permettant à la partie russe d’envoyer la somme due sur un compte bancaire moldave, puis sur un compte bancaire letton (pénétrant ainsi dans l’Union européenne), blanchissant peu à peu à chaque étape.

«Laundromat»

Au passage, le torrent de liquidités a manqué engloutir l’économie moldave (un milliard de dollars ayant été siphonné du budget national) et a provoqué un clash entre Moscou et Chisinau, alors qu’un président pro-russe vient d’être élu dans la capitale moldave.

Les policiers moldaves et lettons menant l’enquête avancent que le montant final du blanchiment pourrait approcher les 80 milliards de dollars. Novaïa Gazeta a de son côté identifié trois bénéficiaires principaux de la «combine moldave» (son surnom russe), également appelée «Laundromat» par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), le collectif d’enquêteurs indépendants qui a révélé les premiers éléments de ce dossier en 2013.

Il s’agit d’Alexeï Krapivin (proche de l’ancien patron du rail russe), et des hommes d’affaires Sergueï Guirdine et Gueorgui Gens. Le nom d’Igor Poutine, cousin du président russe, et siégeant à la direction de deux banques russes, figure en «bonne place» dans l’enquête.

De Moscou à Londres

L’origine russe de cette affaire n’étonne personne. Le pays se trouve à mi-chemin de son effort pour nettoyer son secteur bancaire. Ce dernier est gangrené par des pratiques illicites restées impunies pendant des décennies. La Banque centrale de Russie ferme chaque semaine des «banques de poches», des établissements impliqués dans le blanchiment, la fraude fiscale et la fuite de capitaux. Depuis 2004, le nombre de banques est tombé de 1400 à 600. Soucieux de ne pas créer de panique parmi les déposants, le régulateur marche sur des œufs.

En règle générale, lorsqu’une banque russe est privée de sa licence ou placée sous gestion externe, ses propriétaires ont depuis longtemps fui le pays, emportant avec eux l’argent déposé par leurs clients. Londres accueille la plupart de ses fugitifs, qui se font passer pour des «victimes du régime poutinien».

Les documents en mains des enquêteurs éclairent ainsi les habitudes de shopping de ces clients russes: des diamants chez un bijoutier de Bond Street, au centre de Londres, des fourrures acquises au nord de la ville ou des chandeliers vendus par une boutique de Chelsea, et même les factures de la très select école fréquentée par le fils d’un riche Russe, à près de 15000 francs le trimestre, précise The Guardian.

Havre de paix britannique

Le fait que Londres accueille ces profils pourrait aussi expliquer pourquoi les banques britanniques sont plus que d’autres «mouillées» dans la combine. «Le système financier britannique est un havre de paix pour les capitaux criminels, nous le répétons depuis de nombreuses années», a réagi mardi le vice-ministre de l’intérieur Igor Zoubov. Promptes à dénoncer les failles occidentales, les autorités russes sont néanmoins réticentes à sévir contre les fraudeurs, lorsque ceux-ci bénéficient d’appuis haut placés.

Parmi les 17 banques impliquées dans ce dossier à 22 milliards de dollars, les établissements britanniques ont vu transiter près de 740 millions de dollars d’argent potentiellement sale. Dont près de 550 millions pour HSBC, principalement via son entité de Hongkong. Sur les quelque 7000 transactions bancaires analysées par les enquêteurs, près de 2000 se sont faites via des banques britanniques et près de 400 par l’intermédiaire d’établissements américains. ν