Le point sur la révision du droit pénal fiscal suisse
un expert pour comprendre
Face à une pression grandissante, le gouvernement juge qu’il est temps d’appliquer la norme «recommandée» par le GAFI qui veut que les «délits fiscaux» soient qualifiés d’infractions préalables au blanchiment d’argent. Cela implique des changements dans le dispositif légal
Le 29 mai dernier, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral des finances de mettre en consultation un projet d’unification du droit pénal fiscal. Cette consultation est en cours et s’achèvera fin septembre 2013.
Dans les relations entre l’Etat et les contribuables, le droit fiscal pénal a pour but de maintenir une pression suffisante pour «convaincre» les personnes de déclarer puis payer les impôts dus à la collectivité sur la base des lois en vigueur. Ce droit fiscal pénal doit être simple, clair et précis pour atteindre son objectif.
Actuellement, notre droit fiscal pénal est aussi multiple que nos lois fiscales. Ainsi, les dispositions légales, les moyens d’enquête et les compétences sont différents entre les impôts concernés. Cette situation n’est pas forcément handicapante au niveau interne; la complexité de notre Etat fédéral existe depuis «toujours» et nous en avons l’habitude. Par contre, il n’en va pas de même pour se mettre «à niveau» sur le plan international. Face à une pression grandissante, le gouvernement suisse est d’avis qu’il est temps que notre pays applique la norme «recommandée» par le GAFI qui veut que les «délits fiscaux» soient qualifiés d’infractions préalables au blanchiment d’argent. Pour mémoire, cette norme permettra notamment d’améliorer grandement les échanges d’informations au niveau international sur la base d’une procédure pénale bien plus étendue que l’actuelle procédure administrative conventionnelle.
Pour introduire cette «recommandation» dans notre dispositif légal, il faut procéder à un élargissement des éléments constitutifs des infractions actuelles concernant les impôts directs et indirects pour qu’elles deviennent des infractions préalables au blanchiment punies pénalement.
A la base, l’élément constitutif sera bien la soustraction d’impôt. A partir de cette constatation, il appartiendra à l’autorité d’enquêter pour déterminer si la soustraction est un simple oubli ou si, plus grave bien entendu, la soustraction a été commise au moyen de titres faux ou que le comportement a été «astucieux». Dans ces deux derniers cas, la soustraction devient une escroquerie fiscale. Et si cette escroquerie fiscale porte sur la non-déclaration d’éléments fiscaux de plus de 600 000 francs, l’escroquerie devient qualifiée, ce qui constitue également une infraction préalable au blanchiment d’argent.
Pour instruire les infractions fiscales, le projet donne des moyens d’enquête nouveaux tels que l’audition de témoins ou «personnes appelées à donner des renseignements» ainsi que des demandes de renseignements écrites auprès des banques; toutefois, les demandes auprès des banques ne sont possibles que si «la directrice ou le directeur de l’administration fiscale cantonale donne son autorisation». Dans l’argumentation du projet de loi, cette obligation de demander l’autorisation de la direction du fisc cantonal est la réponse à des craintes que soit engagée une procédure pénale par une autorité de taxation, sans raison valable, uniquement dans l’intention de récolter des informations en vue de la taxation.
La nouvelle loi inclut une obligation d’aviser qui lie toutes les autorités administratives, pénales et judiciaires. L’obligation d’aviser présuppose un soupçon non pas d’acte délictueux mais uniquement de taxation incomplète. Pour le Conseil fédéral, cette obligation doit permettre à l’autorité compétente d’examiner l’introduction d’une procédure pénale en cas d’infraction présumée à la législation fiscale. Il est évident que l’échange d’informations pertinentes pour lutter contre les infractions fiscales est important pour un examen équitable et cohérent des présomptions.
En conclusion, le Conseil fédéral souhaite unifier et simplifier le droit pénal fiscal. Si l’unification des procédures pénales fiscales dans une seule loi fédérale a du sens, il ne semble pas très opportun de remplacer «l’usage de titres faux dans le but de commettre une soustraction d’impôt» par une nouvelle définition de l’infraction fiscale qui pourrait être commise soit en utilisant un «titre faux», soit en «trompant astucieusement» l’autorité fiscale. La volonté d’élargir la notion de «fraude fiscale», pouvant quand même conduire directement en prison pour 3 ans au plus, modifie profondément les rapports entre l’Etat et les citoyens-contribuables. C’est également un risque de modifier le juste équilibre entre le droit du citoyen à la protection de sa sphère privée financière et la nécessité de l’Etat de prélever les impôts selon la loi fiscale votée par ce même citoyen!
Il est aussi important de relever que ce projet va permettre aux autorités fiscales cantonales d’interroger les banques dans le cadre de procédures pénales fiscales dès l’obtention de l’autorisation du directeur de l’administration fiscale cantonale concernée; il semble évident que cette autorisation «sera acquise sans difficulté», ce qui pose un problème constitutionnel: comment est-il acceptable que l’administration fiscale soit juge et partie?
Quoi qu’il en soit, la mise en application de ce nouveau droit impliquera la fin du secret bancaire fiscal pour les résidents en Suisse, sauf si notre haute cour devait juger anticonstitutionnelle cette procédure de levée du secret bancaire.
A mon avis, dans sa rédaction actuelle, ce projet de loi ne respecte pas l’«esprit» de l’article 13 de la Constitution fédérale («Protection de la sphère privée»). Il est souhaitable que le législateur intègre dans cette nouvelle loi un texte plus protecteur qui pourrait avoir la teneur suivante: «Toute personne a droit à la protection de sa sphère privée financière; toutes données bancaires ne pourraient être fournies aux autorités que sur décision d’un tribunal et pour autant qu’il existe un soupçon fondé qu’une personne a eu, en utilisant des titres faux, falsifiés ou inexacts quant à leur contenu, le dessein de tromper l’autorité fiscale, ou qu’elle a intentionnellement soustrait un montant important de l’impôt, ou a prêté assistance à un tel acte ou incité à le commettre.» C’est bien ce que propose l’initiative en cours sur la protection de la sphère privée en matière financière.
Avec une meilleure protection du contribuable face à l’administration, l’objectif louable d’avoir une loi fédérale pénale fiscale sera atteint, ce qui permettra de faire appliquer les lois fiscales en toute impartialité tout en respectant la Constitution et en préservant la sphère privée financière du contribuable-citoyen.
*Expert fiscal diplômé
Actuellement, notre droit fiscal pénal est aussi multiple que nos lois fiscales