Markus Gröninger est à l’image de son entreprise: moitié banquier, moitié informaticien. Patron de B-Source depuis 2010, il nous reçoit dans la maison mère de la société en pleine zone industrielle de Bioggio, à quelques kilomètres de Lugano. En quelques années, B-Source, qui appartient pour 51% au développeur de logiciel bancaire Avaloq et pour 49% à la banque BSI, est devenue la référence de l’outsourcing bancaire (BPO) en Suisse. Des dizaines de banques, petites et moyennes, lui ont confié leurs tâches opérationnelles («back-office») afin de bénéficier d’économies d’échelle leur étant d’ordinaire inaccessibles.

Comment expliquez-vous qu’autant de banques ont décidé ces dernières années d’externaliser une partie de leurs services?

On parle d’outsourcing (externalisation, ndlr) et d’industrialisation du secteur bancaire depuis une vingtaine d’années. Or, le marché n’a véritablement décollé qu’il y a cinq ou sept ans quand les pressions se sont accrues sur les banques. Taux d’intérêt au plus bas, durcissement réglementaire, fin du secret bancaire, digitalisation, changement du comportement des clients, volatilité sur les marchés. Les banques n’avaient jamais connu autant de mutations à la fois, si bien que le résultat est impitoyable: les chiffres d’affaires ont chuté tandis que les coûts ont explosé.

C’est pour cela qu’elles s’adressent à vous?

Oui, et c’est pour cela que nos activités ont fortement progressé ces dernières années. Nous étions présents très tôt sur le marché de l’outsourcing bancaire, peut-être trop tôt même. Mais aujourd’hui nous profitons de cette maturité. Les banques – surtout privées – ne peuvent plus tout faire comme dans le passé, quand une clientèle non déclarée leur suffisait pour être rentables. Elles doivent désormais industrialiser toute la logistique bancaire, non seulement pour réduire les coûts mais aussi pour pouvoir s’adapter et rester conformes à l’évolution de la réglementation. C’est un effort incroyable. C’est pourquoi elles doivent aussi faire des choix, se concentrer sur certains marchés et sur certains segments.

Vous dites que le marché a explosé ces dernières années, pouvez-vous préciser?

Nous comptons aujourd’hui plus de 20 banques (et plus de 30 entités légales) parmi nos clients. Combinées, elles représentent plus de 300 milliards de francs sous gestion. Il y a cinq ans, nous avions quatre banques clientes pour environ 70 milliards sous gestion.

Quels sont vos objectifs de croissance?

Il n’y a pas de limite à notre croissance. Nous discutons d’ailleurs avec de nombreux établissements intéressés par nos services actuellement. En outre, nous avons installé des processus et contrôles pour garantir nos hauts standards de qualité pour notre communauté grandissante de clients. Cela étant dit, je pense que nous pouvons doubler notre volume d’affaires au cours des cinq prochaines années.

Combien d’employés comptez-vous aujourd’hui?

Environ 850, dont la moitié sont des spécialistes banquiers et l’autre d’informatique. Une centaine de nos collaborateurs sont basés à Nyon. Il y a cinq ans nous étions 600 environ, ce qui montre bien que l’industrialisation fonctionne. Car si nous avons multiplié par quatre le volume des actifs sous gestion de nos clients en cinq ans, le nombre de nos employés n’a de son côté progressé que de 20%.

Ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’emploi en Suisse?

Je vois dans le processus d’industrialisation actuel beaucoup de similarités avec ce qui s’est passé dans l’industrie horlogère dans les années 1980. Or, cette industrie est toujours très importante pour l’économie suisse aujourd’hui. De plus, 70% des revenus horlogers à l’échelle mondiale sont réalisés par des producteurs suisses. Cela n’a été possible que grâce à l’industrialisation et je pense que c’est la même chose qui va se produire avec le secteur bancaire.

Quand une banque décide d’externaliser son back-office chez B-Source, reprenez-vous toujours des employés?

Cela dépend. Parfois nous les reprenons, justement parce que nous sommes une entreprise en pleine croissance et que nous pouvons nous le permettre. A l’inverse, les employés restent parfois au sein de la banque où ils sont amenés à effectuer d’autres tâches.

Quels sont vos arguments pour convaincre les dirigeants d’une banque de recourir à vos services?

Il faut qu’ils soient convaincus que l’industrialisation représente l’avenir du secteur bancaire. Si tel est le cas, alors nous serons pour eux le bon partenaire. Je leur expliquerais alors que nous pouvons non seulement les aider à offrir de meilleurs services à leurs clients, mais que nous pouvons également les aider à devenir un leader dans le monde de la digitalisation. Et cela notamment grâce à la plateforme d’Avaloq. Nos clients ne pourront jamais investir seuls autant d’argent qu’une grande banque dans ce domaine. Par contre en s’appuyant sur Avaloq, ils s’appuient sur une force de frappe de 3500 milliards de dollars [la masse sous gestion combinée des clients d’Avaloq, ndlr], soit bien plus que n’importe quelle banque en Suisse.

Vous leur promettez également une réduction des coûts!

Bien évidemment, sinon pourquoi recourir à l’externalisation? Nous devons permettre aux banques d’être au moins deux fois plus efficaces qu’auparavant, soit de pouvoir effectuer les mêmes opérations, les mêmes transactions avec deux fois moins d’employés.

Combien de vos employés travaillent, en moyenne, pour une banque?

Il n’y a pas de règles, c’est le concept même de notre modèle, qui consiste à permettre à nos clients de réaliser des économies d’échelle. Nous sommes une entreprise industrielle à bien des égards, c’est pour cela que nous sommes basés à Bioggio et pas au centre de Lugano où les loyers sont plus élevés, à Nyon plutôt qu’à Genève et à Adliswil plutôt qu’à Zurich.

Vos employés travaillent-ils pour une banque en particulier ou pour plusieurs établissements?

Pour plusieurs banques évidemment, sinon cela irait à l’encontre même du concept d’industrialisation. Chez B-Source nous ne sommes pas organisés par client, mais par processus.

Peuvent-ils être, de la sorte, aussi efficaces que les employés d’une banque?

Evidemment. Prenez le paiement d’un dividende d’IBM par exemple, nous pouvons le faire pour tous nos clients qui auraient des actions IBM dans leurs portefeuilles en même temps tandis que chacune des banques devrait le faire de son côté. Voilà un exemple simple d’économie d’échelle.

A partir du moment où vous signez un contrat avec une banque, combien de temps vous faut-il pour mettre en place votre système?

Tout dépend de la taille et de la complexité de la banque bien sûr, plus elle est internationale et présente sur de nombreux marchés, plus cela prendra du temps. Selon les cas, l’implémentation peut prendre entre trois et dix-huit mois.

Vous êtes probablement l’un des meilleurs observateurs de la place financière. Quelle est votre vision de l’avenir?

Je crois au futur de la banque privée en Suisse. Je suis même étonné de voir à quel point certains dirigeants ont une vision moderne de l’avenir. Cela est certainement lié au fait que nos clients font partie de ceux qui ont accepté assez tôt que le monde avait changé. Désormais, ils peuvent s’intéresser à leurs clients, aux marchés, à la croissance et au développement de leur banque plutôt que de parler de Fatca, de MiFID ou d’autre réglementation.

La consolidation du secteur est-elle une bonne chose pour vous?

Jusqu’ici nous avons toujours profité des fusions et des acquisitions, notamment du fait que ce sont souvent nos clients qui ont racheté d’autres banques qu’il fallait ensuite intégrer au système.

Dans dix ans, pensez-vous qu’il y aura encore des back-offices dans des banques en Suisse?

C’est difficile de prédire comment sera l’industrie bancaire dans dix ans. Je pense toutefois qu’il y aura une ségrégation de la chaîne de valeur, et que cela ne concernera pas seulement le back-office. Des banques se concentreront ainsi sur la vente de produits, d’autres sur le conseil. Maintenant tout dépendra de la stratégie de chaque établissement, mais il est probable qu’une banque privée typique qui couvre plusieurs marchés et qui offre un large spectre de produits aura de la peine à maintenir son propre back-office.

Les grandes banques ont délocalisé une partie de leur back-office en Pologne ou en Inde pour des questions d’économies. Est-il imaginable de voir un jour B-Source en faire autant?

Aujourd’hui clairement non. Vous savez, il y a deux approches pour faire des économies: se concentrer sur le processus d’industrialisation, comme l’a fait l’horlogerie, ou réduire les coûts de la main-d’oeuvre sans changer la manière de produire. Vous ne pouvez pas faire les deux à la fois. Chez B-Source nous sommes centrés sur l’industrialisation du secteur bancaire, qui consiste en trois points: la standardisation des processus, leur automatisation et leur amélioration continue. Pour pouvoir automatiser, il faut commencer par standardiser. Une fois que vous l’avez fait, vous vous rendez compte que l’automatisation vous permet d’effectuer des tâches à un coût moindre que si vous aviez délocalisé les opérations dans un pays où les salaires sont peu élevés.

Vous produisez aujourd’hui des documents fiscaux pour les clients de vos clients. On imagine que la sécurité et l’anonymat des données est important à leurs yeux?

La sécurité des données est très importante pour nous, au même titre que la compliance [conformité aux réglementations, ndlr]. Nous sommes probablement l’une des sociétés les mieux auditées du pays. Faisant partie de la chaîne de valeurs de nos clients, nous devons répondre à toutes leurs normes de sécurité. Par ailleurs, personne au sein de B-Source n’a accès au nom de l’ayant droit économique. Ainsi, si la sécurité des données fait partie de la préoccupation de nos clients au début de notre relation, ils comprennent assez rapidement, notamment en faisant des «due diligence» de notre système de sécurité, que c’est l’une de nos forces, une raison pour eux de venir chez nous.

Etes-vous soumis à la surveillance de la Finma?

Pas encore. Par contre nous le sommes indirectement puisque tous nos clients sont supervisés par elle et qu’il existe une forte réglementation en matière d’outsourcing. Ainsi, elles peuvent répondre facilement au formulaire 3 de la Finma, celui sur lequel il faut montrer qui a accès à quelles données, puisque c’est un service que nous leur offrons. A l’inverse, ce formulaire peut s’avérer très compliqué pour certaines banques qui ont des systèmes informatiques très anciens.