Justice
L’ancien directeur commercial d’UBS France Patrick de Fayet a longuement répondu au Tribunal, mercredi, sur les fameux fichiers parallèles au cœur de la procédure. Pour nier «tous flux financiers illicites»

Combien de fois la présidente du Tribunal correctionnel de Paris a-t-elle, mercredi, redit ces simples mots: «Je veux comprendre»? Le directeur commercial d’UBS France de 2004 à 2008, Patrick de Fayet, s’exprimait depuis au moins deux heures lorsque nous avons arrêté de compter. Car dans ce dossier, «comprendre» est la clef.
Comprendre, d’abord, la règle d’or du secret bancaire suisse qui dissimulait chaque client derrière le terme «prospect». Comprendre ce qui se passait lors des «events», ces événements sportifs ou culturels financés à prix d’or (60 000 euros la loge à Roland-Garros) par la banque helvétique ou sa filiale française. Comprendre les flux d’argent déclaré au fisc ou non déclaré, dont l’ex-cadre avait parlé aux enquêteurs et qu’il regrette aujourd’hui d’avoir évoqué, «car cela va au-delà de ce qu’il pouvait savoir». Comprendre, surtout, ce que cachaient vraiment ces «carnets du lait», fichiers comptables parallèles sur lesquels étaient inscrits les mouvements financiers entre la France et la Suisse, dont un seul – celui d’août 2007 – a été retrouvé par les enquêteurs. Tous les autres ayant été détruits…
Patrick de Fayet est, a priori, l’un des mieux placés pour aider la justice à «comprendre». Mis en examen pour complicité de démarchage bancaire et financier illicite et blanchiment de fraude fiscale, ce banquier a reconnu par lettre du 15 juin 2016 sa culpabilité pour échapper à un procès, démarche ensuite non homologuée par la précédente présidente du Tribunal, comme l’a justement noté la défense. Son audition était donc très attendue, et elle se poursuivra d’ailleurs ce jeudi, à partir de 13h30. Avant celle des représentants d’UBS AG puis, à partir de lundi 22 octobre, celle de Raoul Weil, l’ancien patron d’UBS Wealth Management acquitté aux Etats-Unis en 2014.
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Une parfaite assurance de meneur d’hommes
Le résultat? Deux personnalités en une à la barre. Le premier, Patrick de Fayet, à qui la magistrate demande de raconter son métier, a une parfaite assurance de meneur d’hommes et de distributeur de bonus annuels aux meilleurs de 140 chargés d’affaires (CA) placés alors sous ses ordres. Il parle des soutes humaines, explique que la banque «n’est pas seulement une affaire mécanique». Il revendique une part «d’humanité», car, sinon, gérer les chargés de clientèle dans cet univers «très concurrentiel» de la gestion de fortune – le dossier parle de 10 milliards d’euros soustraits au fisc français – n’est juste pas possible.
Il redit, à plusieurs reprises, que les chargés d’affaires suisses – interdits de démarchage en France – ne lui communiquaient jamais le nom de leurs clients, secret bancaire oblige. L’on s’attendait à ce que ce banquier bien mis, au verbe fort, qui tutoyait tous les dirigeants d’UBS, revienne sur les conditions difficiles de sa garde à vue du 17 octobre 2012. Rien. Quand il parle de son métier, Patrick de Fayet voit les choses simplement: «Tant que vous n’avez pas 100% de la fortune du client, le chef vous houspille […] Si un CA veut avoir des bonus, soit il drague son ancien fonds de commerce, soit il va à la chasse.»
«Je me référais à des rumeurs»
Un autre homme se dévoile néanmoins lorsque la présidente du tribunal, mais aussi le procureur Eric Russo le confrontent au dossier, à ses déclarations devant les policiers, aux termes alors employés. Que faisaient les Helvètes du desk France International, lorsqu’ils se retrouvaient, entre autres, dans les salons parisiens d’UBS France? «Un peu bizarre, non», souligne Christine Mée, pour qui ces réunions «sont au cœur de la problématique du démarchage illicite». «Comment pouviez-vous savoir que les Suisses ne venaient pas chasser sur vos terres?» poursuit-elle. «Même si j’avais posé la question, je n’aurais pas eu la réponse», répète le prévenu. Lequel, de nouveau, argue du secret bancaire.
Nouvel assaut de la juge: «Soit, mais alors pourquoi avoir utilisé le mot «démarchage» face aux enquêteurs? «Je n’avais pas à ce moment-là le code bancaire sous la main. J’ai fait une réponse générique. Je me référais à des rumeurs. Des chargés d’affaires français disaient s’être fait piquer des clients par les Suisses.» Les avocats d’UBS viennent quelques minutes plus tard à sa rescousse. Ils produisent une lettre dans laquelle une employée d’UBS France accuse à l’époque l’un de ses collègues «lanceur d’alerte» d’avoir tout inventé. «Gare aux raisonnements par glissement qui nous éloignent de la vérité», sermonne Me Denis Chemla, conseil d’UBS AG.
Méthode artisanale
Puis débarquent les «carnets du lait». La présidente, à nouveau, veut comprendre. Pourquoi une telle méthode artisanale, parallèle aux procédures habituelles, pour recenser les mouvements de fonds? «Ils servaient à voir ce qui matchait et ne matchait pas. C’était un outil utile», répond, en franglais financier, Patrick de Fayet. On comprend, à l’écouter, qu’il s’agissait d’un simple moyen de faire le juste tri entre les «prospects» gérés par les Suisses et ceux gérés par les Francais, lors d’échanges trimestriels avec ses interlocuteurs d’UBS AG. «On ne notait que ce qui méritait discussion», poursuit l’ancien dirigeant d’UBS France, qui attribue au passage à son ex-assistante la paternité du terme «vache» pour désigner les fichiers clients. D’un côté, les très strictes règles officielles d’UBS. De l’autre, au quotidien, ces carnets et leurs surnoms fermiers.
L’essentiel? «J’avais comme assurance que toutes les recommandations étaient licites, validées. Je conteste complètement l’existence de flux illicites dans les carnets du lait», répète Patrick de Fayet. Et d’ajouter: «J’ai toujours été choqué de voir des gens critiquer ce système alors qu’ils l’alimentaient.» On comprend soudain mieux sa phrase, prononcée un peu plus tôt: «On est dans un monde d’argent. C’est la guerre.»