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Le rachat de Credit Suisse par UBS accouche d'un nouveau géant bancaire

Après avoir longtemps sous-estimé l'acuité de la crise chez Credit Suisse, le Conseil fédéral recourt au droit d'urgence pour faciliter la reprise de la banque par UBS pour un montant de 3 milliards

Axel Lehmann, Credit Suisse, Colm Kelleher, UBS, Karin Keller-Sutter et Alain Berset, lors de la conférence de presse à Berne dimanche soir, annonçant la fusion des deux groupes bancaires.  — © PETER KLAUNZER / keystone-sda.ch
Axel Lehmann, Credit Suisse, Colm Kelleher, UBS, Karin Keller-Sutter et Alain Berset, lors de la conférence de presse à Berne dimanche soir, annonçant la fusion des deux groupes bancaires. — © PETER KLAUNZER / keystone-sda.ch

Un «tremblement de terre, qui n’a d’équivalent que le «grounding» de Swissair, la banque volante» en 2001. C’est ainsi qu’un observateur de la finance décrit la disparition d’un des fleurons de la banque, non seulement suisse mais mondiale, créé voici 167 ans par le visionnaire Alfred Escher. Ce dimanche soir sur le coup de 19h30, le président de la Confédération Alain Berset – flanqué de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter, du président de la BNS Thomas Jordan et des deux présidents Colm Kelleher (UBS) et Axel Lehmann (Credit Suisse) – a annoncé la reprise de Credit Suisse par UBS pour 3 milliards de francs.

Bien que les difficultés de Credit Suisse soient connues depuis plusieurs mois déjà, ce n’est que mercredi dernier que les autorités semblent s’être rendu compte de la gravité de la situation à la suite des turbulences financières survenues d’abord aux Etats-Unis. Le Conseil fédéral, qui est sans cesse resté en contact avec les banques centrales des Etats-Unis et du Royaume-Uni, a entamé de premières discussions avec les deux banques mercredi dernier. Jeudi, il a décidé d’une deuxième tranche de 50 milliards en faveur de Credit Suisse, en plus du prêt déjà connu de 50 milliards assuré par la BNS, annoncé mercredi soir. Le gouvernement a ensuite tenu des séances tous les jours. Puis la BNS a encore débloqué de nouvelles liquidités à hauteur de 100 milliards de francs pour les deux banques.

Reprise complète des activités pour 3 milliards

«Nous avons trouvé la meilleure solution possible. Elle est durable et porteuse d’avenir», a affirmé la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter. Bien sûr, le Conseil fédéral aurait préféré que Credit Suisse s’en sorte par elle-même. Mais dans cette situation critique, la solution choisie doit pouvoir stabiliser les marchés financiers, non seulement en Suisse, mais aussi à l’étranger. «Credit Suisse est l’une des 30 banques systémiques au niveau mondial», a rappelé le président de la Confédération Alain Berset.

Il s’agit donc d’une reprise complète des activités de Credit Suisse par UBS et pas seulement de quelques activités, comme cela a été évoqué au cours du week-end. Le rapprochement va créer un nouveau mastodonte bancaire suisse avec 5000 milliards de francs sous gestion. Il sera mené par les dirigeants actuels d’UBS, le Néerlandais Ralph Hamers en tant que directeur général et l’Irlandais Colm Kelleher en tant que président du conseil d’administration. Ce dernier, présent à la conférence de presse, a promis que le nouveau groupe serait «solide comme un roc». Il s’est dit «reconnaissant» que les autorités aient initié des discussions pour cette fusion et a souligné les «immenses opportunités» qu’elle crée.

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Le banquier, qui a officié pour plusieurs banques américaines, a promis de rendre la situation la moins douloureuse possible pour les employés de Credit Suisse. La banque compte près de 50 000 collaborateurs, dont 17 000 en Suisse. «Il est trop tôt pour parler de licenciements. Nous serons prévenants, mais nous devrons aussi agir de manière rationnelle», a ajouté Colm Kelleher. C’est dans l’entité suisse de Credit Suisse que les inquiétudes sont les plus vives. Avant même l’annonce dimanche après-midi, le syndicat des employés de banque, l’ASEB, disait sa grande préoccupation. Dans son communiqué, UBS promet une diminution des coûts de 8 milliards d’ici à 2027. Colm Kelleher a aussi précisé vouloir réduire les risques dans les activités dont l’établissement «hérite» de son acquisition pour se focaliser sur la gestion de fortune. La restructuration de la banque d’affaires de Credit Suisse était déjà en cours.

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Le prix de la transaction? Trois milliards, soit moins de la moitié de la valeur en bourse de la deuxième banque suisse, à la clôture des marchés vendredi. Concrètement, les actionnaires de Credit Suisse recevront une action d’UBS pour 22,48 actions de Credit Suisse. Jusqu’à ce que la fusion soit complètement concrétisée, Credit Suisse continuera de conduire ses activités de façon normale, précise le communiqué, et mettra en place les mesures de restructuration en collaboration avec UBS. «Il faudra des semaines, voire des mois» pour achever ce rapprochement, a précisé Colm Kelleher.

La Confédération ne dépense rien

Egalement présent à Berne dimanche soir et nettement moins enjoué que son homologue d’UBS, Axel Lehmann a admis qu’il était clair que «Credit Suisse ne pouvait plus continuer comme cela». Ayant entamé 2023 «avec élan et énergie», la banque s’est retrouvée prise dans les turbulences venues des banques américaines et n’a pas pu supporter une deuxième vague de départs de clients, après celle de l’automne. Interrogé sur les responsabilités de cette débâcle, Axel Lehmann a souligné qu’il était «facile de regarder en arrière et de pointer du doigt» des fautifs. Il a rappelé que, depuis les affaires Greensill et Archegos, en mars 2021, Credit Suisse n’a cessé de faire les gros titres, qu’elle a ensuite été prise dans une tempête sur les réseaux sociaux et qu’elle a accumulé les difficultés. Pour l’actuel président, ce rapprochement est tout simplement la «meilleure solution», alors que la banque avait perdu le contrôle.

La Confédération ne dépense rien dans cette transaction, mais elle s’engage tout de même: elle accorde une garantie contre les pertes de 9 milliards «sur une partie clairement définie du portefeuille». En cas de défaillance, les 5 premiers milliards seront à charge d’UBS, Berne prendra à son compte les 9 suivants, puis des pertes supplémentaires reviendront à la charge de la banque. Malgré cette garantie et le soutien de la BNS, «c’est une solution commerciale, pas un sauvetage», a martelé Karin Keller-Sutter. «Nous avons tout fait pour l’éviter», a ajouté la ministre, précisant qu’elle aussi avait un compte chez Credit Suisse. La Confédération accorde aussi une garantie sur les 100 milliards d’aide de la BNS.

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«On constate que la situation de Credit Suisse était beaucoup plus grave que ce que l’on croyait sur la base des informations disponibles», remarque Walter Stoffel, professeur de droit émérite à l’Université de Fribourg et ancien président de la Commission de la concurrence (Comco). Le Conseil fédéral a eu recours au droit d’urgence pour entériner cette reprise. «Le droit de la concurrence, la loi sur les cartels en l’occurrence, prévoit que la Finma ait la compétence de donner son feu vert à une reprise en fonction de «craintes prudentielles» pour protéger les créanciers», précise Walter Stoffel. Ce dimanche, la délégation des finances des deux Chambres fédérales a approuvé un tel procédé. Ce n’est donc que dans une phase ultérieure qu’un projet de loi sera soumis au parlement dans les six mois. La Comco ne pourra que donner un préavis. Ces derniers jours, l’un de ses anciens dirigeants avait laissé entendre qu’il aurait «de sérieuses réserves» avec une telle reprise. Interrogé sur ce point, Urban Angehrn, directeur de la Finma,  a déclaré que la Comco allait être consultée. Mais puisqu’il s’agit de stabilité financière, des exceptions peuvent être trouvées. «Il s’agit de protéger les dépôts des épargnants, c’est pourquoi la Finma peut autoriser une telle transaction», a ajouté Karin Keller-Sutter.

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Puisqu’il s’agit de mesures d’urgence, la fusion peut aller de l’avant sans l’accord des actionnaires. Comment réagiront ces derniers? Saudi National Bank avait, semble-t-il, soutenu Credit Suisse lorsqu’elle refusait la première offre, à 25 centimes par action. Pour rappel, la banque saoudienne est entrée dans le capital de Credit Suisse en novembre dernier et compte près de 10% des parts. «Si le Conseil fédéral passe en force, la réputation de la Suisse va en prendre un coup», prévenait d’ailleurs Vincent Kaufmann, directeur d’Ethos, qui représente 3 à 5% des actionnaires, juste avant l’annonce. C’est très étrange car ces derniers doivent échanger leurs actions, nous sommes quand même dans un marché libre et je ne vois pas comment on peut complètement esquiver leur accord.»