Avant d’entrer dans le vif du sujet, il y a lieu de rappeler quelques statistiques relatives au secteur lui-même. Selon la BNS, la Suisse comptait 487 banques actives dans la gestion de fortune en 1992, et 314 en 2011. De plus, près de 90% de ces banques géraient moins de 10 milliards de francs d’actifs en 2011. Il est à noter que la plupart des transactions récentes portent sur des banques de petite taille (moins de 10 milliards de francs d’actifs sous gestion). Depuis le début de l’année 2012, on compte uniquement quatre transactions sur des banques ayant des activités de «private banking» en Suisse, alors qu’on en décomptait près d’une dizaine en 2011.

Ce faible volume de transactions s’explique par divers facteurs propres aux acheteurs et aux vendeurs ainsi qu’au régulateur (Finma).

Du côté des acquéreurs, nous constatons qu’ils sont beaucoup moins nombreux que par le passé. En effet, un nombre important de groupes étrangers estiment que la gestion de fortune offshore avec une clientèle non conforme fiscalement ne fait plus partie de leur stratégie d’expansion non organique. De plus, certains groupes éprouvent eux-mêmes des difficultés financières (manque de fonds propres, recapitalisation par l’Etat, dette souveraine dans leurs bilans, etc.) et n’ont pas les capacités nécessaires pour acquérir des concurrents suisses.

On constate également que les acquéreurs qui se disent prêts à acquérir des sociétés actives dans la gestion de fortune sont beaucoup plus prudents que par le passé. En effet, ils cherchent à éviter la contamination de leurs propres opérations par une acquisition. D’une part, ils cherchent à éviter de manière générale l’acquisition de clientèle de l’Union européenne et de l’Amérique du Nord. Or, ils estiment que de nombreuses cibles possèdent une clientèle non conforme fiscalement et qu’il y a un risque important de perte de masse sous gestion de par les négociations d’accords fiscaux (actifs dits «rubikables») entre la Suisse et les pays de l’UE. Ces acquéreurs pensent qu’il y a une faible visibilité quant aux avoirs restants post-transaction. D’autre part, ces transactions engendrent également un risque de réputation important pour les acquéreurs. Il existe en effet une possibilité de se retrouver sur la liste des banques soumises aux investigations de l’IRS ou encore de voir son nom dans les journaux suite à des vols de CD contenant des informations clients.

Un autre élément qui ressort régulièrement des processus d’acquisition est la conformité des banques avec les aspects réglementaires. En effet, les acheteurs vont non seulement vouloir s’assurer du respect, par la banque cible, de la réglementation en vigueur, mais aussi de la propension de cette dernière à se conformer à la réglementation à venir et l’impact que ceci aura sur ses opérations et sa profitabilité futures.

Du côté des vendeurs, on note une grande proportion de banques de petites tailles ou appartenant à des groupes étrangers. Les petites banques souffrent, pour leur part, de faible rentabilité et sont plus fortement exposées à une clientèle non fiscalisée à cause de la faiblesse de leur réseau. De plus, la série de nouvelles réglementations bancaires engendre des coûts importants ainsi qu’un risque élevé de perte de clients non fiscalisés. Face à ces défis et de manière à survivre et à atteindre une taille critique, les banques qui vendent ou cherchent à fusionner sont multiples.

En ce qui concerne le régulateur, il joue un double rôle. D’une part, il force les banques ne faisant plus preuve d’une activité irréprochable ou en difficulté financière à trouver un repreneur. Sur la base de ce qui précède, on peut s’attendre à une augmentation du nombre de ventes forcées. D’autre part, il est à noter que le régulateur a aussi augmenté ses exigences quant à l’acquisition de banque par des nouveaux entrants sur le marché. Ces facteurs, combinés avec celui d’une prudence accrue de la part des acquéreurs, comme cité précédemment, font en sorte que plusieurs transactions forcées par le régulateur ne se sont pas et ne seront pas conclues.

Trois conclusions peuvent être tirées concernant l’évolution future des transactions de fusions et acquisitions bancaires en Suisse. Premièrement, le prix des transactions devrait continuer à se situer en moyenne aux alentours de la valeur des fonds propres (voir graphique). En effet, le faible nombre d’acheteurs et le grand nombre de vendeurs ainsi que les défis rencontrés par ces derniers devraient continuer à mettre les prix sous pression. Deuxièmement, nous pensons qu’un certain nombre de banques ne seront pas en mesure de faire face aux défis du secteur et seront forcées de vendre, ou ne trouveront pas de repreneurs et devront abandonner leur licence bancaire ou procéder à une liquidation. Troisièmement, nous estimons que cette situation ne changera pas tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de meilleure visibilité sur les impacts de la réglementation bancaire, et plus particulièrement en ce qui concerne les accords fiscaux entre la Suisse et les pays de l’UE et les Etats-Unis. Nous pensons que cette situation s’améliorera une fois que cette visibilité sera accrue et que la place financière suisse aura digéré ces changements réglementaires. Entre-temps, il ne serait pas surprenant d’assister à un changement significatif de la cartographie bancaire en Suisse.

* Associé responsable des services de conseil en fusions et acquisitions pour Deloitte en Suisse

Selon la BNS, la Suisse comptait 487 banques actives dans la gestion de fortune en 1992, et 314 en 2011