Rajna Gibson: «L’intégrité morale peut répondre aux attentes des investisseurs»
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Rajna Gibson, professeure de finance à Genève, explique les résultats d’une nouvelle étude qu’elle a cosignée sur les attentes des investisseurs quant aux responsables d’entreprises

L’honnêteté des responsables d’entreprise compte pour les investisseurs. Et même, dans beaucoup de cas, davantage que les performances en bourse de l’entreprise. C’est le résultat d’une étude dont Rajna Gibson, professeure de finance titulaire d’une chaire au Swiss Finance Institute et vice-directrice du Geneva Finance Research Institute (GFRI) de l’Université de Genève, est coauteure.
Selon l’enquête, 60% des participants préfèrent des responsables honnêtes. Mais pour des raisons différentes. Soit parce qu’ils sont «pro-self» (égoïstes) et estiment qu’un manager honnête est le garant d’une plus grande crédibilité quant aux résultats futurs. Soit parce qu’ils sont «pro-social» (altruistes) et placent leur argent en fonction de valeurs morales plus qu’en fonction de perspectives de rendements.
Le Temps: Comment avez-vous mesuré l’honnêteté des dirigeants, qui, par définition, est difficile à quantifier et à vérifier?
Rajna Gibson: Nous prenons la perspective de la gestion des bénéfices par action. On ne peut évidemment pas évaluer le comportement en général d’un directeur, mais on peut savoir facilement s’il manipule les bénéfices, notamment pour en tirer une meilleure rémunération pour lui-même. Ce n’est pas interdit, c’est permis par les normes comptables, le faire est même considéré comme acceptable dans le monde des entreprises, mais cela questionne l’honnêteté et les principes moraux de celui qui le fait. C’est cette zone grise, celle de la conscience morale, qui nous intéresse.
Lire l’étude: Investing in Managerial Honesty
– Quels sont les enseignements de votre étude pour les gérants de portefeuille?
– Que l’intégrité morale peut répondre aux attentes des investisseurs, d’une part, et que les entreprises qui disposent de managers considérés comme honnêtes vont plus facilement attirer les capitaux. Il faudrait plus de transparence sur les critères d’honnêteté, de valeur morale des dirigeants. C’est aspect est à prendre en compte dans la réglementation. Et, de façon générale, il faut intégrer l’idée que les investisseurs ne sont pas identiques et qu’il faut trouver comment répondre à un public très large.
– Dans votre expérience, l’honnêteté compte pour une majorité d’investisseurs. Etaient-ils davantage altruistes ou égoïstes?
– Nous avons eu un peu plus d’investisseurs altruistes dans notre échantillon, mais il faut faire attention avant d’extrapoler. Il s’agissait d’étudiants de l’Université de Zurich. Or, les facteurs culturels ou régionaux peuvent compter. Un investisseur d’un pays nordique est plus sensible aux aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) qu’un investisseur anglo-saxon, par exemple. Cela dit, la question de l’intégrité morale n’est pas la même chose que les critères ESG. Elle comporte une notion de confiance très importante. On sait que les pays qui disposent d’un cadre juridique et institutionnel solide voient davantage de participation dans leurs marchés financiers. L’intégrité y participe, parce qu’elle facilite le développement de la confiance.
– Cette importance donnée à l’honnêteté est-elle nouvelle?
– Depuis la crise des «subprime», le critère de l’intégrité est devenu plus important. Le scandale Madoff, puis celui de la manipulation des taux Libor, etc., n’ont fait que renforcer cette tendance. On se rend compte que tenir compte de ces critères peut aider à améliorer la gouvernance des entreprises. C’est une sorte de réveil. Mais cela ne veut pas dire que tous les problèmes sont résolus.
– Les spécialistes de l’investissement socialement responsable soutiennent que les rendements sont tout aussi bons avec leurs critères que sans…
– Oui, mais on s’est rendu compte en faisant l’étude que, le plus souvent, le critère de la performance ne prime pas pour les investisseurs de type altruiste, ils se concentrent davantage sur l’éventuel choc avec leurs valeurs morales. Cela dit, oui, il y a des investisseurs pour qui la performance compte. Mais cela va dans la direction de ce que nous voulons démontrer, c’est-à-dire qu’il y a une hétérogénéité parmi les investisseurs. Certains placent l’environnement avant le reste, d’autres la performance, d’autres l’honnêteté, etc.