Publicité

La réforme de la loi anti-blanchiment manque de précision

Une rédaction imparfaite de la loi n’est pas sans conséquences. Passage en revue de quelques imprécisions de la réglementation contre le blanchiment d’argent

DR — © 123 rf
DR — © 123 rf

La réforme récente de la réglementation suisse anti-blanchiment mérite quelques critiques. Non pas sur le fond puisqu’il n’y a guère plus de résistance possible à la reprise dans notre pays de standards internationaux qui s’imposent partout, hormis bien entendu aux Etats-Unis d’Amérique. Mais au point de vue de la précision des règles adoptées et des conséquences qu’une rédaction imparfaite peut entraîner.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2016, le droit suisse distingue entre les sociétés de domicile et les sociétés dites opérationnelles. En présence d’une société de domicile, les intermédiaires financiers ont l’obligation d’identifier l’ayant droit économique des actifs de ces sociétés (Formulaire A); s’agissant des sociétés opérationnelles non cotées en bourse, les intermédiaires financiers ont l’obligation d’identifier ceux qui détiennent le contrôle sur ces sociétés (Formulaire K).

On regrettera, s’agissant des formulations employées par le législateur, que cette distinction, claire en théorie (ayant droit économique des actifs d’une part, détenteur du contrôle sur la société d’autre part), n’apparaisse pas du tout à l’article 4 al. 1 et 2 de la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA). La disposition se réfère de façon générale à l’obligation d’identifier l’ayant droit économique sans autre forme de précision, même pour les sociétés opérationnelles dans la mesure où elles ne sont pas cotées en bourse.

Une notion vague et imprécise

La formulation ainsi employée par le législateur pourrait permettre de penser que, pour les sociétés opérationnelles également, l’ayant droit économique exerce une maîtrise directe sur les actifs de celle-ci en faisant abstraction de la personnalité juridique. Et cette lecture est confirmée par l’article 2 al. 3 de la LBA qui définit l’ayant droit économique d’une société opérationnelle, alors qu’il aurait été préférable d’utiliser pour ce type de société exclusivement la notion de détenteur de contrôle. La notion d’ayant droit économique, vague et imprécise, doit être soit utilisée le moins possible, soit finalement rigoureusement définie.

Par ailleurs, le terme de société opérationnelle n’est nulle part défini dans la loi, si ce n’est par opposition à celui de société de domicile. Celle-ci est définie à l’article 6 al. 3 de l’Ordonnance sur l’activité d’intermédiaire financier exercée à titre professionnel, ce qui n’est pas normal s’agissant d’un concept essentiel.

Quant à la notion de détenteur de contrôle (recte d’ayant droit économique, art. 2 al. 3 LBA), elle est incroyablement compliquée: «Personnes qui détiennent directement ou indirectement, seules ou de concert avec un tiers, une participation d’au moins 25% du capital ou des voix ou qu’elles la contrôlent d’une autre manière. Si ces personnes ne peuvent pas être identifiées, il y a lieu d’identifier le membre le plus haut placé de l’organe de direction.» Or: que signifie contrôler une société «d’une autre manière»? Quand agit-on «de concert avec un tiers»? A partir de quand doit-on considérer que les personnes ainsi visées «ne peuvent pas être identifiées»? Pour quel motif incongru on présume que «le membre le plus haut placé de la direction» est le détenteur de contrôle dans un tel cas de figure, alors qu’il ne sera en général qu’un employé de la société avec des obligations contractuelles et légales limitant ses pouvoirs?

Indication étonnante de l’ASB

Encore au nombre des questions non résolues: quelles sont les diligences que la personne qui signe un Formulaire K doit remplir pour s’assurer que les personnes qu’il mentionne sont bel et bien les détenteurs de contrôle? Question d’autant plus normale que, dans la mesure où la détention indirecte de la société est également visée, le signataire pourrait très bien n’avoir qu’un rapport ténu avec les détenteurs de contrôle ou ignorer tout (pour des motifs de discrétion légitimes) des conventions d’actionnaires permettant de considérer que diverses personnes physiques sont ensemble les détenteurs de contrôle d’une société.

Par ailleurs, le signataire du Formulaire K doit-il avertir les personnes qu’il désigne pour leur donner le cas échéant la possibilité de s’opposer à leur désignation? Il prend la responsabilité de faire figurer leurs données personnelles sur un document qui a une portée juridique certaine au moment du passage à l’échange automatique de renseignements. Toujours au sujet du Formulaire K, on ne peut qu’être étonné du fait que l’ASB ait cru bon d’indiquer sur le modèle de Formulaire K annexé à la Convention de diligence que le fait de le remplir intentionnellement de manière erronée est un faux dans les titres. C’est inexact et il aurait été plus correct d’écrire «pourrait» être un faux dans les titres.

Last but not least, il est vraisemblable qu’un jour, dans une procédure de divorce ou d’exécution forcée, les avoirs d’une société opérationnelle seront bloqués parce qu’un débiteur récalcitrant est mentionné sur un Formulaire K. Il aurait été facile d’éviter ce risque en indiquant expressément dans la loi que la notion de détenteur de contrôle ne déploie pas d’effets en matière d’exécution forcée ou de droit civil.

Malheureusement ces diverses questions de substance ont été oubliées au Parlement au profit d’un débat un peu d’arrière-garde, vu les temps qui courent, sur la possibilité de continuer à effectuer des paiements en cash pour des sommes importantes.