Le retour des perdants du covid
Perspectives
AbonnéL’Italie au sein des gagnants de l’année boursière 2021? Le tourisme, l’énergie, l’assurance de retour au premier plan au détriment des GAFA? Les stratégistes sont nombreux à penser que l’heure du grand rééquilibrage a sonné. Mais l’investisseur devrait éviter de trop se concentrer sur le court terme et les modes, selon un Prix Nobel

L’année 2020 n’est-elle que celle du covid? Louis-Vincent Gave, directeur général du gérant d’actifs Gavekal, à Hongkong, propose de prendre un peu de distance avec l’information immédiate. Dans une interview au magazine Barron’s, il montre que l’événement clé de 2001 n’a rétrospectivement pas été l’attentat du World Trade Center mais l’entrée de la Chine dans l’OMC. En 2007, il s’avère que la crise des subprimes a produit moins d’effets à long terme que l’arrivée du smartphone. Pour Louis-Vincent Gave, 2020 sera l’année durant laquelle la dette par habitant s’est accrue de 12 800 dollars aux Etats-Unis, 5300 dollars en France et en Allemagne, seulement 1300 dollars en Chine. «L’Occident a répondu au covid par une massive hausse des déficits budgétaires, ce qui réduira sa marge de manœuvre future, à l’inverse de l’Asie et en particulier de la Chine», indique-t-il. Le gérant se dit très haussier sur la monnaie chinoise et les obligations asiatiques en monnaies locales. Et il est loin d’être le seul dans ce cas. De nombreux stratèges, comme ceux de Credit Suisse, recommandent la Chine dans la perspective de 2021.
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En décembre, les banques prévoient traditionnellement une hausse des actions de 10% pour l’année suivante. Cette régularité ne manque pas d’être suspecte. A l’orée de 2021, l’attente d’une normalisation de la vie économique qu’accompagnera l’arrivée d’un vaccin contre le covid ne fait pas exception. Mais la hausse des cours a été telle, notamment dans les valeurs de croissance et les géants de la technologie, que techniquement le marché est souvent perçu comme cher. «Le ratio entre les options d’achat et de vente signale par exemple un niveau d’optimisme très élevé chez les traders», confie Olivier Rigot, associé gérant auprès d’EMC Gestion, à Genève.
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Le Prix Nobel d’économie en 2017, Richard Thaler, spécialiste de la finance comportementale, souligne, également dans Barron’s, que les petits investisseurs ont été nombreux à acheter des actions ces derniers mois. Cette euphorie est dangereuse: «Le plus grand risque est l’excès de confiance. Les gens pensent qu’ils sont meilleurs que la moyenne sur tous les plans.» Le Prix Nobel recommande de se pencher non pas sur les prochains mois mais sur le long terme.
Les derniers seront les premiers
Une idée très répandue actuellement chez les experts est celle d’un rééquilibrage entre les secteurs. Les perdants de la crise du covid devraient se reprendre et réduire leur écart de valorisation avec les gagnants de 2020, estime Marcus Poppe, gérant de fonds auprès de DWS. Ce dernier a investi dans les sociétés industrielles dont le modèle d’affaires n’a pas été terni par le Covid-19 et récemment également dans l’aviation.
Les actions allemandes, qui sous-performent les indices européens depuis septembre, devraient profiter de la normalisation de l’économie, confirme les analystes de Bank of America. Au sein des actions, la banque américaine s’attend à une surperformance de 10% de l’Allemagne et même de 16% pour l’Italie d’ici à la fin de l’automne 2021. Par contre, le marché suisse, avec ses caractéristiques très défensives, devrait de nouveau sous-performer dans un contexte de hausse des taux d’intérêt américains.
L’optimisme sur les actions n’est pas unanime. Olivier Rigot, chez EMC Gestion, privilégie la prudence. Les politiques monétaires et budgétaires très expansives des Etats-Unis pourraient provoquer des turbulences sur le dollar, à son avis. Les Etats-Unis souffrent en effet d’un triple déficit (budgétaire, commerciale et de la balance courante). Si le dollar poursuit son repli, les actions européennes en seraient les premières victimes, selon Olivier Rigot. Les turbulences monétaires ont d’ailleurs souvent été un poison pour les bourses. EMC Gestion privilégie les valeurs restées en retrait et qui offrent des caractéristiques de résilience, comme LafargeHolcim, SGS, les assurances. Ces dernières profitent en effet d’une hausse des taux d’intérêt nominaux et versent souvent des dividendes attractifs. Il se dit également intéressé par les matières premières.
Par contre EMC Gestion se méfie des valorisations élevées des valeurs dites de croissance. Une modeste déception sur le résultat peut conduire à une forte chute, à l’exemple de SAP récemment. L’investisseur réagit alors en abaissant les perspectives de bénéfice et en acceptant un plus bas multiple des bénéfices. Ces «accidents» de marché pourraient alors offrir de belles opportunités.
A plus long terme, Olivier Rigot recommande de se préparer à un retour de l’inflation. La baisse du billet vert augmentera l’inflation importée. La hausse des salaires en Chine et ailleurs en Asie empêche que les coûts de production restent encore très bas. Les matières premières pourraient se renchérir. La Réserve fédérale américaine a elle-même annoncé qu’elle accepterait que l’inflation dépasse la norme.
Le choix des cycliques
Le rééquilibrage est déjà avancé. Les valeurs cycliques au bénéfice d’une grande qualité du management, du bilan et d’une solide position sur leur marché, se sont fortement reprises dès le milieu de l’année. Leur performance a parfois même dépassé celle de l’indice SPI lorsqu’il est apparu qu’elles ne rencontraient pas de difficultés de liquidités, confie Raffael Frauenfelder, analyste en actions industrielles auprès du gérant Albin Kistler, à Zurich. Ce dernier pense à des sociétés suisses comme Geberit, Ems-Chemie, Georg Fischer ou Sika. Elles ont continué à investir dans leur outil de travail et la recherche pendant la pandémie.
Par contre, si l’engouement est actuellement significatif pour des sociétés dont l’activité a été très sérieusement entravée, comme les biens d’équipement de Bobst ou Tornos, le rebond est plus fragile, car il dépend beaucoup de la santé de leurs clients. Il en va de même de l’aéroport de Zurich et des sociétés de remontées mécaniques.
Pour Albin Kistler, qui surpondère légèrement les actions dans son portefeuille, la qualité ne se négocie pas, même si elle se traduit par des cours qui ne sont plus bon marché. Le potentiel des «cycliques de qualité» reste significatif pour les trente-six prochains mois, avoue Raffael Frauenfelder. A la liste citée plus haut, il ajoute volontiers SFS, en Suisse orientale, et Also Holding, un fournisseur de composants électroniques.