Un bref récapitulatif s’impose: quatre arrêts de principe ont marqué l’histoire des rétrocessions: deux concernant des rétrocessions liées aux avoirs gérés des clients et deux autres relatifs aux produits. Un premier arrêt a été rendu par le Tribunal fédéral le 22 mars 2006, la Haute Cour retenant qu’un gérant indépendant devait restituer à ses clients l’intégralité des rétrocessions perçues des banques dépositaires, conformément aux dispositions du Code des obligations régissant le mandat. Les clients pouvaient néanmoins renoncer contractuellement à ces rétrocessions, moyennant leur consentement éclairé. Les contours exacts de ce consentement ont été précisés dans un nouvel arrêt du Tribunal fédéral du 29 août 2011, faisant siennes les règles de la Circulaire Finma 2009/1, à savoir l’obligation du gérant d’attirer l’attention de clients inexpérimentés sur l’existence de potentiels conflits d’intérêts et la nécessaire remise au client d’une information complète portant, d’une part, sur les modalités de calcul et de paiements des rétrocessions et, d’autre part, sur les fourchettes de montants prévisibles qu’elles représentent.

Dès la publication de l’arrêt de 2006, plusieurs voix se sont élevées, à l’instar de l’ASB (Chiffre 16 des Directives ASB sur le mandat de gestion de fortune) et de la SFA (Circulaire n° 22/06 de la SFA), pour soutenir que les rétrocessions liées aux produits échappent à toute restitution en faveur des clients finaux, au motif qu’elles constituent une rémunération de services fournis «dans le cadre de l’exécution du mandat», mais non «intrinsèquement» liés à lui. Cette conception a, dans un premier temps, trouvé l’appui du Tribunal fédéral dans un arrêt non publié du 13 janvier 2011 rendu en matière pénale. La Haute Cour y reconnaissait que des rétrocessions liées à un produit financier acquis dans le cadre de rapports de type «execution only» (hors mandat de gestion ou de conseil) n’avaient pas à être restituées aux clients finaux. Le 30 octobre 2012, le Tribunal fédéral a finalement pu préciser sa jurisprudence, s’agissant cette fois-ci de commissions versées périodiquement par un fonds à une banque liée à des clients par un mandat de gestion. La Haute Cour a retenu qu’au vu du rapport de mandat existant entre la banque et son client, l’existence d’un conflit d’intérêts, même potentiel, justifiait une obligation de restitution, sauf renonciation «éclairée» des clients.

Cet arrêt soulève de nombreuses questions pratiques, notamment celles de la prescription du droit pour le client à réclamer les rétrocessions (cinq ou dix ans suivant le caractère périodique ou non des rétrocessions), ainsi que de la possible nécessité pour les établissements financiers concernés de provisionner dans leurs comptes annuels des montants correspondant au risque estimé de restitution. Il devrait également inciter les gérants qui n’auraient pas encore obtenu le fameux sésame de leurs clients soit de le solliciter pour l’avenir et, dans la mesure du possible, pour le passé également, soit de changer leur modèle de rémunération. Quant au contenu de l’information qualifiée à fournir aux clients, l’expérience a démontré qu’il était parfois très difficile de tenter de chiffrer par avance le montant des rétrocessions, même au moyen de fourchettes, sachant par exemple qu’il peut dépendre de l’évolution de la quantité d’avoirs sous gestion, de la fréquence des transactions et/ou du volume de produits placés, soit autant de facteurs par nature incertains. Une fourchette trop large pourrait ne pas permettre au client de se forger une opinion satisfaisante. De même, le dépassement par le gérant d’un plafond pourrait constituer une violation des termes du contrat, au moins pour la partie excédentaire. Les gérants seraient donc bien inspirés, non seulement de réactualiser leur documentation contractuelle à la lumière des rétrocessions effectivement perçues dans le cadre d’un mandat, mais également de faire ratifier, de façon périodique, le montant de ces rétrocessions. Ces recommandations paraissent d’autant plus d’actualité si l’on se rappelle que le nouvel article 20 al. 1 let. c de la LPCC révisée, dont l’entrée en vigueur est prévue au mois de février 2013, imposera désormais aux titulaires d’autorisation et à leurs mandataires d’informer les investisseurs de manière exhaustive, notamment des rémunérations versées pour la distribution de leurs produits. A noter que le nouveau projet de directive MiFID II, adoptée le 26 octobre 2012 par le Parlement européen, retient une solution similaire à celle du droit suisse.

La Finma va encore plus loin. Dans une communication 41 du 26 novembre 2012 qui fera date, la Finma a ordonné aux banques de prendre les mesures immédiates suivantes, au titre, selon elle, de l’examen de l’exigence prudentielle de la garantie d’une activité irréprochable: elles doivent ainsi (1) tenir compte immédiatement de la décision du Tribunal fédéral dans le cadre de leurs activités courantes, (2) prendre contact avec tous les clients potentiellement concernés par l’arrêt pour les informer de la décision du Tribunal – exigence pour le moins discutable –, (3) indiquer aux clients à quel service ils peuvent s’adresser, au sein de la banque, pour obtenir des renseignements complémentaires et (4) communiquer, par la suite, aux clients qui en feraient la demande le montant des commissions perçues. La Finma précise encore qu’elle s’assurera du respect de ses injonctions dans le cadre de sa mission de surveillance et qu’elle entend modifier le contenu de la Circulaire 2009/1.

Nul doute que la mise en œuvre par les banques des exigences de la Finma ne se fera pas sans heurts et constituera un véritable exercice d’équilibrisme. D’aucuns pourraient s’émouvoir du fait que la proactivité de la part des gérants, tel qu’exigée par la Finma pour les banques, serait de nature à augmenter le risque. Ne rien faire pourrait toutefois s’apparenter à une stratégie de l’autruche, bien plus risquée encore, qui plus est, en tout cas pour la FINMA, en violation des devoirs prudentiels des banques.

*Associé et **avocat de BCCC Avocats Sàrl

Prendre contact avec tous les clients concernés pour les informer de la décision du Tribunal