Washington creuse un fossé autour de la Russie, forçant chacun à choisir son camp. Une nouvelle vague de sanctions américaines contre la Russie entrera en vigueur ce lundi.

Liées à la tentative d’empoisonnement de l’espion transfuge Sergueï Skripal, ces sanctions, définies vendredi par le Département d’Etat, mettent fin à toute aide ou prêt financier gouvernemental américain à la Russie. Les sanctions interdisent la fourniture à la Russie de technologies à double usage (civil et militaire), les composants électroniques et les équipements ou technologies utilisés dans le secteur des hydrocarbures. Une seconde vague de sanctions, prévue pour dans trois mois – si Moscou refuse de faire des concessions – verra le rabaissement du niveau des contacts diplomatiques, voire leur suspension, ainsi que l’arrêt complet des exportations américaines (à l’exception des produits d’alimentation) et des importations de biens russes.

La pression américaine sur Moscou a pour effet secondaire d’inciter les grandes banques internationales à tourner le dos aux clients russes. Credit Suisse a indiqué mercredi dans un rapport financier avoir déduit 5,1 milliards de francs de ses actifs sous gestion à cause des «effets structurels reflétant principalement l’impact des sanctions américaines concernant la Russie».

Fonds placés sur de simples comptes en banque

En clair, l’argent russe confié à la banque suisse pour être placé sur les marchés financiers en a été extrait afin d’être placé sur de simples comptes en banque qui lui permettent d’être retiré à tout moment. «Où qu’il fasse des affaires, Credit Suisse collabore avec les régulateurs internationaux afin d’implémenter les sanctions, y compris l’implémentation de sanctions concernant la Russie», confirme un porte-parole de la banque, qui ne donne aucun détail sur l’identité de ses clients russes. On ignore si la mesure s’étend à tous les clients russes ou bien à une fraction directement ciblée par Washington.

Au printemps, Credit Suisse avait déjà coupé les ponts avec le milliardaire russe Viktor Vekselberg, en cessant de négocier sur les marchés financiers les titres de sociétés lui appartenant. En avril, le Trésor américain avait placé l’homme d’affaires russe sur une liste de cent individus visés par des sanctions financières, afin de punir la Russie pour ses interventions en Ukraine et en Syrie.

La décision de Credit Suisse de ne plus gérer au moins une partie de l’argent russe suggère que la Suisse pourrait cesser d’être un havre de sécurité pour les grandes fortunes proches du Kremlin. A contrario, l’économiste Andreï Movchan évoque l’hypothèse que l’initiative de sortir des fonds sous gestion revienne aux clients russes eux-mêmes, préférant ne pas voir leur argent immobilisé dans des actifs américains.

Moscou tente de réagir

La réaction des autorités russes reste pour l’instant asymétrique. A l’annonce de la nouvelle vague de sanctions américaines le 9 août, le Ministère des affaires étrangères a promis des mesures de rétorsion. Deux semaines plus tard, elles n’ont toujours pas été définies. Par contre, Moscou creuse déjà des tranchées. Réagissant à la forte dépréciation du rouble depuis deux semaines face au dollar et à l’euro, la banque centrale de Russie a indiqué mercredi qu’elle cessera d’acheter des devises étrangères (pour restaurer ses réserves) jusqu’à la fin septembre «afin de réduire la volatilité sur les marchés financiers».

Le ministre russe de l’Industrie et du Commerce, Denis Mantourov, a promis jeudi de faire tout le nécessaire pour contourner les sanctions américaines «en passant aux transactions en monnaies nationales pour les contrats sur des produits à double usage». La troisième mesure, annoncée mercredi par le Ministère des finances et la banque centrale de Russie, consiste en la création d’une «bourse offshore» où seront cotées les sociétés russes visées par les sanctions. En réalité, il s’agirait d’une bourse enregistrée dans une région russe disposant d’un régime fiscal allégé, comme l’enclave de Kaliningrad ou l’île Rousski en face de Vladivostok.