Le «succès jalousé» de Pierin Vincenz
Justice
AbonnéLa parole était à la défense vendredi dans le procès de l’ancien directeur de la banque Raiffeisen. L’avocat de Pierin Vincenz s’est appliqué à démonter les arguments de l’accusation et demande l’acquittement

L’entrée en scène de Maître Lorenz Erni qui défend les intérêts de Pierin Vincenz était attendue depuis le début du procès de l’ancien banquier et de six coaccusés. Dans la capitale économique du pays, ce ténor du barreau zurichois est bien connu. Il a déjà plaidé pour des personnalités comme Sepp Blatter, ancien président de la FIFA, le cinéaste Roman Polanski ou encore Philippe Bruggisser, ancien directeur général de la compagnie Swissair.
Vendredi, durant plus de quatre heures, l’avocat de l’ancien directeur général de Raiffeisen a passé en revue les différentes opérations pour lesquelles son client est poursuivi. Avec Beat Stocker, autre principal accusé du procès, le charismatique financier est soupçonné d’avoir fait reprendre au prix fort par son employeur et par la société Aduno des entreprises dans lesquelles il détenait des participations occultes. Les deux hommes auraient ainsi encaissé des bénéfices illégaux, estimés à plusieurs millions de francs. Pierin Vincenz est aussi accusé d’avoir établi des notes de frais excessives et injustifiées, notamment dans des cabarets et des clubs de strip-tease, pour plusieurs centaines de milliers de francs.
Un succès qui fait des envieux
Avant de s’atteler à démonter les éléments à charge avancés par l’accusation, Lorenz Erni a planté le décor, rappelant la métamorphose dont Raiffeisen avait bénéficié grâce à la gestion de son mandant. Sans Pierin Vincenz, il ne fait aucun doute, a affirmé l’avocat, que l’ancienne banque des paysans suisses ne serait jamais devenue le troisième plus grand groupe bancaire du pays. Une banque que la Finma, l’autorité de surveillance des marchés financiers helvétiques, a jugée en 2014 «trop grande pour faire faillite», au même titre qu’UBS et Credit Suisse.
«Le succès fait des envieux, c’est bien connu», a lancé l’avocat, ajoutant que c’était sans doute ce qui avait motivé le déclenchement de l’enquête. Une violation du secret bancaire semble en effet être à l’origine des investigations de la justice. L’intérêt et la couverture médiatique de cette affaire ont aussi, à en croire Maître Erni, influencé le Ministère public zurichois qui aurait mené ses recherches «avec un zèle rarement vu».
Acquittement demandé
L’homme de loi s’est ensuite concentré sur le pouvoir décisionnel et la marge de manœuvre dont disposait Pierin Vincenz, à l’époque directeur général de Raiffeisen, mais aussi président du conseil d’administration d’Aduno, une société de paiements numériques aujourd’hui rebaptisée Viseca.
L’avis de Pierin Vincenz était bien sûr important au sein des organes de décision de ces entités, a relevé l’avocat de la défense. Mais il est erroné de supposer qu’il pouvait «tout faire à sa guise», a-t-il avancé, affirmant que Pierin Vincenz n’avait pas été impliqué dans les négociations lors des rachats litigieux de plusieurs sociétés, ajoutant encore que toutes les décisions avaient été prises par consensus et après concertation au sein de la direction ou du conseil d’administration: «Il ne s’agit pas d’organes de décision qui auraient simplement suivi Vincenz», a assuré l’infatigable défenseur zurichois, âgé de plus de 70 ans.
En résumé, il n’y a pas de preuves concrètes, estime Lorenz Erni qui exige l’acquittement pur et simple de son client, la prise en charge des frais de justice par l’Etat, ainsi que des dommages et intérêts pour le tort moral subi. Selon la Neue Zürcher Zeitung, l’avocat a déjà consacré 1750 heures à la défense de son client. En 2019, le journal zurichois brossait son portrait, estimant ses honoraires entre 300 et 500 francs l’heure.
Plaidoirie interrompue
La plaidoirie d’Andreas Blattmann, l’avocat de Beat Stocker, s’est inscrite sur la même ligne. Celui-ci a par exemple insisté sur les échanges d’informations entre les accusés, présentés à charge par le procureur. Ceux-ci pourraient tout aussi bien, selon lui, être interprétés différemment. Maître Blattmann devra toutefois attendre le 9 février pour tenter de disculper son client dont il réclame aussi l’acquittement total puisque l’audience a été interrompue en fin d’après-midi.
Jeudi, le Ministère public s’était livré à une autre lecture du dossier. Selon lui, l’ex-patron de Raiffeisen Pierin Vincenz et son partenaire d’affaires Beat Stocker se sont «énormément» enrichis en causant des dégâts financiers considérables. Il requiert 6 ans de prison contre eux.
Pour cinq autres coaccusés, le procureur préconise des sanctions allant de la peine pécuniaire avec sursis à une peine de prison de 2 ans et demi avec sursis partiel. Il leur reproche un rôle de complice.
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