En principe, l’échange automatique de renseignements (EAR) devrait être un avantage pour les banques en Suisse. Il devrait jouer un rôle de facilitateur dans l'accès au marché européen, tout en simplifiant le travail d'identification du contribuable.

A lire aussi: La taxe sur les opérations de bourse: ceci n'est pas une histoire belge

Dans la pratique, cela ne n’a pas été le cas. D’une part, la règlementation en la matière est très (trop) dense. De l’autre, il y a un aspect central à l’accès au marché, trop facilement oublié (parce qu’il est plus insidieux), qu’il faut appeler les mines flottantes : les discriminations et distorsions de la concurrence qui affectent la Suisse, qui ne sont pas un « zéro-accès au marché » transfrontalier mais un « moins-accès ».

Entraves à la gestion

Ces entraves à la gestion de fortune depuis la Suisse sont surtout de nature fiscale – ce n’est donc pas par hasard que nous assistons progressivement à l’abandon de la gestion en lignes directes au profit de fonds de placements et autres outils de capitalisation étrangers (essentiellement luxembourgeois). Certes, les affaires de comptes non déclarés dès 2009, et le fait que la Suisse ne soit pas membre de l'UE, avaient poussé plusieurs gouvernements à prendre des mesures de rétorsion.

A lire aussi: Echange automatique: la Suisse glisse vers la diplomatie bananière

C’était de bonne guerre, mais dans certains cas, les actions prises étaient si disproportionnées qu’on pouvait légitimement se demander si le boycott de la place financière suisse n’était pas l’intention première. Qu’on en juge : les clients français ont par exemple l'obligation de déclarer les dividendes et intérêts tous les mois et les Espagnols ont l’obligation de remplir jusqu’à sept rapports annuels !

Malheureusement, ces mesures n’ont pas été levées avec l’entrée en vigueur de l’échange automatique de renseignements au 1er janvier 2017. Cela a le mérite de montrer que l’intention des gouvernements français et espagnols, en faisant obstacle à la libre circulation des capitaux, avait bien été protectionniste.

Les fonds suisses pénalisés en Italie

Quant à l’Italie, elle a certes fait un pas en avant en s’engageant à enlever la Suisse de ses listes noires dès l'entrée en vigueur de l’EAR : il n’en demeure pas moins que les fonds de placements suisses y sont encore beaucoup plus lourdement taxés que leurs équivalents italiens, européens et même liechtensteinois.

Ces mesures protectionnistes ont donc été conçues pour dissuader le public d’ouvrir et de garder un compte dans une banque en Suisse et généralement pour mettre la place financière suisse en difficulté. Le fait que cette dernière soit encore vaillante, bien que moins prospère, après ce qui lui a déjà été infligé est déjà remarquable en soi ; cela confirme sa capacité de résistance aux crises et d’adaptation.

Le cas de la Belgique vient renforcer ce constat. Passant d’un régime laxiste à une bureaucratie tracassière, le client belge se retrouve lui aussi obligé, à l’instar du client français, à une auto-taxation sur une base mensuelle en matière (cette fois) de fiscalité indirecte.

En effet, le gouvernement Michel - décidément bien peu inspiré en matière de fiscalité des produits financiers - vient tout juste d’étendre la Taxe sur les Opérations de Bourse (T.O.B) non plus seulement à toutes les opérations conclues ou exécutées en Belgique (pour tout achat d’actions et titres assimilés, qu’ils soient de source belge, suisse ou étrangère), mais aussi à celles réalisées à l’étranger par toute personne physique qui a sa résidence habituelle en Belgique. Comme l’article 271 du Code Pénal Suisse interdit à nos banques de respecter ces dispositions fiscales belges (il s’agirait d’un acte sans droit pour un gouvernement étranger), il ressort que le client concerné deviendra personnellement redevable de la taxe non pas annuellement, mais chaque fois qu’il donne l’ordre d’achat/vente, ou chaque fois que la banque y procède pour lui dans le cadre d’un mandat de gestion discrétionnaire.

La naïveté de la Confédération

Même sans entrer dans le détail, il est facile de mesurer l’impact de cette taxe cruelle pour la (toujours) nombreuse clientèle belge des banques en Suisse. Si l'on ajoute le timbre fédéral suisse, cela résulte en une double imposition quasi confiscatoire sur les transactions qui doit s’ajouter aux courtages (d'autant que, dans le cadre du budget 2017, le barème de la T.O.B. a été revu à la hausse). Outre qu’il s’agisse d’un nouveau plaidoyer à faire pour l'abolition du droit de timbre, nos banques devront bien s’accommoder de cette usine à gaz supplémentaire qui compromettra la performance des portefeuilles.

On pourra toujours ironiser sur la naïveté de la Confédération qui aurait renoncé à demander à ses «partenaires européens» la suppression de ces mines flottantes, en contrepartie de sa coopération à la lutte contre l’évasion fiscale. On préfère dire ici que le déminage prendra plusieurs formes : l’EAR, désormais ratifié et mis en œuvre, donne à la Suisse un bon moyen de pression. Si la réciprocité ne vient pas rapidement, notamment avec la Belgique, la Suisse sera en position d’exiger à Bruxelles et à l’OCDE qu’ils remédient à toute entrave. Dans cette optique, qui nous l’espérons est celle de notre diplomatie, le prochain vote populaire sur la troisième réforme des entreprises (RIE III) revêt un caractère crucial, assurément. En cas de refus populaire, la mine flottante fiscale viendrait de Suisse pour une fois et elle pourrait faire beaucoup de dégâts.