Fiscalité
Le classement biennal de Tax Justice Network place la Suisse en tête, mais s’inquiète aussi du Royaume-Uni, des Etats-Unis et de l’Asie

Une nouvelle fois, la Suisse termine en tête des pays jugés les opaques financièrement. Dans le classement biennal de l’Indice de l’Opacité Financière réalisé par l’association britannique Tax Justice Network (TJN), la Suisse reçoit le bonnet d’âne, devant Hongkong, les Etats-Unis et Singapour.
Ce résultat cache cependant une amélioration. Le score d’opacité, calculé à partir de quinze critères (secret bancaire, registre de trusts, transparence des entreprises…) passe de 78 en 2013 à 73. Dans l’absolu, cela situe la Suisse à la 24ème place du classement (sur 92 juridictions). Mais TJN multiplie ce coefficient par le poids financier du pays. Avec 5,6% du secteur financier mondial, la Suisse en sort nécessairement diminuée.
Notes moins sévères pour les Etats-Unis, entre autres
«Il n’en reste pas moins que la Suisse mérite cette première place», estime John Christensen, directeur de TJN. Il souligne que d’autres grandes places financières reçoivent des notes nettement moins sévères: 60 pour les Etats-Unis, 41 pour le Royaume-Uni, et même 60 pour les îles Vierges Britanniques. TJN pointe du doigt la politique à deux vitesses menée par la Suisse: «De l’argent propre venant des pays riches, mais de l’argent sale venant des pays pauvres.»
Le rapport reconnaît que la Suisse a accepté le principe de l’échange automatique de données, grand progrès contre l’évasion fiscale actuellement mis en place par l’OCDE. Mais dans ce cadre, elle n’a signé des accords qu’avec les grands pays occidentaux, omettant la plupart des pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. L’argent venant de ces pays reste protégé par le secret bancaire le plus complet. «Il s’agit d’une politique délibérée de la Suisse», estime John Christensen.
Lire notre commentaire: Le classement qui arrange les critiques de la place financière suisse
D'autres pays visés
Le rapport de TJN réserve cependant ses principaux coups à d’autres pays. En particulier, il s’agace de l’attitude du Royaume-Uni. En tant que tel, le pays n’est pas trop mal classé, arrivant à la 15e place. «Mais en incluant les dépendances de la Couronne et les Territoires d’Outre-Mer, il serait très largement à la première place», souligne John Christensen.
Le problème concerne particulièrement les trusts. Ces boîtes noires, grande spécialité du droit britannique, permettent de conserver des fonds sans en dévoiler le bénéficiaire. Les «trustees», dont l’identité apparaît, sont de simples prête-noms.
Officiellement, Londres veut y mettre un terme, en imposant la création de registres identifiant les bénéficiaires réels des trusts. A partir de 2013, le gouvernement de David Cameron a mis la pression sur ses trois dépendances de la Couronne (Jersey, Guernesey et l’île de Man) et ses 14 Territoires d’Outre-Mer (dont les îles Caïmans, 5ème au classement, les îles Vierges Britanniques, les Bermudes…). En vain pour l’instant. Londres souligne que ces territoires sont indépendants et qu’il ne peut pas faire beaucoup plus.
«Le Royaume-Uni joue d'une duplicité»
Cette défense fait bondir TJN. La reine d’Angleterre nomme en effet la plupart des gouverneurs de ces territoires. Ceux-ci sont en charge des affaires étrangères, de la défense et de la justice, et ils ont le pouvoir de révoquer une législation locale. Si les satellites britanniques disposent d’une certaine autonomie, il est facile à Londres d’imposer sa volonté. «Le Royaume-Uni joue de cette duplicité», accuse John Christensen.
TJN est également sévère avec les Etats-Unis. La superpuissance refuse de faire partie de l’échange automatique de données. Elle se justifie en faisant valoir qu’elle a créé sa propre loi, qui repose sur le même principe: la réglementation Fatca, en vigueur depuis 2014.
Washington n’assure pas de réciprocité
Cette loi est très dure envers les Américains qui évadent les impôts, mais elle reste très douce avec les étrangers qui viennent abriter leurs capitaux illicites aux Etats-Unis. Des Etats comme la Floride ou le Delaware sont réputés pour leur législation laxiste en la matière. Le Fatca impose des règles drastiques aux banques basées à l’étranger qui gèrent de l’argent américain, mais Washington n’assure pas la réciprocité en informant le reste du monde quand de l’argent arrive dans son pays. Pour TJN, c’est la preuve que les réels progrès réalisés ces dernières années, qu’elle salue, sont loin d’être la fin du combat.
TJN attaque aussi le double langage des États-Unis, qui ont très vigoureusement attaqué la Suisse mais ne se sont guère réformés en interne. «S’ils ont été pionniers pour se défendre contre les juridictions étrangères opaques, s’attaquant agressivement à l’establishment bancaire suisse et mettant en place Fatca, ils offrent peu d’informations en retour aux autres pays, devenant ainsi une énorme juridiction opaque, dangereuse et irresponsable au niveau fédéral comme à celui des Etats.»