Il ne s’agissait pas simplement de «faire quelque chose de bien». Mais aussi «parce que cela a du sens économiquement», a expliqué Guido Fürer, responsable des investissements de Swiss Re. Le réassureur zurichois a annoncé la semaine dernière vouloir lier entièrement son portefeuille d’investissement à des indices éthiques.

C’est déjà le cas pour une grande partie de ces 130 milliards de dollars (125,7 milliards de francs), mais ils le seront totalement avant la fin de l’année, a expliqué Swiss Re dans un communiqué. Pour le groupe, les principes ESG (pour environnementaux, sociaux et de gouvernance) permettent de réduire les risques de pertes.

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Le tabac déjà abandonné

Il s’agit du premier assureur qui décide de tourner le dos aux indices traditionnels. Mais certains avaient déjà pris des mesures pour que leurs placements soient plus éthiques. Le français AXA, par exemple, avait annoncé l’an dernier le retrait de ses investissements dans le tabac, qui se montaient à 1,8 milliard d’euros (près de 2 milliards de francs). Le britannique Aviva et le français Scor ont suivi cette année. Swiss Re ne souhaite pas désinvestir un secteur. «Il vaut mieux donner le temps aux entreprises de s’adapter, a expliqué jeudi Guido Fürer au Financial Times. Sortir un groupe d’un univers d’investissement a un coût social. Des gens y travaillent et s’il ne peut plus se financer, il ne peut plus employer autant de personnes.»

Swiss Re a choisi le MSCI ESG pour les actions et assure que ses gérants de fonds, internes et externes, auront peu de marge pour dévier de l’indice. MSCI, société spécialisée dans les indices, utilise des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance pour déterminer le score d’une entreprise qu’elle combine avec la capitalisation boursière de façon à ce que les entreprises les plus performantes sur le plan éthique pèsent davantage dans l’indice. Pour l’obligataire, Swiss Re utilisera les indices Bloomberg Barclays MSCI Corporate Sustainability.

Signal «très positif»

Chez les adeptes de la finance durable, on se frotte les mains. «C’est un signal très positif. C’est la première fois qu’un gros investisseur institutionnel prend une telle décision. Et il ne s’agit pas simplement d’investir dans des placements éthiques, mais de changer d’indice de référence, ce qui constitue un pas énorme», explique Sabine Döbeli, directrice de l’association Swiss Sustainable Finance, qui plaide pour le développement des investissements durables.

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De quoi susciter d’autres vocations? «Swiss Re peut jouer le rôle d’éclaireur dans un domaine où il existe un intérêt croissant, mais où beaucoup hésitent à franchir le pas parce qu’il est toujours plus facile de maintenir le statu quo que de convaincre un conseil d’administration ou un conseil de fondation», poursuit Sabine Döbeli.

Les assureurs avant les caisses de pension

Cette dernière n’est pas étonnée que la première entreprise à se lancer soit un assureur. «Les assureurs s’intéressent aux enjeux de la durabilité depuis plusieurs années et ont une vision à très long terme. Ils disposent en outre de davantage de ressources que des caisses de pension pour explorer de nouvelles pistes.» Swiss Re a évalué sa situation pendant dix-huit mois avant d’annoncer sa décision.

Selon le réassureur, les performances des indices ESG sont généralement un peu plus faibles que les indices traditionnels, mais ils sont moins volatils. A la fin juin, le MSCI World ESG leaders avait progressé de 7,93% depuis le début de l’année, contre 8,15% pour le MSCI World.

Dans un rapport publié pour l’occasion, le numéro deux mondial de la réassurance affirme que les actifs répondant aux critères ESG sont de plus en plus nombreux: ils atteindraient un total de 22 900 milliards de dollars dans le monde, dont 8700 aux Etats-Unis et 11 000 en Europe.