Aux prises avec une dette croissante, les Etats multiplient les initiatives pour accroître leurs recettes, qu’il s’agisse de taxer les comportements jugés néfastes (taxe soda, alcool, énergie, tabac, etc.) ou de frapper les entreprises qui optimisent leurs structures pour réduire leurs impôts. Les groupes technologiques américains, qui affichent des bénéfices record, sont les plus visés en ce moment. L’OCDE a par ailleurs établi des règles contre l’érosion de la base fiscale (BEPS) destinées à répondre aux transferts de bénéfices entre filiales d’entreprises.

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La littérature économique et les autorités se sont penchées sur les stratégies fiscales des individus fortunés et sur les entreprises industrielles mais pas encore sur les pratiques d’optimisation des banques. Or ces dernières sont peu concernées par les prix de transferts.

Le travail de recherche de Dominika Langenmayr, professeure à l’Université catholique d’Eichstätt-Ingoldstadt, et Franz Reiter, chercheur à l’Université de Munich, est donc particulièrement innovant. Dans «Trading Offshore: Evidence on Banks’Tax Avoidance» (CESifo Working Paper 6664), les économistes allemands analysent la stratégie de localisation des activités de négoce pour compte propre des banques sous l’angle de l’optimisation fiscale.

Le négoce est mobile et très rentable

Deux critères devraient être remplis afin qu’une banque estime rentable de déplacer certaines tâches dans un pays à moindre fiscalité. D’une part, il faut que l’activité en question soit mobile afin que sa délocalisation ne coûte pas trop cher. Plus le déplacement est cher et plus l’économie fiscale doit être élevée. D’autre part, l’activité candidate à une délocalisation doit être extrêmement profitable.

Plus son bénéfice est important et plus l’économie fiscale est conséquente. Les statistiques de la banque centrale allemande montrent que cette condition est remplie: le trading représente 32% du bénéfice net des banques allemandes. D’autres sources parlent de 39% du bénéfice avant impôts.

Les statistiques soulignent que l’essentiel des actifs de négoce obligataire est en Allemagne, mais aussi qu’une partie presque aussi importante se situe au Royaume-Uni (100% au sein de succursales). Des montants nettement plus faibles sont situés dans des lieux fiscalement avantageux comme Singapour (40% dans des succursales) ou les îles Caïmans (100%).

Agences pas toutes citées

L’une des raisons pour lesquelles la recherche s’est abstenue de se pencher sur l’optimisation fiscale des banques est liée aux données elles-mêmes. Les multinationales de la finance citent leurs filiales, mais pas toutes leurs agences. Or pour les 100 plus grandes banques du monde, le quart des sites étrangers est le fait de succursales. La question de l’ouverture d’une filiale ou d’une représentation dépend de considérations fiscales, selon les auteurs.

Les deux auteurs révèlent qu’une diminution d’un point de pourcentage de l’impôt sur les bénéfices des banques accroît de 4% le négoce pour compte propre des actifs obligataires et de 9% pour les produits dérivés. Cet impact ne résulte pas de la localisation des traders, mais des bénéfices comptables, constatent-ils. L’étude ajoute que les conclusions sont valables également pour les groupes financiers non allemands, en vertu des données de Bankscope, un outil du Bureau van Dijk.

Pas de délocalisation du personnel

L’observation d’une variation de 4% sur l’activité de négoce est intéressante. Des recherches ont montré un effet de 6,2% (élasticité de 6,2) sur les marques déposées et d’autres de 3,8% sur les brevets.

Toute la question est de savoir si une délocalisation de l’activité de trading reflète une stratégie de transfert du bénéfice ou une réponse réelle à une stratégie d’investissements liés à la fiscalité. «En principe, les deux interprétations sont possibles», selon les auteurs. Les banques peuvent en effet déplacer toutes les activités liées au trading (y compris les employés qui développent la stratégie de négoce) ou uniquement les actifs comptables afin de réduire le fardeau fiscal. Les deux chercheurs allemands privilégient clairement la deuxième solution. Une augmentation des actifs de négoce pour des raisons fiscales ne s’accompagne pas d’un accroissement de l’emploi.

Les économistes se disent persuadés que les impôts font partie des déterminants de la localisation des actifs bancaires. En prenant pour thèse un rendement de 2% du négoce pour compte propre, cette stratégie de délocalisation des actifs peut permettre aux banques d'économiser 8% d'impôts.