Les manifestations et les violences en cours au Kazakhstan ont une conséquence inattendue: privés de connexion à internet, les mineurs de bitcoin du pays d’Asie centrale ne peuvent plus apporter leur puissance de calcul au réseau qui sous-tend la plus connue des cryptomonnaies. Or à la suite de l’interdiction du minage en Chine, en mai dernier, le Kazakhstan était devenu une place forte de cette activité. Ses mineurs fourniraient entre 12% et 18% de la puissance de calcul du réseau du bitcoin, appelée hashrate. Leur mise à l’écart explique-t-elle la baisse de la cryptomonnaie depuis mercredi (-3000 dollars en 24 heures à 42 800 dollars jeudi soir)? Deux experts romands en doutent.

Depuis cet été, le Kazakhstan a recueilli un grand nombre d’installations de minage précédemment basées en Chine. Grâce à sa proximité avec son grand voisin qui ne veut plus des cryptos mais aussi à son électricité relativement bon marché (souvent issue du charbon) et son climat permettant de refroidir à moindres frais les ordinateurs qui tournent à plein régime pour sécuriser le réseau du bitcoin. Le pays a également mené une politique très pro-cryptos, même si elle a été remise en question ces dernières semaines, sur fond de pénuries d’électricité.

Effet de marché

La baisse du bitcoin depuis mercredi s’explique en réalité par «un simple effet de marché, de la même façon que lorsque Elon Musk fait des déclarations positives sur le bitcoin, le cours a tendance à progresser, estime Yves Bennaïm, spécialiste des cryptos. Les nouvelles venant du Kazakhstan sont analysées comme étant négatives, à tort. Il est aussi très probable que des investisseurs pensent qu’elles le seront, ce qui déclenchera des ventes, et qu’ils anticipent ce mouvement en vendant en prévision de la baisse, pour racheter plus bas ensuite».

Mais la puissance de calcul n’a pas d’implication directe sur le prix du bitcoin, selon le fondateur du think tank 2B4CH, qui rappelle qu’au début de la crypto, seules deux machines ont assuré son fonctionnement, celle du créateur de la cryptomonnaie, Satoshi Nakamoto, et celle de la personne avec laquelle il a conclu la première transaction en crypto, Hal Finney. En résumé, «la technologie qui sous-tend le bitcoin s’adapte automatiquement à la puissance de calcul qui lui est attribuée, à la hausse comme à la baisse, pour garder le réseau stable».

Moins de concurrence pour les récompenses

L’activité de minage consiste à résoudre un calcul informatique afin de sécuriser le réseau Bitcoin. Et l’ordinateur qui y parvient le premier reçoit une récompense, actuellement de 6,25 bitcoins. «La conséquence de la mise hors jeu des mineurs basés au Kazakhstan est que la concurrence est devenue moindre pour obtenir cette récompense, poursuit Yves Bennaïm. Cela pourrait donc encourager d’autres mineurs, qui avaient arrêté cette activité car ils disposent de machines moins performantes par exemple, à reprendre le minage».

Lionel Jeannerat, entrepreneur neuchâtelois en contact avec des mineurs dans différents endroits du globe, dresse un parallèle avec l’interdiction du minage en Chine, en mai dernier: «Les mineurs chinois représentaient 50 à 60% de la puissance de calcul. Cette interdiction les a poussés à se redéployer ailleurs, avec une meilleure répartition géographique.» D’environ 59 000 dollars début mai, le bitcoin était passé à moins de 30 000 le 21 juillet, avant de repartir à la hausse jusqu’à atteindre un record historique début novembre à près de 69 000 dollars.

Selon Lionel Jeannerat, «la baisse de ce jeudi est surtout révélatrice de l’état du marché du bitcoin et des cryptos, qui n’a pas de direction franche depuis des mois. La moindre nouvelle fait beaucoup réagir le grand public ou les médias. Mais ce qui se passe au Kazakhstan n’a aucun rapport avec la baisse du bitcoin; des baisses de hashrate de 10 à 20% sont assez fréquentes».

Perturbations pendant 15 jours

Le retrait des mineurs kazakhs pourrait avoir des conséquences sur le réseau Bitcoin pendant une quinzaine de jours, conclut-il: «Avec une puissance de calcul moindre, il faudra probablement un peu plus de temps pour valider un bloc de transactions [et donc obtenir la récompense, ndlr], peut-être 11 minutes au lieu des 10 minutes actuelles. Mais le niveau de difficulté des calculs est automatiquement adapté environ tous les quinze jours, il sera donc probablement abaissé lors de la prochaine mise à jour et on retrouvera un rythme d’un bloc validé toutes les dix minutes».

Quant au cours du bitcoin, il est surtout influencé par les décisions de la banque centrale américaine, rappelle Mikkel Morch, directeur du hedge fund ARK36 spécialisé dans les cryptos à Chypre, dans un e-mail envoyé au Temps: «Après la publication des détails de la dernière réunion de la Fed de décembre, qui ont pointé vers une réduction décisive de sa politique monétaire expansionniste, le sentiment des investisseurs est devenu négatif, ce qui pousse le bitcoin en dessous du niveau critique de 46 000 dollars. Une fois ce support brisé, des liquidations s’en sont suivies immédiatement. Nous nous trouvons clairement dans une tendance baissière depuis plusieurs semaines, sans qu’il n’y ait de signe qu’elle s’inverse prochainement.»