Trusts suisses: les Chambres ont compris l’enjeu
Opinion
Les parlementaires ont maintenant compris que la transparence fiscale et la réputation d’intégrité de la place financière suisse seront mieux défendues en Suisse par une loi suisse exigeante, estime Me Tetiana Bersheda

Fin avril, s’alignant sur la Commission des affaires juridiques du Conseil national, celle du Conseil des Etats a soutenu à une large majorité (7 voix contre une) une initiative parlementaire chargeant le Conseil fédéral de préparer un projet d’introduction du trust anglo-saxon en droit suisse.
Les «révélations» des Panama Papers ou des Paradise Papers n’ayant guère amélioré l’image des trusts, on pourrait s’étonner que les Chambres forcent un peu la main d’un Conseil fédéral jusqu’ici plutôt réticent. Mais les parlementaires ont bien saisi les enjeux. C’est une bonne nouvelle.
En effet, pourquoi tant d’avocats suisses vont-ils créer des trusts dans des juridictions à la réputation parfois sulfureuse? Cela, même si le patrimoine du trust est géré en Suisse, par une banque suisse, avec une trust company suisse et un protector suisse. Le paradoxe est bien helvétique: en ratifiant la Convention de la Haye, en 2007, la Suisse reconnaît tant les trusts étrangers que le droit – pour les Suisses – de les utiliser. Mais, curieusement, elle refusait jusqu’ici la possibilité d’en créer en Suisse.
Les parlementaires ont maintenant compris que la transparence fiscale et la réputation d’intégrité de la place financière suisse seront mieux défendues en Suisse par une loi suisse appliquant des conditions exigeantes, plutôt que par la création de trusts «suisses» dans de lointains paradis fiscaux…
Risques d’abus limités
Il est donc important d’assurer à la place financière un instrument juridique moins coûteux et… mieux contrôlable. D’autant que la Convention de diligence des banques exige déjà de rigoureux contrôles des clients liés à un trust ou une fondation. Sans oublier l’échange international automatique de renseignements en matière fiscale, qui concerne également les trusts et fondations. Les risques d’abus sont donc limités.
Au passage, on peut remarquer que si les Panama Papers ou les Paradise Papers ont suscité un écho considérable, de par la notoriété des noms jetés en pâture, les nombreuses enquêtes menées suite à ces publications n’ont pas donné grand-chose, en dépit de la sévérité fiscale de certains pays. Cela confirme que l’évasion fiscale n’est pas la motivation première d’une majorité de trusts.
En Suisse, c’est surtout le droit civil qui est lacunaire, les autres domaines étant déjà réglés, y compris… l’imposition des trusts, auxquels l’Administration fédérale des contributions applique les règles sans équivoque (circulaire n° 30 du 22 août 2007) définies par la Conférence suisse des impôts.
D’autres pays concurrents ont profité de la ratification de la Convention de La Haye pour modifier leur droit interne. C’est le cas des Pays-Bas (avec leurs Dutch Conflicts Rules on Trust), qui prévoient la possibilité de créer des trusts de droit national, et du Luxembourg, qui a revu les dispositions régissant le contrat fiduciaire en 2003, afin de codifier le trust en droit interne.
Le Code civil français, lui, définit et règle le trust (sous le terme «fiducie») à ses articles 2011 à 2028, depuis 2007. Ces dispositions pourraient être intégrées dans le Code des obligations parmi les différents types de contrats. Le Registre national des fiducies, auquel les trusts doivent obligatoirement être inscrits, est un instrument de contrôle efficace, y compris du point de vue fiscal.
A Monaco, le trust de droit interne existe depuis longtemps, avec des restrictions importantes toutefois: selon la loi monégasque n° 214, le fondateur du trust doit être ressortissant d’un Etat dont le droit national connaît l’institution de trust pour que la législation monégasque sur les trusts trouve application (tel serait le cas d’un ressortissant anglais, mais pas d’un Suisse).
Définir les types de trusts autorisés
Outre cette concurrence étrangère, croissante, la codification du trust dans le droit suisse se justifie largement, car des révisions pertinentes du Code des obligations et du Code civil permettraient de mettre à disposition des justiciables un instrument conforme à notre ordre juridique, plus accessible, plus sûr, moins coûteux et, par ses exigences, moins susceptible d’attiser les suspicions.
Cela permettrait de plus, en toute sécurité du droit et transparence, de déterminer les types de trusts autorisés dans notre pays, du trust charitable (grande spécialité néo-zélandaise) au pet trust (créé pour prendre soin d’un animal après la mort de son maître) ou au spendthrift trust (conçu pour protéger un bénéficiaire inapte à gérer lui-même son capital).
Autre atout non négligeable, l’introduction du trust en droit interne suisse serait un moyen d’assurer une plus grande protection des actifs, renforçant ainsi l’attractivité de la Suisse pour les fondateurs, les trustees et les bénéficiaires de trusts. Notre place financière pourrait ainsi bénéficier d’opportunités nouvelles, mais aussi de l’accroissement des dépôts bancaires et des montants sous gestion confiés à des banques suisses par des trusts. Espérons donc que le Conseil fédéral saura saisir et respecter l’esprit de cette initiative parlementaire.