Banque
Des acteurs clés de la grande banque livrent leurs témoignages de l’histoire agitée de la grande banque, depuis la fusion de 1998 aux ennuis fiscaux avec les Etats-Unis. Des éclairages, à prendre avec prudence

Pour la première fois, l’histoire récente d’UBS n’est plus racontée par les historiens et les journalistes seulement. Des acteurs clés de ces années mouvementées se sont saisis de la plume et racontent leur versant de l’Histoire. Qu’elle concerne la fusion, en 1998, entre deux titans bancaires de l’époque, la Société de Banque Suisse (SBS) et l’Union de Banques Suisses (UBS), pour donner naissance à l’UBS contemporaine. Ou qu’elle traite du conflit fiscal entre la Suisse et les Etats-Unis, qui contraignit cette grande banque à céder aux injonctions de Washington, déterminé à faire la lumière sur l’évasion fiscale de ses contribuables au travers de la place financière suisse.
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Trois témoignages viennent de paraître, ou sont sur le point d’être rendus publics. Le premier, écrit par Georges Blum, alors directeur général, puis président de l’ancienne SBS raconte en un récit bref paru en novembre certaines coulisses de la méga-fusion de 1998, 18 ans après les faits. Les deux autres livrent des témoignages sur le conflit qui a opposé entre 2008 et 2014 UBS, certains de ses cadres au Ministère de la justice américain (Department of Justice, ou DoJ). Raoul Weil, ancien patron de la gestion de fortune, détaille son emprisonnement, puis son procès qui s’est conclu par un acquittement en novembre 2014 par un tribunal de Floride. Bradley Birkenfeld, le gérant de fortune dont les révélations ont tout déclenché, promet de raconter sa propre histoire dans une autobiographie à paraître en cour d’année (lire ci-dessous et ci-contre), deux ans après être sorti de prison.
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La concordance de ces trois publications est probablement due aux hasards du calendrier. Mais elle frappe par une nouveauté, la mise en lumière de trois individualités issues d’un milieu bancaire qui a très longtemps cultivé la discrétion. «Les événements de ces dernières années ont changé la donne. Pour la première fois depuis très longtemps, les banquiers se sont trouvés en très mauvaise posture. Si les acteurs clés veulent réhabiliter leur image face à l’opinion publique, s’ils veulent que leur version des faits soit retenue, ils doivent sortir de leur réserve et faire preuve de transparence», observe l’historien Olivier Meuwly.
Ce n’est certes pas la première fois que des dirigeants bancaires signent des livres sur eux-mêmes. En 1983, l’ex-président d’UBS (déjà elle) Philippe de Weck avait cosigné, avec le journaliste François Gross, «Un banquier suisse parle» après le scandale du Banco Ambrosiano qu’il avait dû démêler. En 1975, Alfred Schaefer publiait un recueil de textes autobiographiques intitulé «Festschrift zum 70. Geburtstag», alors qu’il quittait la présidence d’UBS (encore elle) après après de longues années passées à sa tête. Si ces ouvrages avaient déjà pour objectif de défendre les banques déjà sujettes à critiques dans l’opinion publique, ils étaient aussi «des mises en valeur de soi-même», comme le résume Sébastien Guex, professeur à l’université de Lausanne.
Les autobiographies peuvent aussi servir à «régler des comptes», poursuit Olivier Meuwly: leurs auteurs cherchent à s’exonérer des erreurs passées et à les attribuer à des tiers. «Dans ce cas, on peut s’attendre à une multiplication des témoignages car les personnes visées par les attaques chercheront à répondre et à se justifier à leur tour», complète l’historien vaudois.
L’Histoire, la grande, a-t-elle tout à gagner de ces ouvrages, porteurs de révélations potentielles? Les historiens restent prudents. Des faits nouveaux peuvent surgir, qui étaient inconnus ou dont l’importance demeurait sous-estimée. «Ces ouvrages peuvent ouvrir de nouvelles pistes d’étude et de réflexion. Mais ils peuvent aussi égarer l’observateur vers des impasses», ajoute Sébastien Guex.
Les autobiographies ne sont donc pas à prendre pour argent comptant. Elles doivent faire l’objet de confrontations critiques «avec les autres sources disponibles», complète Olivier Meuwly. Malheureusement, ce n’est pas toujours possible. Faute d’ouverture des archives (des dizaines d’années après les faits en ce qui concerne les dépôts publics, voire jamais pour ceux des entreprises), comment les chercheurs pourraient-ils s’assurer de la véracité d’un échange entre deux personnes, d’un courrier, d’un chiffre?
Mais bien davantage que la simple révélation de faits inconnus, ces ouvrages livrent une clé essentielle. Ils permettent de mieux comprendre l’état d’esprit de leurs auteurs, leurs références, leurs personnalités, leurs priorités au moment des faits et à celui de la rédaction de leur livre. Ils donnent un accès à l’âme de l’individu qui a tenu un rôle parfois contesté et dont les raisons profondes peuvent avoir échappé jusqu’alors aux historiens et au public. En cela, ils sont irremplaçables. A condition de les lire avec prudence et distance.