Jusqu’ici tout va bien. L’économie mondiale a connu en 2017 une croissance synchronisée. D’abord soutenu aux Etats-Unis seulement, le rythme d’expansion s’est également accéléré dans la zone euro et au sein des pays émergents. Mieux encore, cette situation inédite depuis 2010 n’a pas provoqué une accélération de l’inflation. Ce scénario «Goldilocks» peut-il se poursuivre en 2018? Tour d’horizon des zones de tension pour l’année à venir.

L’inflation

Le principal risque pour 2018? «Une reprise de l’inflation supérieure aux attentes», répond sans hésitation Lars Kalbreier. Pour le responsable des investissements de Vontobel Wealth Management, le contexte de croissance modérée mais continue et d’inflation faible permet aux banques centrales de fournir beaucoup de soutien aux marchés financiers. Mais «si l’inflation venait à dépasser les attentes l’an prochain, les banques centrales devraient adopter des politiques monétaires plus restrictives et donc relever les taux, ce qui freinerait la croissance et les bénéfices», affirme le spécialiste.

Les bénéfices ont justement progressé de l’ordre de 12% au niveau mondial cette année précisément grâce à la reprise globale et aux taux d’intérêt très bas. Les attentes en matière d’inflation pour 2018 s’élèvent à 1,6% pour la zone euro, 2,1% pour les Etats-Unis, 0,5% pour le Japon, 0,6% pour la Suisse et 2,7% pour la Grande-Bretagne (un cas particulier dû au recul d’environ 15% de la livre face aux principales devises mondiales, qui a considérablement renchéri le prix des produits importés).

La réforme fiscale américaine

L’étincelle inflationniste pourrait provenir des Etats-Unis, où une réforme fiscale abaissant le niveau de taxation des sociétés de 35 à 20% a été votée dans la nuit du 1er décembre. Cette refonte du système fiscal «intervient au pire moment, alors que la croissance américaine au 3e trimestre a été la plus forte depuis 3 ans», observe Lars Kalbreier, de Vontobel WM. Elle revient à mettre de l’huile sur le feu, avec un risque de surchauffe lorsque les baisses d’impôt prendront effet – pas forcément en 2018, donc.

Le timing de ces mesures aurait été plus opportun il y a quelques années, lorsque l’économie américaine était plus faible, poursuit le spécialiste, pour qui l’élément clé sera la progressivité de la mise en œuvre de la réforme alors que d’importantes négociations sont encore à mener. En cas de surchauffe, l’accélération de l’inflation qui en découlerait pousserait les banques centrales à relever les taux et donc à ralentir la croissance. «Il aurait été préférable que les baisses d’impôt se produisent plus tard, en fin de cycle», conclut sur ce point Lars Kalbreier.

Avec un niveau de taxation qui passera vraisemblablement de 35 à 20%, la réforme fiscale américaine devrait permettre de «stimuler les bénéfices des sociétés et donc de réduire les valorisations du marché américain», poursuit Nigel Turner, responsable des investissements de Forum Finance Group, à Genève. Mais le texte constitue surtout «un tour de force pour que l’administration de Donald Trump puisse se targuer d’une victoire législative», qui ne paraît «pas si bénéfique pour les ménages américains à plus long terme» et qui risque de creuser le déficit budgétaire de manière non négligeable ces prochaines années.

Correction des marchés

Avec les indices boursiers à des sommets historiques, faut-il craindre des corrections en 2018? Clairement oui, estime Nigel Turner: «Les marchés ont traversé 2017 sans trop de turbulences et il n’est pas dans leur nature de ne pas connaître des périodes de prises de profit ou de corrections plus importantes que ce que l’on a connu récemment.» Attention aux déceptions sur la croissance des bénéfices ou au début de normalisation de la politique monétaire de la Réserve fédérale, même si les valorisations ne sont pas jugées excessives.

D’éventuelles corrections pourraient survenir en priorité sur les obligations de crédit et en particulier sur le segment à haut rendement, qui est très chèrement valorisé, précise Nigel Turner. Là encore, la réforme fiscale de Donald Trump pourrait jouer un rôle, selon lui: «Les entreprises notées «high-yield» risquent d’être pénalisées car elles pourront moins déduire la charge d’intérêts sur leur dette.»

Le «high yield»

Lars Kalbreier voit lui aussi des risques dans les obligations à haut rendement: «En résolvant une crise, les banques centrales ont créé les conditions pour une autre crise. Si les taux d’intérêt n’avaient pas été maintenus bas de manière artificielle, beaucoup d’entreprises de ce segment n’auraient pas survécu. Elles seront donc vulnérables lorsque les taux remonteront.» C’est le retour de ce qu’on appelait les entreprises zombies au Japon dans les années 1980-1990.

Selon lui, 6% des entreprises européennes notées «high yield» affichent un ratio de couverture des intérêts inférieur ou égal à 1. Un niveau de 1,5 est généralement considéré comme une limite en dessous de laquelle des prêteurs refuseraient de financer une entreprise, dont le risque de défaut serait considéré comme trop élevé. En cas de hausse des taux, ces 6% d’entreprises seraient condamnées à augmenter leurs bénéfices pour pouvoir survivre.

«Cela ne provoquerait pas de crise systémique, car ces entreprises peuvent être rachetées ou restructurées, poursuit le CIO de Vontobel WM. Mais de nombreux investisseurs sont venus chercher du rendement dans les obligations à haut rendement, y compris des privés et beaucoup d’ETF. En cas de perte, ils pourraient peiner à sortir de cette classe d’actifs peu liquides.»

L’Europe et les pays émergents

Les actions européennes pourraient également pâtir d’une appréciation supplémentaire de l’euro, d’autant plus que la composition des indices européens ne bénéficie pas d’une exposition aux grandes valeurs technologiques similaire à celle des indices américains, poursuit Nigel Turner, de Forum Finance. Le CIO reste néanmoins positif sur l’Europe, qu’il ne voit pas en fin de cycle.

«La croissance en Europe apparaît comme solide et durable. Contrairement à précédemment où l’Allemagne soutenait presque à elle seule l’économie européenne, la croissance est désormais mieux répartie et présente dans tous les pays. Il reste encore de la capacité en termes de main-d’œuvre et la bonne tenue de l’économie globale est un facteur de soutien important.» Autre facteur positif pour l’économie européenne, «des politiques fiscales plus orientées vers la croissance sont en train de se mettre en place. Elles représentent en quelque sorte une prise de relais relative à la politique monétaire de la BCE», poursuit le Genevois.

Concernant les marchés émergents, «les deux risques principaux souvent mentionnés après l’élection de Donald Trump, à savoir une appréciation du dollar et la mise en place de mesures protectionnistes, ne se sont pas matérialisés et nous n’anticipons pas de changements sur ces plans», précise encore Nigel Turner. Selon lui, les marchés émergents paraissent bien positionnés pour continuer leur évolution positive. Les valorisations sont raisonnables compte tenu de bonnes perspectives de croissance de leurs économies et des bénéfices des sociétés. L’élément clé pour les marchés émergents, à ses yeux, reste la Chine, «qu’il faudra surveiller de près: une correction des actifs chinois aurait inexorablement un impact sur les autres marchés émergents».

La politique

Pour finir, le front politique n’inspire aucune crainte majeure à Lars Kalbreier, de Vontobel WM. Un accord a été trouvé sur le Brexit, aux petites heures de vendredi. Mais le CIO a également une opinion assez forte sur la Corée du Nord: «Nous nous dirigeons vers un statu quo, un peu sur le modèle de la Guerre froide. Ni Kim Jong-un ni Donald Trump ne vont procéder à des frappes préventives. Dans le cas contraire, le premier perdrait le soutien de la Chine, ce qui signifierait la fin du régime, tandis que le second provoquerait une réponse armée de la Corée du Nord sur Séoul, dont les quelque 20 millions d’habitants se trouvent à une soixantaine de kilomètres seulement de la frontière avec le Nord.»