Le doute flottait dans l’air depuis fin janvier. Interrogé sur sa volonté ou non de se représenter comme vice-président de Credit Suisse, Severin Schwan l’avait dit lui-même, il n’était «pas décidé». Deux mois plus tard, il a fait son choix: celui qui est aussi directeur général de Roche ne rempilera pas. Il sera remplacé par Christian Gellerstad, a annoncé la banque lundi matin.

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Il faut dire qu’il était sous pression. Ou plutôt que sa réélection n’était pas garantie: plusieurs actionnaires, dont le fonds souverain norvégien, considéraient qu’il devait faire un choix, ce double mandat ne lui laissant pas assez de temps pour s’occuper d’une banque en proie à d’importantes turbulences et constituait une controverse de trop. Severin Schwan avait aussi été critiqué pour avoir à la fois joué un rôle central pour attirer Antonio Horta-Osorio à la présidence et… pour l’en éjecter en janvier dernier. Au final, la décision est la bonne pour la banque et pour lui-même, estime un ancien responsable de Credit Suisse qui préfère garder l’anonymat.

Controverse de trop

Son éviction n’était pour autant pas scellée: d’autres actionnaires estimaient que sa bonne réputation profitait à Credit Suisse. Certains l’encourageaient à se représenter, en renonçant à certaines commissions afin de réduire sa charge de travail. Le conseil d’administration de la banque aurait pu ainsi bénéficier d’un semblant de stabilité avec un membre présent depuis 2014 et vice-président depuis 2017.

Car en quelques mois, il aura complètement changé de visage. A sa tête, Antonio Horta-Osorio n’aura même pas tenu une année. Poussé à la démission après l’affaire des quarantaines courbées, l’ex-patron de la banque britannique Lloyds a cédé sa place à Axel Lehmann, qui venait d’être élu administrateur en octobre dernier. Tout comme Juan Colombas: ancien lui aussi de Lloyds, il a décidé de ne pas se représenter non plus après un mandat d’à peine quelques mois. Parmi les dix administrateurs actuels, trois sont donc sur le départ, trois autres ont été élus l’an dernier et un quatrième en 2020.

Credit Suisse annonce un troisième départ, celui de Kai Nargolwala. Présent, lui, depuis 2008, il présidait la commission des rémunérations. Cette fonction sera reprise par Christian Gellerstad, administrateur de Credit Suisse depuis 2019.

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Ce dernier formera donc le nouveau tandem – soumis à l’approbation de l’assemblée générale fin avril – avec Axel Lehmann. «La profonde expertise du secteur que possède Christian en termes commerciaux et financiers l’aidera à superviser la transformation stratégique de la banque, en particulier nos ambitions de croissance pour la gestion de fortune», a d’ailleurs déclaré le président de Credit Suisse dans un communiqué.

Ex de Pictet

Né en 1968, Suisso-Suédois, Christian Gellerstad a dirigé la gestion de fortune de Pictet entre 2007-2018, donc lors de la fin du secret bancaire, passage qu’il a négocié avec succès et doigté, estime un banquier genevois qui l’a côtoyé. C’est d’ailleurs dans la banque genevoise qu’il a fait carrière: il y est entré en 1994 comme analyste financier après des études à l’Université de Saint-Gall. Il y a également dirigé Pictet au Luxembourg, une entité stratégique pour la banque, car elle sert de vaisseau amiral pour l’Union européenne. Toutes les filiales européennes de la banque dépendent directement de celle du Luxembourg, qui occupe plusieurs centaines de personnes, souligne le banquier genevois. Christian Gellerstad est quelqu’un d’intègre, agréable et très bon manager.

En parallèle, le conseil d’administration devrait accueillir trois nouveaux membres, Mirko Bianchi, Keyu Jin et Mandy Norton. Comme le constate un ancien responsable de la banque, peu de gens du sérail complètent ainsi le conseil d’administration. Le premier, un Américano-Suisse, a occupé plusieurs fonctions à la banque italienne UniCredit, dont la direction de la gestion de fortune. C’est également un ancien d’UBS, de Deutsche Bank et de l’agence de notation Moody’s.

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La deuxième, Keyu Jin, professeure d’économie à la London School of Economics, spécialisée dans les flux mondiaux de capitaux et la Chine, compte déjà un mandat d’administratrice en Suisse, chez Richemont. Chinoise, elle a enseigné à l’Université Yale et à Berkeley.

Renouer avec le calme

La troisième, Mandy Norton, était responsable des risques à la banque américaine Wells Fargo. «Elle apporte avec elle plus de 30 ans d’expérience dans des fonctions de risque au sein de sociétés de services financiers, y compris différents rôles exécutifs dans le domaine du risque chez JPMorgan Chase et Bank of America», souligne Credit Suisse, à propos de cette banquière américano-britannique.

Contactée, la fondation Ethos, qui conseille des actionnaires de la banque, rappelle avoir demandé un renouvellement profond du conseil d’administration. «Ethos espère que les changements annoncés vont enfin permettre à Credit Suisse de renouer avec une période de calme et de stabilité», ajoute-t-elle. En 2021, la banque a été prise dans plusieurs affaires, dont la faillite d’Archegos, qui lui a coûté 5 milliards de francs, et celle de Greensill. Elle a également dû s’acquitter d’amendes liées à un scandale de corruption au Mozambique.