Frédéric* est un ancien cambiste chez UBS. Echanger des devises, il connaît. Quand, en décembre 2018, il reçoit un coup de fil d’un dénommé Dawn Spencer, qui lui promeut Axeinvest.com, une plateforme de trading sur le Forex, il se méfie. Mais le site et son application présentent bien, un numéro de téléphone genevois le rassure et Frédéric est joueur. Le retraité ouvre un compte et mise 250 dollars. Dawn Spencer place manifestement son argent de façon avisée: la valeur de son investissement grimpe à 5000 dollars en quelques semaines.

«Ça m’a intrigué mais j’ai continué», reconnaît Frédéric, contacté lundi. D’autant plus que quand il retire une partie de ses gains, tout fonctionne sans problème. Le Vaudois met par la suite 50 000 dollars sur la table et, à nouveau, les placements s’avèrent judicieux: la mise tourne vite autour des 200 000 dollars. Frédéric en fait verser 40 000 sur son compte. Les conditions sont si attractives qu’il convainc en juillet son gendre Jean* de venir boursicoter lui aussi.

Les problèmes émergent après. Dawn Spencer – est-ce son vrai nom? – leur présente durant l’automne un autre site, Inovestment.com, sur lequel ils misent aussi. Leur interlocuteur les exhorte à investir plus, les contacte parfois plusieurs fois par jour. Mais quand les Vaudois veulent retirer leur argent, il repousse désormais l’échéance.

Une mystérieuse Mexicaine

Jean décide de ne plus lui répondre mais un collègue «senior account manager» qui s’appellerait Travis Wertheimer prend le relais. Les Vaudois finissent par flairer une arnaque, se joignent à trois autres utilisateurs romands – des connaissances tout aussi suspicieuses. Ensemble, ils ont placé un demi-million de francs sur les deux sites; tous ont pu retirer leurs premières mises, ce qui les avait incités à continuer.

Le petit groupe sollicite les recommandations d’un cabinet de conseil genevois dirigé par un ami de Jean, qui effectue une recherche approfondie et conclut que c’est une «grosse affaire».

Le cabinet découvre qu’Axeinvest est détenu par Madar Partners, une société des îles Marshall qui figure au centre d’un réseau d’entreprises, au Royaume-Uni, en Bulgarie et notamment à Hongkong, en partenariat avec des banques en Asie et dans les pays de l’Est. Plusieurs de ces sociétés ont été dirigées par une Mexicaine qui a été signalée à maintes reprises dans des arnaques similaires. Elle les dissoudrait au gré des soupçons pour en créer d’autres. Une ribambelle de sites, semble-t-il administrés par ce réseau, auraient été ouverts et abandonnés, comme Axatrades.com, signalé par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers en 2014. La Finma a placé Axeinvest sur sa liste noire en mars (mais pas Inovestment).

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Les Romands portent plainte auprès du Ministère public vaudois en novembre. Une star de l’immobilier à Genève, qui se serait fait voler une centaine de milliers de francs sur Axeinvest, se greffe à la procédure. Une dame âgée aurait perdu 200 000 francs mais elle ne s’est pas jointe à l’instruction. Tout porte à croire qu’il y a eu de nombreux autres cas, selon les plaignants. L’actualité semble leur donner raison.

Fin janvier, la police valaisanne annonce que des affaires similaires ont été enregistrées en Valais et qu’une enquête a été ouverte en décembre. Les pertes s’élèvent à 872 000 francs, selon la section financière valaisanne, qui relève que d’autres cantons – mais pas Vaud – ont été touchés pour l’heure à hauteur de 748 000 francs. «En Valais, il s’agit d’une escroquerie conséquente, on a vraisemblablement affaire à une bande organisée qui utilise de nombreuses sociétés, des adresses internet IP dynamiques, ce qui rend difficile de remonter la filière, indique le procureur général Nicolas Dubuis. Les lésés vaudois semblent faire face à un groupe qui a le même modus operandi, mais nous n’avons pas la preuve qu’il s’agit des mêmes auteurs.»

Un médecin schwytzois a perdu un demi-million de francs cet été de la sorte, selon la télévision alémanique, qui indique que ce type d’escroqueries explose aussi outre-Sarine.

Alertes à l’international

A l’étranger, l’organisme de surveillance australien épingle Axeinvest fin 2018. En septembre 2019, Rome annonce avoir bloqué Axeinvest et 28 autres sites – certains sont administrés par des sociétés liées à Madar Partners. En octobre, au tour du Canada de tancer le site. Fin janvier, l’Autriche signale Swissinv24.com, un portail qui dit être basé aux îles Marshall, à la même adresse qu’Axeinvest, et qui renvoie à un numéro de téléphone argovien.

Il est courant qu’un numéro suisse soit dévié à l’international, selon une porte-parole de l’Office fédéral de la communication. L’Ofcom ignore à qui appartient celui qui est affiché sur Axeinvest.com mais l’institution indique qu’il fait partie d’une série de numéros attribués à Wemobile SA. Ce fournisseur de services de télécommunications meyrinois n’a pas répondu à nos questions.

Les taux d’intérêt négatifs poussent un nombre croissant d’amateurs à boursicoter. Le vaudois Swissquote reçoit un millier de demandes d’ouverture de compte par semaine. Des concurrents, comme la banque Strateo, font aussi état d’un afflux. Selon le comparateur de services financiers Moneyland, un cinquième de la population adulte suisse a déjà fait du trading.

Dawn Spencer et Travis Wertheimer ont encore contacté Jean et Frédéric au début du mois et leurs sites demeurent accessibles malgré les enquêtes en cours.

* Prénoms d’emprunt