Justice
Un établissement bancaire peut-il empêcher ses clients étrangers non-déclarés de retirer leurs avoirs? Le Tribunal fédéral a rendu début novembre deux arrêts très attendus sur la question, sans pour autant trancher de manière définitive

Les banques en Suisse ont-elles le droit d’empêcher leurs clients étrangers dont les avoirs ne sont pas déclarés dans leur pays de résidence de les retirer en cash? La question fait débat depuis plusieurs années maintenant, depuis qu’il est demandé aux établissements bancaires d’inciter leur clientèle étrangère à se mettre en conformité fiscale.
Or, deux décisions rendues par le Tribunal fédéral le 28 octobre, et publiées fin novembre, apportent de premiers éléments de réponse. Des clients italiens d’une succursale de Lugano, dont l’un a voulu retirer 75 494 euros et l’autre 557 715 euros, ont obtenu gain de cause. Leur banque, BNP Paribas en l’occurrence, n’avait pas le droit de les en empêcher, selon le Tribunal fédéral qui, de la sorte, confirme un jugement rendu par le Tribunal de Lugano en février.
Cette décision était attendue de pied ferme par de nombreux clients étrangers se trouvant dans une situation semblable, notamment à Genève. Mais aussi par leurs avocats. En l’espèce, le Tribunal fédéral a rejeté un par un tous les arguments de la banque, expliquent des experts. Il reproche surtout à la banque de ne pas avoir mis en place de directives internes permettant de justifier la non-remise d’argent liquide à un client, même non-déclaré.
Une décision «frustrante»
Si Douglas Hornung, dont plusieurs clients sont actuellement dans une telle situation, se réjouit que la banque ait été déboutée, la décision du Tribunal fédéral n’en reste pas moins «frustrante» à ses yeux. «Nous espérions qu’il saisisse l’occasion pour rendre une décision de principe, pour trancher une bonne fois pour toutes et dire si, oui ou non, une banque a le droit d’empêcher ses clients de clôturer leur ou de retirer leurs avoirs, explique l’avocat genevois. Or, ces arrêts laissent de nombreuses portes ouvertes.»
A commencer par cette directive interne qu’il est reproché à la banque de ne pas avoir mis en place. «Or que vont faire maintenant les autres établissements, qui, eux aussi, ont lu ces arrêts, demande-t-il. Tout simplement produire un tel règlement qui leur permettrait peut-être de justifier, après coup, le blocage d’avoirs et l’inexécution d’ordres de clôture donnés il y a des mois, voire des années, poursuit-il. C’est exactement ce qui s’est produit hier lors d’une audience.»
Pour l’avocate genevoise Stéphanie Hodara El Bez, qui compte elle aussi parmi ses clients plusieurs étrangers dont les avoirs sont bloqués ou des établissements financiers qui cherchent à se positionner par rapport à cette question, les banques pourraient toutefois désormais être davantage enclines à accepter de telles demandes. «Je pense que ces arrêts leur permettraient de justifier vis-à-vis des autorités étrangères les raisons qui les ont contraintes à accepter des retraits en cash, dès lors qu’elles n’ont fait que respecter la jurisprudence suisse qui traite d’états de fait similaires», explique-t-elle.
Et de conclure: «Il appartiendra à chaque établissement de procéder à une pesée des intérêts entre ce qu’elles risquent d’un côté, en s’exposant à des actions de clients tendant à leur faire respecter la jurisprudence suisse et, de l’autre, ce qu’elles risquent en allant à l’encontre des droits étrangers».
Contactée, BNP Paribas n’a pas souhaité faire de commentaire.