Une messagerie cryptée concurrence Bloomberg

Finance Des banques lancent Symphony, un système sécurisé, pour éviter que des tiers mettent la main sur leurs données

La conformité légale de l’application est déjà questionnée

Le «WhatsApp» de la finance est lancé. Un groupe de 15 banques – parmi lesquelles Credit Suisse ou Goldman Sachs – a créé Symphony en octobre dernier. Objectif de ce service de messagerie instantanée: en finir avec la suprématie de Bloomberg sur les outils de communication du monde de la finance.

Les ordinateurs de Bloomberg sont utilisés par quelque 325 000 professionnels qui paient en moyenne 24 000 dollars par an, selon les données du groupe, pour pouvoir accéder aux données, aux articles et à son service de messagerie instantanée. C’est par là que transitent les informations, les rumeurs et les accords financiers.

Des doutes sont déjà exprimés quant à la conformité légale de la plateforme Symphony, entièrement cryptée. Les régulateurs du secteur bancaire américain ont envoyé, le 22 juillet, une lettre demandant plus d’informations concernant la détention et la suppression de données par les utilisateurs, tout en rappelant aux banques leur devoir de conserver des archives.

Le sujet est en effet sensible. En mai, cinq grandes banques ont reconnu s’être entendues pour manipuler le marché des changes et ont dû s’acquitter d’une amende de 5,6 milliards de dollars. Cette affaire de collusion en a suivi une autre: la manipulation des taux interbancaires, dont le Libor est la référence, qui a coûté des milliards aux banques et a durablement entaché leur réputation.

A l’origine du projet Symphony, on retrouve aussi un problème de confidentialité, mais avec, cette fois, des établissements bancaires comme victimes. En mai 2013, Bloomberg a reconnu avoir exploité des données confidentielles de ses entreprises clientes. Une pratique courante depuis les années 90 – comme l’a reconnu Matthew Winkler, le fondateur de Bloomberg News – qui permettait aux journalistes du groupe d’identifier le «type d’informations dont les lecteurs sont friands».

François Charlet, juriste spécialisé dans le droit des technologies, n’est pas surpris par la tournure des événements: «Quand des structures comme Bloomberg cumulent des mandats aussi différents, je ne suis pas étonné que les données hébergées chez elles soient utilisées à d’autres fins.»

Parmi les banques touchées, Goldman Sachs a été la plus critique. Moins de 17 mois après cette affaire, l’établissement bancaire américain a acquis, avec 14 autres banques, Perzo pour 66 millions de dollars. C’est cette société qui développe aujourd’hui le système Symphony, qui cryptera les données de bout en bout et ne permettra la lecture des messages que par le récepteur. «Même Symphony n’aura pas accès à la clé de chiffrement», promet David Gurlé, son directeur.

Thomas Veillet, fondateur du site Investir.ch et trader pendant 25 ans, se réjouit de l’arrivée de cette plateforme: «Le système de messagerie de Bloomberg est mort. Les banques doivent assurer aux autorités que l’information qui circule à l’interne reste confidentielle et ne pourra pas être lue par un tiers. Dans le cas contraire, on se rapproche du délit d’initiés.» Même si de gros établissements comme UBS ne se sont pas dotés du système Symphony, la présence de 15 des plus importants établissements financiers devrait assurer une masse critique d’utilisateurs au système de messagerie.

Thomas Veillet ne croit pas pour autant à la fin du monopole de Bloomberg sur l’information. «Mais il faut encore voir si Symphony n’a pas d’autres ambitions.» La société a en effet déjà annoncé vouloir aller au-delà du monde bancaire. Une application gratuite sera offerte au public à partir de mi-septembre et une version intermédiaire sera, par la suite, proposée aux PME.

«Les banques doivent assurer aux autorités que l’information qui circule à l’interne reste confidentielle»